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Gaz de France

Philippe LaudenbachPhilippe Laudenbach dans « Gaz de France »

Le FIFIB est un festival de films indépendants, se déroulant cette année du 8 au 14 octobre à Bordeaux, l’occasion d’avoir des nouvelles des « films du milieu », chers à Pascale Ferran, et de constater parfois sa bonne santé malgré les contraintes diverses, comme l’an dernier pour le cinéma français : « Bébé tigre », « Mercuriales » et « Vincent n’a pas d’écailles ». J’y reviendrai pour d’autres films, j’aime à commencer par le film vu le plus iconoclaste, présenté le 11 octobre dans le cadre de la « FIFIB création ».

« Gaz de France » fut présenté à l’Utopia, par son réalisateur Benoît Forgeard et Bertrand Burgalat, musicien du film pour l’occasion. Dans un avenir proche, Jean-Michel Gambier, un Président de la République, curieusement élu (son gimmick étant de présenter la crise en chantant) bat des records d’impopularité (toute ressemblance…). Il est régulièrement sujet aux moqueries, aidé par son sobriquet Bird, ce qui facilite les railleries de ses détracteurs qui se régalent de noms d’oiseaux. Il est campé par Philippe Katherine, et on se surprend à jouer le jeu de croire à la situation, vu le décalage perpétuel de son personnage, même si ça grince parfois (pour l’avoir écouté cet été sur France Inter). Lors d’une émission télévisuelle animée par Camille Japy, où il est confronté à un public de « vrais gens », il commet la bourde d’interroger une personne non-désignée et non préparée et n’arrive qu’à lui signifier une impuissance chantée.

Michel Battement, sorte de Jacques Pilhan moderne, conseiller occulte, doit préparer une allocution de la dernière chance le lendemain soir à l’Élysée. Olivier Rabourdin joue ce personnage et il y est excellent. Suffisant et péremptoire, il jouit régulièrement d’une autorité blessante. Il décide de recevoir un panel de Français moyens pour mieux répondre aux attentes, et se retrouve face à des individus atypiques, choisis par un « pubard » branché – excellent Antoine Gouy, mûr pour les premiers rôles, citons récemment son personnage dans « A love you » -. La rencontre occulte se produit dans les sous-sols de l’Élysée qui réservent bien des surprises.

Benoît Forgeard a déjà une œuvre conséquente dans le court-métrage, que je ne connais pas, et c’est bien dommage, car pour son premier vrai long, il est incontestable que son univers est déjà très prometteur. Il est très à l’aise avec la satire et se revendique sous l’influence d’un certain cinéma des années 60/70, tel les films d’Alain Jessua. C’est donc un véritable « Jeu de massacre », très mordant contre le storytelling et le décalage entre les politiques et leurs administrés. On retrouve dans sa présentation son humour proverbial, comme par exemple, sur le choix du titre de son film: puisque cette compagnie a pris « La dolce vita » comme titre pour l’une de ses campagnes, il a choisi « Gaz de France » .

Tous les interprètes sont excellents. Ainsi Philippe Laudenbach trouve son rôle le plus probant depuis « Maléfiques » en écrivain vieille France et fleur bleue, Alka Balbir en conseillère arriviste, Darius en professeur allumé, et même Forgeard lui-même avec une présence mutique suspecte. Par la forme, le tournage étant fait sur fond vert, les décors étant rajoutés ensuite, il apporte une stylisation onirique réussie – on pense aux trucages d’un Jean-Christophe Averty – qui manque de faire basculer le film vers le fantastique. La farce est probante, décrivant une France comme un gruyère – les ressources du sous-sol étant vendues depuis longtemps -. C’est grinçant, salutaire et assurément un univers que l’on aimera retrouver très prochainement. Sortie en janvier 2016, plus d’infos sur le site de l’ACID

Les compagnons de la pomponette

Les compagnons de la pomponette

 

 

 

 

 

 

