Ce lundi 23 juin à 23h30, on pouvait retrouver pour la dernière fois l’anthologie de la mythique émission « Cinéma, cinéma », sur France 4, épisode 12, grâce à l’excellente initiative de Jean-Pierre Jeunet. Dès sa création, cette émission (1982-1990) fut saluée par les médias, telle la critique parue dans Télérama 1678 du 13/3/1982, pour son troisième numéro : » …qui renouvelle la classique émission de cinéma, coincée entre la promotion pour les nouveaux films et les discussions cinéphiliques. Priorité ici aux reportages rapides, subjectifs, aux télescopages entre le cinéma et les autres formes d’art, à la libre expression des cinéastes eux-mêmes. Et à la qualité de la réalisation de la mise en image due à Claude Ventura. Résultat un magazine brillant, élégant, insolite et stimulant. Qui n’a pas peur de viser haut ». Même si on n’est pas trop nostalgique, retrouver cette émission a un effet « madeleine-proustique » vivifiant. Retrouver Eddie Constantine ouvrant différentes portes, tiré d’ « Alphaville » et ce fabuleux générique Certes, la revoir vous refile un coup de vieux, si vous avez forgé votre cinématographie avec la télévision, – ce qui est mon cas, accusant 40 piges au compteur -. Certes, c’est une émission qui date du siècle dernier ( !), mais les cinéphiles étaient alors vernis, ils pouvaient retrouver en ce même premier semestre 82, 3 autres émissions contemporaines de cette dernière, « étoiles et toiles » présentées par Frédéric Mitterrand sur TF1, « Cinéregards » – également produite par Anne Andreu, et « Ciné-Parade » présentée par Claude Villers sur feu FR3, ce qui laisse rêveur. Finalement je dois cette cinéphile à cette richesse proposée, habitant un petit village du pays basque, je découvrais des films étrangers dans une collection « Cinéma sans visas » et visitait les grands metteurs en scène dans les ciné-clubs de Claude-Jean Philippe et Patrick Brion à des heures décentes. Qu’est-ce qu’il reste de nos jours, un ciné-club sur France 3 proposant des films à 1h30 – pour peu que vous soyez chez Numéricable, vous avez un gel général à déplorer sur des films italiens, de l’image vu le grand nombre de bugs chez ses comiques qui préfère par contre dépenser de l’argent à faire du pro-actif ! -. Côté émission sur le cinéma, c’est la désolation – câble compris -, on ne peut subir au mieux que du cabotinage, ou de la minauderie – parfois les deux à la fois – de présentateur accroc aux prompteurs -. L’absence de ses passeurs de plats et ouvreuses diverses, est un absolu régal à revisionner « Cinéma cinémas ». On pouvait retrouver un regard aiguisé sur l’actualité qui nous manque cruellement, une visite dans la cinémathèque des époux Ceausescu, montrant des goûts assez inattendus – de Jean-Marie Straub aux films Disney ! – dans « Bunker », ou un commentaire acide de la télévision envahissant le festival de Cannes alors que Rita Hayworth venait de mourir dans « Adieu Rita », signée André S. Labarthe. Le ton général n’est pas du tout passéiste même s’il déplore la perte d’un certain âge d’or du cinéma. Le tandem Philippe Garnier – Claude Ventura, part à la recherche de fantômes pour de petits bijoux de réalisation, tel sur les traces de Louise Brooks sur le tournage dans « Beggars of Life » de William Wellman ou John Fante. Joli moment également dans « Ciao Lamberto », sur le destin brisé de l’interprète du « Voleur de bicyclette », Lamberto Maggiorani.
