Roland Lesaffre dans « Il faut vivre dangereusement »

Annonce de la mort de Roland Lesaffre, le 3 février dernier, à l’âge de 82 ans. Son physique de baroudeur-charmeur – c’était un grand sportif et champion en boxe et en natation, il était d’abord militaire dans la marine pendant 5 ans -. en faisait un successeur idéal du comédien Roland Toutain. Il suit des cours de comédie auprès de Maurice Escande, Gabrielle Fontan, et Jean Marchat. En 1991, il fera le récit de cette jeunesse dans un livre de souvenir « Le mataf » (éditions Pygmalion-Gérard Watelet). Marcel Carné le prend dès ses débuts sous son aile, et lui confie un rôle de boxeur prometteur face à Jean Gabin. Une rencontre déterminante qui commença pourtant plutôt mal, quand Lesaffre rencontre un photographe connu en Indochine qui lui proposa de faire un tour aux studios de Joinville. « …Mon ami photographe me dit : « Va donc voir Carné, il te trouvera peut-être du boulot ». L’après-midi je rentre sur le plateau B qu’on m’avait indiqué et je vois un petit bonhomme assis sur un perchoir à deux mètres du sol. Soudain il m’aperçoit (c’était Carné) et se met à hurler : « Qu’est-ce que c’est que ce c… là ? Sortez-le moi s’il vous plaît et en vitesse ! » Un type me prend par le bras en me disant : « Vous ne voyez pas qu’il y a le rouge ? » « Quel rouge » – « Je vous prie de quitter le plateau » – « Mais je suis venu voir mon pote Gabin » – « Tout à l’heure maintenant, sortez ! «  Une heure après, à la cantine, Gabin me rejoignait et on tombait dans les bras l’un de l’autre. Puis il m’a présenté à Carné : « Un copain du Sirocco, il est dans la mélasse. Fais lui faire un peu de figuration. C’est comme ça que j’ai débuté dans « La Marie du port », à mille franc par jour » (Ciné-Paris, 1966) (1). La critique le remarque comme André Bazin, dans « Radio-Cinéma » (1) : « Il y a dans le personnage de Lesaffre quelque chose de Gabin jeune. Du Gabin de « Gueule d’amour » et de « Pépé le Moko », mais sans la force grave, l’espèce de sagesse du malheur qui domine justement maintenant en Gabin vieux ». Il restera associé à Marcel Carné, qui en fit son acteur fétiche jusqu’à Mouche (1992), un film inachevé d’après Guy de Maupassant, avec Virginie Ledoyen et Wadeck Stanczak. On retiendra ses rôles de maître-chanteur et délateur dans « Thérèse Raquin », de suspect victime des brutalités policières dans « Les assassins de l’ordre » et celui du bedeau dans le curieux « La merveilleuse visite », accueillant un ange déchu dans un village breton. Il se marie avec la comédienne Yoko Tani en 1956, et tente sa chance en Italie sans trop de succès, René Tabès parle même de sa prestation dans « La saison cinématographique 1962 » : « …On rit pourtant beaucoup en voyant « La fille des Tartares » surtout au moment de la conversion de celle-ci et dans les scènes où le pauvre Roland Lesaffre cesse de faire de la figuration pour dire quelques mots ». On le vit aussi en géologue dans un « space-opera » fauché « Destination planète Hydra », qui connu une programmation tardive en France en 1974.  Volontiers sous-estimé par la suite, il se fera plus rare à l’écran, mais on le revit volontiers jouer la carte de l’autodérision en malabar bourlingueur et mal en point dans un train de nuit dans « Il faut vivre dangereusement » (Claude Makovksi, 1975). Ces derniers temps, on le revit surtout à la télévision et au cinéma dans le rôle du père de Bernadette Soubirous dans deux redoutables films de Jean Delannoy, dont le deuxième opus ne semble avoir connu une sortie en salles qu’à Lourdes. Ce sympathique comédien valait mieux que sa réputation, mais son « amitié » avec Marcel Carné semble avoir nuit finalement à sa carrière. Tout comme Jacques Mazeau et Didier Thouart dans l’excellent « Les grands seconds rôles du cinéma français » (Éditions Pac, 1984) : « On peut se demander pourquoi Roland Lesaffre va connaître une carrière à ellipses. Ce n’est pourtant pas faute de ne pas s’incarner totalement dans la peau de ses personnages. Garçon de café dans « Casque d’or » il fait un stage d’un mois dans un bistrot. Mécano dans « Les tricheurs », il se fait engager dans une station-service. Pour « Du mouron pour les petits oiseaux », il se promène pendant trois semaines avec l’Armée du Salut, et pour « Le bluffeur », il s’initie dans les coulisses du Lido aux mystères de la prestidigitation. Curé dans « La jeunesse aux pieds nus » tourné, tourné au Japon, il a de fréquents entretiens avec des missionnaires français. Pilote dans « Trois chambres à Manhattan, il reste quinze jours à Orly ; flic dans « L’or du duc », il fait un stage aux commissariat du dix-huitième… ». A lire son portrait dans le site « La bande à Carné » très complet sur sa « carrière » qui a également la bonne idée d’y faire figurer l’intégralité des « Immortels du cinéma » tiré de « Ciné-Revue », par Joe Van Cottom et un article de « Jeunesse et cinéma ». Remerciements à Yvan Foucart.

(1) cités dans « Les grands seconds rôles du cinéma français ».

