Avant-première le jeudi 12 janvier, à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux du dernier film de Laurent Cantet, « Vers le sud », en sa présence. Avec Robin Campillo – réalisateur des « Revenants » -, il signe pour la première fois l’adaptation d’un roman de Dany Laferrière – déjà adapté en 1989 avec « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » une comédie canadienne de Jaques W. Benoît -, trouvé lors d’un séjour à Port-au-Prince, en république dominicaine. Le romancier qui récrit actuellement ses romans pour une édition complète a été coopératif et a donné matière à ce film. Haïti dans les années 70-80, une femme souhaite confier sa fille à un gérant d’hôtel et qui est d’une grande beauté. Devant le refus de ce dernier prénommé Albert – Lys Amboise excellent et fil conducteur du film qui est en fait graphiste de profession -, elle lui déclare « méfiez-vous des masques ». La vie touristique n’existant plus là bas on le comprend bien, le réalisateur a parlé très justement des contraintes, et de l’investissement personnel de la comédienne Charlotte Rampling. Le film est en suite centré sur trois touristes femmes voulant échapper à la société rigoriste anglo-saxonne d’alors. Et c’est bien une histoire de masques pour ces touristes, dont on devine que la vie est tout autres chez elles. Ellen, une enseignante de français à Boston joué par Charlotte Rampling, présente dès le début du projet, pour reprendre une expression retrouvée sur elle sur le web, pour qui le temps sur elle est une caresse, accueille Brenda. Cette dernière est jouée par Karen Young trouvée dans un casting et entrevu, il y a peu dans « Factotum », est une Américaine assez fragile.
Charlotte Rampling
Ellen aime à choquer ces interlocuteurs avec une grande crudité de langage, et elle s’amuse à dénigrer son amie Sue – Louise Portal -, avec une cruauté inouïe. Les deux femmes ont des sentiments assez forts avec Legba, gigolo de 18 ans – Ménothy César, un non professionnel qui a remporté le prix Marcello Mastroianni du comédien débutant à la 62e Mostra de Venise -. Il vend son corps et a une petite cour, Brenda a même connu son premier orgasme avec lui à 45 ans. Laurent Cantet cherche derrière un lieu très touristique et une plage magnifique à réfléchir sur le tourisme sexuel, l’arrogance de riches touristes profitant d’une situation de précarité et de danger permanent pour s’épanouir et lutter contre la frustration d’une société américaine.. Ici tout semble épargné, même si la réalité montre parfois son nez, comme deux « Tontons macoutes », humiliant un jeune vendeur de soda qui trimbale avec lui sa glacière. Il livre trois admirables portraits de femme, leur donnant à chacune des monologues où à l’instar de Françoise Lebrun, elles peuvent montrer leurs doutes et leurs faiblesses. Charlotte Rampling est comme toujours admirable, cachant sa vulnérabilité devant une sécheresse de cœur, bien que toujours très belle, son personnage souffre de trop de solitude, d’arpenter trop de bars de Boston pour finir seule. Karen Young montre une belle sensibilité dans un personnage borderline et romantique, qui semble étouffée par sa famille. On la devine névrosée et ses problèmes passent donc inaperçus dans cette société de masques. Saluons Louise Portal dans son rôle de Sue – Laurent Cantet saluait d’ailleurs son humilité face à ce rôle -, qui rend attachant son personnage et arrive à une grande justesse avec un personnage ingrat, en retrait et raisonnable. Le film lui doit beaucoup. Laurent Cantet – une présence sobre et un peu inquiète ce soir là – livre ici un constat amer sur la société des années 70, et en signant une adaptation littéraire trouve matière à continuer sa manière de décortiquer les mœurs avec une grande acuité et de confronter pros et non professionnels avec une retenue (trop peut-être) constante.