Gena Rowlands et John Cassavetes dans « Cassavetes «Love Stream » plans n° 145, 146, 147″ source Blog France 4
Les entretiens sont efficaces, se démarquant aisément des laborieux « press-juncket » ou des exercices de « service après-vente » selon la formule définitive de Simone Signoret. On retrouve avec bonheur ainsi Orson Welles face à la critique, déclarant que Ronald Reagan a pu devenir président des Etats-Unis car il ne sait pas lancé dans la politique, Aki Kaurismaki déclarant avoir ruiné son producteur, un bookmaker chinois ! – hommage à Cassavetes -, Don Siegel se comparant à une pute, Richard Brooks, alors scénariste recevant une leçon de cinéma par le chef opérateur Karl Freund… avec un film pornographique ! On s’enthousiasme à retrouver une absence de langue de bois, une tonicité, un renouvellement constant. Le cinéma français est aussi à la fête avec Robert Dalban – j’y reviendrai -, Michel Serrault – d’une grande franchise -, Philippe Noiret s’amusant avec les vérités et les mensonges, Lino Ventura se qualifiant de « testard », ou Bernard Blier chez son tailleurs. On s’amuse aussi à voir comment la fine équipe de cette émission, contourne la difficulté de s’entretenir avec ceux qui sont malaisés dans cette obligation, Maria Schneider, Sue Lyon, Robert de Niro – son cafouillage est transformé en gag par la présence d’un chien – ou Jacques Dutronc désarçonné par des questions posées laconiquement par Anne Andreu sur un magnétophone. Beaucoup de surprises comme une Dominique Sanda qui se lâche devant des photos de cinéastes français, scène impensable de nos jours, dans le robinet d’eau tiède des médias. Grâce à Philippe Garnier on retrouve la malice d’un Vincent Price, la présence d’un Aldo Ray ou d’un Sterling Hayden, le charme d’Angie Dickinson ou de Janet Leigh, et pléthore de vedettes, Faye Dunaway, Robert Mitchum, Rock Hudson, etc… Il y a aussi une utilisation intelligente des images d’archives comme des essais de Béatrice Dalle, Catherine Jacob ou Sandrine Bonnaire – lumineuse dans un autre portrait -, une dernière apparition du couple Humphrey Bogart-Laurent Bacall, pour des essais costumes d’un film jamais tourné, ou James Dean faisant de la prévention routière de manière décontractée juste avant son accident fatal, ces deux derniers sont des extraits du film « Hollywood graffiti ». Il y a aussi des commandes aux cinéastes avec 3 des « Lettres de cinéaste », une jubilatoire de Luc Moullet contre les affres de la création, Alain Cavalier et sa singularité, et l’autre plus nostalgique signée Serge Gainsbourg. Il y a aussi quelques visites sur des tournages, Jean-Luc Godard condescendant au possible avec son chef opérateur sur « Détective », Jean-Pierre Mocky forcément gueulard sur « Le miraculé », Jacques Doillon minutieux dans « La pirate », et on retrouve de manière très émouvante un John Cassavetes malade engoncé dans son smoking, montrant un amour formidable pour sa femme Gena Rowlands, pour son dernier chef d’œuvre « Love stream », une scène qui vous déchire le cœur. Le service public devant subir quelques transformations – avec ou sans pub -, peut rêver un jour à un peu d’ambition. Le temps est hélas à la « pipolade » et à la promo à tout vent, et au cynisme ambiant – voir comment on nous survend en ce moment une présentatrice plasticienne (sic) de la météo comme nouvelle Brigitte Bardot ! -. Un coffret DVD devrait sortir à la rentrée, je vous encourage vivement à l’acquérir, en souhaitant une éventuelle saison 2, si les ayants-droits le permettent voir le nombre étonnant d’autorisations d’utilisation d’images au générique final -. Il y a encore matières comme les portraits d’Howard Vernon et du tandem Dominique Zardi et Henri Attal… Affirmons une grande reconnaissance à Anne Andreu, Michel Boujut, Claude Ventura et Philippe Garnier pour ces grands bonheurs, en revoyant certaines séquences, je fus assez étonné de voir combien elles restaient gravées dans ma mémoire. Pour plus de détails il y a la fiche que j’avais créé pour IMDB, grâce à un catalogue cinéma et télévision, complétée par les rediffusions sur France 4, voir ici. Il y a également un blog sur France 4.