On attendait depuis 1991, après le cultissime « Lune Froide », la nouvelle réalisation de Patrick Bouchitey.  On frémit quand on voit le logo d’ »Europacorp », question d’habitude, mais ce film est à nouveau une belle surprise. Patrick Bouchitey prend un parti pris anti-naturaliste, ce qui peut déstabiliser, l’idée de base du roman de José Ángel Mañas est assez classique, pas c’est un terrain propice pour un univers original, évitant les écueils psychologiques. On est finalement assez proche du film « L’obsédé » de William Wyler (1965).

Isabelle Renauld est remarquable en épouse délaissée, et on retrouve Patrick Catalifo en écrivain dépassé par un  rôle qui ne le correspond pas, Pierre Diot en inspecteur routinier et Ariane Ascaride en amie trahie. Didier Flamand est halluciné en éditeur manipulateur, cynique et excentrique, il est vrai qu’il est toujours à l’aise dans ce type de rôle. A noter quelques apparitions de « potes », telle celle de Jackie Berroyer en moine sentencieux.

Au final c’est un film assez angoissant, surprenant,  halluciné, même si le dernier plan surligne un peu l’ensemble.

ARTICLE LE FIGARO :

CINÉMA Il joue dans «Imposture», un suspense sur la difficulté de créer, son deuxième long métrage
Patrick Bouchitey, le voleur de mots par
Brigitte Baudin [25 mai 2005]

Patrick Bouchitey

On connaît l’humoriste qui donne la parole aux animaux avec tant de drôlerie et de dérision. On n’oublie pas l’autre facette, plus sombre, mystérieuse, souterraine, presque dérangeante de ce comédien scénariste-réalisateur. Patrick Bouchitey aime détourner les situations pour en montrer le grotesque, l’absurde. Il se plaît aussi à flirter avec le glauque sans toutefois se départir jamais de son sourire sympathique, de sa désinvolture et de son anticonformisme insolent. Lune froide, sa première réalisation, la morbide histoire de deux marginaux amoureux d’une morte, inspirée d’une nouvelle de Charles Bukowski, avait ému et choqué, en 1991, les festivaliers cannois avant de remporter le césar de la meilleure première oeuvre. Quatorze ans plus tard il est revenu sur la Croisette et a présenté, dans le cadre de la Semaine de la critique, Imposture, son deuxième long métrage qui sort aujourd’hui. C’est un suspense, une réflexion sur l’écriture et la création, d’après Je suis un écrivain frustré, le roman de José Angel Manas (Ed Métailié ).

Critique redouté, professeur de littérature à l’Université, Serge Pommier (Patrick Bouchitey) aimerait publier un livre. Mais il est en panne d’inspiration. Il ne parvient pas à écrire le premier mot. Et voilà que Jeanne (Laetitia Chardonnet), une de ses plus brillantes élèves, lui confie le manuscrit d’un roman. Il correspond à tout ce que Serge a envie de dire et qu’il ne peut formuler. Une idée folle germe alors dans son esprit : kidnapper Jeanne, s’approprier son texte et en assurer la paternité.

«Lorsque j’ai lu le bouquin de José Angel Manas, je n’ai pas tout de suite accroché, explique Patrick Bouchitey. Il me permettait de plonger dans l’univers mystérieux de la création littéraire et d’explorer le monde de l’édition. Je ne me sentais, par contre, pas concerné, de prime abord, par ce psychopathe en mal d’inspiration qui disjoncte et tue tout monde y compris la fille qu’il a enlevée. J’avais plutôt envie de montrer un homme «normal» que l’orgueil, la jalousie, poussent à commettre l’irréparable et met le doigt dans un terrible engrenage. J’aime les histoires d’amour impossibles. J’ai donc axé mon intrigue sur l’ambiguïté des relations qui naissent inévitablement entre un ravisseur et sa victime : l’amour haine, la dépendance, l’esprit de vengeance.» Après mûres réflexions, Patrick Bouchitey se lance donc dans l’aventure. Il adapte librement le livre de José Angel Manas avec Gaëlle Mace et Jackie Berroyer, son complice sur Lune froide.

«Nous avons gommé le côté serial killer du personnage originel pour le rendre plus humain, plus paradoxal, précise Patrick Bouchitey. Serge Pommier devait se montrer tout à la fois révoltant par ses actes et fragile, attachant, imprévisible. Il devait être capable de tout casser dans un moment de fureur et de gestes de tendresse, de compassion, comme sauver un oiseau blessé. Là, résidait notre plus grande difficulté. Il fallait sans cesse jouer sur les situations, les sentiments. Passer rapidement d’une émotion à l’autre sans sombrer dans le pathos.»

Patrick Bouchitey imagine, face à un Serge Pommier volubile et toujours en mouvement, une Jeanne murée dans son mutisme. «Le silence est sa force, son arme, sa façon de résister et de le piéger, renchérit-il. Elle pousse ainsi son kidnappeur dans ses retranchements. C’est une espèce de jeu du chat et de la souris. La rencontre de deux solitudes, la confrontation entre deux handicapés de l’amour qui vont se révéler l’un à l’autre. Ce n’est pas une histoire réaliste mais un conte : celui d’un arroseur arrosé.»

Patrick Bouchitey a suivi les conseils de son producteur Luc Besson en incarnant Serge Pommier. Il lui fallait par contre trouver une comédienne assez expressive et sensible pour camper Jeanne, muette la plupart du temps.

«J’ai vu beaucoup de lauréates, affirme-t-il. Aucune ne me plaisait vraiment. Elle n’avait pas assez de charisme. Ma première image de Jeanne est celle d’une jeune fille agile, fluette qui peut se glisser dans un soupirail. Il me fallait surtout quelqu’un d’intense, avec un regard exprimant des émotions sans l’appui des mots. J’ai rencontré Laetitia Chardonnet par hasard. Etudiante dans une école de commerce, elle n’avait jamais joué devant une caméra. Sa présence éclate sur l’écran.»

Dans l’univers ouaté du studio qu’il s’est installé chez lui, Patrick Bouchitey s’est déjà remis au travail. A sa passion du détournement de l’image en s’appuyant cette fois non sur les animaux mais sur les figures de l’histoire du XXe siècle, sans souci de jugement : de Gaulle, Mussolini, Churchill, Staline, Hitler, Kennedy, Pol Pot… Il prépare aussi Paroles de singe, une comédie burlesque sur «le fascisme au quotidien dans le couple»…

Dans Imposture, Serge Pommier (Patrick Bouchitey), un écrivain en panne d’inspiration, kidnappe Jeanne (Laetitia Chardonnet), une de ses plus brillantes élèves, pour s’approprier un roman qu’elle a écrit. (DR.)

Laetitia Chardonnet

Patrick Bouchitey, dont la folie anémise tout son entourage, gagne en épaisseur avec un personnage borderline, installé et amer. Laetitia Chardonnet sa victime, est remarquable, même dans ses scènes mutiques. Son regard très intense, nous aide à comprendre son jeu masochiste avec son bourreau. Les lieux sont habités et inquiétants, Bouchitey dynamite le milieu littéraire en flirtant avec le fantastique.