Vu en avant-première à l’UGC-Ciné-Cité Bordeaux, présenté par Jérôme Bonnel, le 6 janvier dernier, son 4ème film confirme son grand talent. Il était déjà venu présenter son film précédent, évoqué ici : « J’attends quelqu’un ». Ce cinéma, surtout grâce à la personnalité de son directeur, M. Pierre Bénard, continue à passer de grosses productions – la veille Jacques Perrin présentait son film Océan – à des films plus intimistes. Il permet aux cinéphiles bordelais de faire de belles rencontres. Le réalisateur prend prétexte du film de genre pour dresser un portrait intimiste d’un frère et d’une sœur. Aurélien – Malik Zidi – et Argine – Florence Loiret Caille – prénom venant de la carte « La dame de trèfle », atypique car étant le seul dans un jeu de carte à ne pas exister -, vivent en petite autarcie. Ils habitent la maison familiale depuis la mort de leurs parents dans un accident de voiture, lui vend des fleurs, elle se laisse plutôt vivre, lui plus solitaire, quand sa sœur papillonne, se laisse prendre dans un trafic de vol de cuivre histoire de vivoter. Il a pour complice un certain Simon Sarasian – Jean-Pierre Darroussin, qui à l’instar du film « L’armée du crime » joue un personnage inquiétant -, qui vient rapidement lui demander des comptes. Aurélien et Argine ont leurs petites habitudes dans un café tenu par Marie-Jeanne – Judith Rémy -, où ils se retrouvent et trompent l’ennui avec les habitués, dont deux prétendants d’Argine: Loïc, volontiers bagarreur et Pujol – Marc Citti, amoureux transi, fasciné par les exécutions historiques . Une jeune mère au bras cassé très séduisante – Nathalie Boutefeu – arrive dans la petite bourgade et séduit Aurélien…
Jérôme Bonnell, avec Malik Zidi et Jean-Pierre Darroussin sur le tournage de « La dame de trèfle » (source « Allociné »)
Le réalisateur réussit de manière très habile à mêler le polar au portrait intimiste d’un jeune couple, qui au final ne peut se défaire l’un de l’autre. Leur intimité finira par les pénaliser… Aurélien – le réalisateur n’a pas pensé au roman d’Aragon, qu’il n’a pas lu, bien que l’ayant dans sa bibliothèque -, est introverti, a peur du grand amour, et est formidablement interprété par Malik Zidi de mieux en mieux avec la maturité, à l’instar de son rôle dans le téléfilm « Le mort n’oublie personne ». Dans le rôle d’Argine, sans cesse en activité, remuante puis s’endormant comme un bébé, avec un cœur d’artichaut, on retrouve une Florence Loiret Caille admirable – elle était aussi très juste en confidente malgré elle de Daniel Auteuil dans « Je l’aimais ». Elle confirme à nouveau avec ce film l’étendu de son talent. Le reste de la distribution est remarquable, des comédiens toujours très justes, mais rares tels Marc Citti, Nathalie Boutefeu, Marc Barbé, Judith Rémy, et bien entendu Jean-Pierre Darroussin, sont ici utilisés avec subtilité. Le débat avec le réalisateur fut passionnant, animé par le désormais ineffable Jacques de l’association Saint-Bruno – célèbre localement pour quelques gaffes, tout en lisant laborieusement ses notes. Jérôme Bonnel parle de son amour des acteurs, de son choix de les laisser habiter le cadre pour les suivre et en adapter sa mise en scène. Par exemple pour vérifier l’osmose Zidi-Loiret Caille, il a préféré les faire se rencontrer dans le quotidien pour voir si un couple pouvait se former. Il aime permettre à ses interprètes de nourrir ses personnages en improvisant parfois. Il maîtrise également le genre polar – il cite volontiers « 7h58 ce samedi là » film mésestimé de Sydney Lumet et « Fargo » des « Frères Cohen ». Il laisse la tension monter, créer un climat dans la pénombre. Le quotidien le passionne aussi comme le décor très juste d’un petit café de Province, retrouvé avec beaucoup de finesse. L’observation du frère et de la sœur l’intéresse dans ce contexte de genre, il est le départ de l’écriture du film. Sans jugements, ni psychologie, il arrive à nous accrocher à eux, à les rendre attachants dans leurs failles. Jérôme Bonnel est un cinéaste à suivre assurément.