Ravissement avec ce troisième film de Sophie Fillières, après « Grande petite » (1993) dont je n’ai pas gardé un très grand souvenir, et surtout « Aïe » (2000), d’une ironie décalée mordante avec sa sœur, Hélène, excellente comédienne. Emmanuelle Devos, joue avec humour et en n’hésitant pas à se lancer dans des scènes inconfortables, le personnage de « Fontaine Leglou », nom qui l’a prédestiné à avoir un décalage sur le monde. Près de Beaubourg, elle s’arrête net devant un homme – Nicolas Briançon -, en le sommant de cesser de la suivre, ce dernier ne pensant qu’à son rendez-vous pour lequel il est en retard… Le ton est donné, singulier, avec un sens aigu de l’observation du quotidien et sa poésie parfois absurde.  Fontaine est une anesthésiste dans un hôpital psychiatrique grand luxe, elle vit avec harmonie, avec un dénommé Michel Strogoff !,  géologue aventurier, athlète de triathlon et spécialiste de la tectonique des plaques. Ce dernier aimerait la demander en mariage, mais rien n’est simple avec eux deux. Cette comédie névrotique, analyse des personnages maladroits,  de Fontaine culottée, avançant quoi qu’il arrive, de Michel – Bruno Todeschini dans le registre brun éthéré sensible – et Philippe un médecin gastro-entérologue borderline, soigné en clinique et tombant rapidement amoureux de Fontaine – Lambert Wilson, qui continue à jouer avec son image dans un rôle défait et  inquiet –  Sophie Fillières a un regard acide sur le monde, jouant avec une poésie constante des codes de digicodes, les chiffres au-dessous de verres Duralex, ramenant à Philippe a des souvenirs d’enfance, des banalités qui sont autant de repères pour ces personnages déboussolés.

Emmanuelle Devos

On passe ici à la crudité de certaines situations, à une sensibilité exacerbée, avec une qualité d’écriture assez rare dans notre cinéma national. La réalisatrice analyse notre langage, lapsus ou la musicalité des mots, et la difficulté de s’exprimer, d’où certains malentendus, les mots que l’on prononce n’ayant pas forcément le même sens pour son interlocuteur. On s’arrange ici avec ses névroses, on compose à l’instinct, et le public rit, se reconnaissant parfois en ses personnages. Une galerie d’acteurs accompagne le trio de comédiens, de trois échappés de l’univers d’Arnaud Desplechin : Magali Worth, l’inoubliable « Chinoise » de « Rois et reines », passant cette fois dans le camp du corps médical, Michel Vuillermoz, en quidam dans un quiproquo frisant avec l’absurde et le toujours étonnant  Gilles Cohen, en médecin collègue de Fontaine, familier mais rancunier, de Michael Lonsdale et Bulle Ogier en parents de Michel, maniant la loufoquerie avec dextérité, le trop rare Éric Elmosnino en personnification inattendue du destin – le Jean Vilar des « Portes de la nuit » a désormais un sérieux concurrent -, Julie-Anne Roth en infirmière curieuse, Nicolas Vaude, en patient cinglé mais avec désinvolture, et Miglen Mirtchev en caricaturiste amusé. Laissez-vous embarquer dans l’univers subtil de Sophie Fillières, et de sa fantaisie inventive, loin de certaines comédies formatées omniprésentes ces derniers temps.