 

  Photo source : Agence Christian Juin

Filmographie établie avec Armel de Lorme : 1949  La Marie du port (Marcel Carné, rôle coupé au montage) – 1950  L’étrange Madame X (Jean Grémillon) – Juliette ou la clef des songes (Marcel Carné) – Parigi è sempre Parigi (Paris est toujours Paris) (Luciano Emmer) – 1951  Casque d’or (Jean Becker) – 1952  Nous sommes tous des assassins (André Cayatte) – 1953  Thérèse Raquin (Marcel Carné) – Quand tu liras cette lettre (Jean-Pierre Melville) – L’amour d’une femme (Jean Grémillon) – 1954  Navigation marchande (Georges Franju, CM, voix du récitant) – L’air de Paris (Marcel Carné) – To catch a thief (La main au collet) (Alfred Hitchcock) – 1955  Si Paris nous était conté (Sacha Guitry) – Soupçons (Pierre Billon) – 1956  La loi des rues (Ralph Habib) – Crime et châtiment (Georges Lampin) – Fukuaki no sheishun / La jeunesse aux pieds nus (Senkichi Taniguchi, inédit en France) – 1957  Méfiez-vous fillettes (Yves Allégret) – Filous et compagnie (Tony Saytor) – La bonne tisane (Hervé Bromberger) – Le piège (Charles Brabant) – 1958  Les tricheurs (Marcel Carné) – Amour, autocar et boîtes de nuit (Walter Kapps) – 1959  Le septième jour de Saint-Malo (Paul Mesnier) – 1960  Terrain vague (Marcel Carné) – La fête espagnole (Jean-Jacques Vierne) – 1961  Les menteurs (Edmond T. Gréville) – Ursus e la ragazza tartara (La fille des Tartares) (Remigio Del Grosso) – 1962  Du mouron pour les petits oiseaux (Marcel Carné) – L’accident (Edmond T. Gréville) – 1963  Le bluffeur (Sergio Gobbi) – I desparati della gloria (Parias de la gloire) (Henri Decoin) – 1964  L’étrange auto-stoppeuse (Jean Darcy & Raoul André, inédit) – 1965  L’or du duc (Jacques Baratier) – Trois chambres à Manhattan (Marcel Carné) – Pas de panique (Sergio Gobbi) – 2 + 5 : Missione Hydra (Destination : planète Hydra) (Pietro Francisci) – 1967  Les jeunes loups (Marcel Carné) – Le bal des voyous (Jean-Claude Dague) – 1968  Les enfants de Caïn (René Jolivet, CM, inédit) – Traquenards (Jean-François Davy) – Maîtres chiens (Christian-Jaque, film d’entreprise) – Le bourgeois gentil mec (Raoul André) – L’amour, oui ! mais… / Les confidences d’un patron d’hôtel (Philippe Schneider) – 1970  Kiss (Jean Le Vitte) – Les coups pour rien (Pierre Lambert) – Le mur de l’Atlantique (Marcel Camus) – Les assassins de l’ordre (Marcel Carné) – 1973  La merveilleuse visite (Marcel Carné) – Maître Pygmalion ou comment devenir un bon vendeur (Jacques Nahum & Hélène Durand, film d’entreprise) – Il faut vivre dangereusement (Claude Makoski) – 1975  El avispero (Ramón Barco) – 1977  Le casque (Roger Legrand, CM) – 1980  Arch of Triumph (Daniel Mann, film inachevé) – 1981  Salut, j’arrive (Gérard Poteau) – 1985  Carné, l’homme à la caméra (Christian-Jaque, documentaire, + scénario) – 1987  Bernadette (Jean Delannoy) – Le jardin d’Alice (Charles Tible, CM) – 1988  Éternelle prison (Medhi Nassradine Haddaoui, CM) – Pauvre petit garçon (Allan Wisniewski, CM) – 1989  La passion de Bernadette (Jean Delannoy, film inédit en salles) – 1990  Noce (Didier Decoin, CM) – Dames galantes (Jean-Charles Tacchella) – 1991  Langlois monumental (Jacques Richard, CM, documentaire) – 1992  Mouche (Marcel Carné, film inachevé). Nota : Il est parfois crédité à tort « Ah ! les belles bacchantes » (Jean Loubignac, 1954) –  « Annuaire biographique du cinéma et de la télévision » édition 1962-1963 (Contact-éditions) – et pour « Le fantôme d’Henri Langlois » (Jacques Richard, documentaire, 2004).

Télévision (notamment) : 1960  Surprise-partie chez Mme Azais (André Leroux, CM) – 1965  Les survivants (Dominique Genée) – 1966  Allô police : L’affaire Dreux (Dominique Genée) – 1968  Les contes du chat perché (Arlen Papazian) – 1969  S.O.S fréquence 17 : Chien à abattre (Christian-Jaque) – 1971  Madame êtes-vous libre (Jean-Paul Le Chanois) – 1974  Eugène Sue (Jacques Nahum) – 1975  Les grands détectives : L’inspecteur Wens : Six hommes morts (Jacques Nahum) – 1977  La poupée de Ploubalay (Daniel Martineau) – La vie de Roland Lesaffre (Jean-Daniel Christophe, documentaire) – 1980  Opération trafics : La sainte famille (Christian-Jaque) – Au bout du chemin (Daniel Martineau) – 1981  Mon ami Socia (Daniel Martineau) – Ultimatum (Georges Farrel) – 1988  Le retour d’Arsène Lupin : Le triangle d’or (Philippe Condroyer) – 1983  Cinéma 16 : Venise attendra (Daniel Martineau) – 1990  Édouard et ses filles (Michel Lang) – Le gang des tractions : La java bleue (François Rossini) – 1994  Les nouveaux exploits d’Arsène Lupin : La robe de diamants (Nicolas Ribowski) – 1995  Quatre pour un loyer (un épisode).

Roland Lesaffre sur le tournage de « Terrain vague »