On voit beaucoup Jean-Pierre Mocky en ce moment dans les médias à l’occasion de la parution de son livre « Je vais encore me faire des amis ». Stéphane Bou parlait très justement de lui dans feu l’excellente émission « Après les travaux le cinéma continue», sur France Inter, co-animée par Jean-Baptiste Thoret. Il y a deux Mocky(s) assez distincts, le Mocky « Granowsky » (son personnage redresseur de torts dans « A mort l’arbitre »), et le Mocky – « Paul Wermus », bon client et provocateur sur les plateaux TV flirtant avec les limites .
Ce dernier est donc de sortie, on voit ainsi le petit jeu de quelques chroniqueurs pathétiques – la palme venant à l’ineffable Manon Ruggieri dans « C à vous » – pour le pousser dans ses provocations histoire de faire le buzz et nous régaler de quelques méchancetés. C’est dommage car ce dernier personnage dessert l’artiste, qui continue même avec une économie de moyens à nous surprendre. Paradoxalement plus Mocky est populaire dans les médias, moins le grand public connait ces films. Même si l’on peut reconnaître à son sujet un désintérêt à diffuser ses films et surtout en Province, trois de ces derniers films sortent en catimini dans sa salle Le Desperado depuis le 17 juin dernier. (« Tu es si jolie ce soir », « Les mystères de la Jonquille » et « Les compagnons de la Pomponette ».
La venue de Mocky au festival surréaliste au Théâtre du Pont Tournant à Bordeaux, le 5 mai dernier, fut l’occasion de le rencontrer et de visionner ces nouveaux compagnons (le titre évoque l’un de ses meilleurs films « Les compagnon de la marguerite ».) On retrouve ainsi le Mocky Granowsky affable et courtois, et toujours aussi passionné. On reste parfois pantois sur ces histoires, on en était resté sur des études de droits et de belles lettres dans son parcours, il a désormais 3 ans d’études de médecine. Il doit également rencontrer le Pape (qu’il surnomme le Père François), suite à ce film, mais on se régale toujours à ses histoires, sa passion et son empathie pour « les monstres », et ses évocations diverses.
La vision d’un film dans ce lieu reste un tantinet limite, tant l’envoi du DVD sur grand écran, ne semble toujours pas être maîtrisé par la technique (après une rencontre mémorable avec Pierre Étaix et son « Yoyo » dans les mêmes dispositions), et il faut affronter l’épreuve des sièges qui nécessitent d’avoir un bon ostéo, mais le film est en avant-première nationale.
Un petit couple charmant de défroqués, après avoir été surpris à forniquer en plein air, Victor et Marie-Ernestine (Arthur Defays, petit-fils de Pierre Richard et Prescillia Andréani), se retrouve à la rue et trouve refuge grâce à la générosité d’un gueulard (Victor Mu) qui travaille dans une boulangerie religieuse. Ils observent dans le voisinage l’attitude libre de deux couples les Mouton (Benoît de Gaulejac et Claire Corlier) et les Renard (Christian Chauvaud et Myriam Degaudez) qui pratiquent l’échangisme sans aucun état d’âme. Les deux jeunes gens, gardant leurs tenues épiscopales, voient ainsi un remède à l’adultère et décident de fonder une association « Les compagnons de la Pomponette », en prenant modèle sur une fleur du voisinage (et non, ce n’est pas une allusion à la fameuse chatte de la femme du boulanger). Apparaît ensuite l’ange gardien surmené Léonard – Mocky lui-même, forcément emplumé et débordé – qui les conforte dans cette mission, encouragée par Dieun que l’ange appelle « Patron ». Un théologien (Jean Abeillé) les encourage, l’échangisme apparaît dans la bible ! Un élan va prendre assez rapidement, les Français moyens étant ravis de céder à cette utopie, ce qui va occasionner la colère d’une adepte intégriste tendance Saint-Nicolas du Chardonnet (Françoise Michaud) aidée d’un cardinal pédophile (excellent Olivier Hémon), d’un policier désabusé (Lionel Laget) maqué à un travesti à la carrure d’un rugbyman – Miguel-Ange Sarmiento –
Côté technique on retrouve aussi les fidèles comme André Ruellan aux dialogues et Vladimir Cosma qui réutilise comme à son habitude des musiques déjà existantes, on passe ainsi le film à se demander où on les a entendues la première fois, ce qui est tout de même un tantinet désinvolte de la part de ce grand musicien même s’il donne à Mocky ses musiques gratuitement. De nombreux permanents du Mocky circus actuels acceptent d’être malmenés, outre Abeillé, Hémon et Chauvaud, on retrouve ainsi Guillaume Delaunay en policier protecteur, Jean-Pierre Clami en animateur de club de bridge particulier, Christophe Bier en peintre sur préservatif, Noël Simsolo et je dois en oublier, plus quelques petits nouveaux truculents, il y a même Patrice Dozier dans le rôle du pape.
Le film est assez réjouissant, sur le mode délirant tel « Le glandeur » ou « Le dossier Totoro », Mocky se révèle toujours comme le dernier des moralistes, l’échangisme étant un remède contre l’adultère ! Un politicien castré part à la recherche de ses testicules, victime d’une punition mockienne pour avoir fauté. Le Mocky circus est presque complet, il arrive à le renouveler et il nous livre une farce sur quelques travers de notre temps, tout en continuant à garder un espoir d’une utopie libertaire. Son œuvre est foisonnante, on a toujours trois ou quatre films, et trois courts de retard même, si on est fan, une constance à saluer, et un œuvre qui mérite d’être souvent revisitée. Ces films méritent d’être vus, à chaque fois on se dit qu’il faudra une grande dose d’indulgence pour les derniers films de Mocky, mais pour ma part je trouve toujours son inventivité et son côté Daumier du cinéma (comparaison souvent faite à son sujet), toujours intacts.

Pour vous tenir informé de l’actualité de Jean-Pierre Mocky il convient de visiter son excellent site officiel.