Vu hier « La maison de Nina » dernier film de Richard Dembo, mort prématurément à l’âge de 56 ans, le 11 novembre 2004, en plein montage de ce film. Un petit débat était organisé à l’UGC Cité-Ciné, à Bordeaux, à l’issue de ce film. C’est assez difficile de parler de ce film qui ne cède à aucun moment à l’émotion facile. On a du mal à comprendre le reproche fait de « distance », fait par certaines critiques, le mot juste étant trouvé par une spectatrice : la pudeur. Le film traite d’un événement assez méconnu de la Libération, les maisons d’enfants. C’était un havre pour recueillir les enfants juifs qui se cachaient durant l’occupation dans un premier temps, et les rescapés des camps nazis d’extermination, dans un second temps. Georges Pérec a d’ailleurs écrit un roman à ce sujet, sur sa propre expérience « W ou le souvenir d’enfance ». Elie Wiesel a été également un de ses enfants. Nina – Agnès Jaoui, excellente dans la justesse et l’émotion retenue -, s’occupe d’une de ses maisons avec autorité et compassion, instaurant un climat apaisant. Elle essaye avec l’aide des alliés de trouver des vivres et d’organiser la vie de la demeure avec des adultes de bonne volonté. Les rescapés des camps après 6 semaines, où ils ont pu un peu récupérer, viennent avec fracas dans cette petite communauté bien installée. La confrontation est assez violente, le nouveau groupe dirigé par un prénommé Gustav, ancien Kapo – étonnant Tómas Lemarquis, sorti tout droit d’un film expressionniste allemand -. Le sujet est délicat, on pouvait craindre quelques maladresses, à l’image du texte de Jacques Rivette « Le travelling de Kapò », qui avait tant marqué Serge Daney, sur l’abjection de la représentation des camps dans le film de Gillo Pontecorvo – confère Trafic N°4 -. Comment représenter l’irreprésentable, ici le retour des camps. L’écueil de la reconstitution de l’interdit moral de cette abomination est donc évité, c’est à souligner. L’écueil est évité, on peut penser qu’un enfant peut récupérer des forces assez rapidement, la gêne initiale se dissipe assez rapidement.
Agnès Jaoui
Le cinéaste pose habilement ce postulat de « Retour à la vie ». Il montre les difficultés à dire les récits de ce cauchemar absolu, la difficulté de retrouver les choses simples – l’odeur d’un vêtement en cuir, rappelant une odeur de mort pour un jeune adolescent, l’importance des non-dits ou de garder une culture – belle scène où le personnage de Nina, laïque, pose sur sa tête la mantille de sa grand-mère – . Le choix de la laïcité ou de garder la force d’une religion, montre la diversité des réactions après la Shoah, se détacher d’elle ou au contraire la faire perdurer pour reconstruire une identité meurtrie. Cet éloge de la vie est remarquablement subtil, Richard Dembo a gardé ce projet en tête de longues années. Mort prématurément c’est grâce à l’énergie des producteurs, et d’Agnès Jaoui, et des conseils avisés des cinéastes Costa-Gavras et Jean-Paul Rappeneau, d’avoir terminé la post-production. Il y avait beaucoup de matériel à monter, louons le talent de la monteuse Isabelle Devinck, d’avoir donné cette fluidité dans le récit. Le film n’est donc pas finalisé selon la volonté du metteur en scène, le film aurait été différent s’il avait vécu, mais le résultat final est remarquable. Le film met tous les personnages en égalité, ne choisit pas de privilégier un par rapport aux autres, et Agnès Jaoui s’intègre parfaitement à cette distribution nuancée. Des jeunes interprètes, reconnus – Lola Naymark, inoubliable dans « Brodeuses », Gaspard Ulliel…- ou non, sont d’une justesse remarquable. Les seconds rôles sont parfaitement campés, Gilles Gaston-Dreyfus en père retrouvant goût à la vie, Philippe Morier-Genoud en professeur bienveillant – sa participation est presque une citation à « Au revoir les enfants », Hubert Saint-Macary en chef de gare serviable, Jean-Pierre Becker en paysan roublard, Judith Henry résolue en mère adoptive, etc… Quelques personnalités comme Charles Berling, Yann Collette et Michel Jonasz – très belle scène où ce dernier entend d’un enfant rescapé qu’il peut pleurer pour lui – viennent aider le film. Ces maisons d’enfants sont restées ouvertes jusqu’aux années 60, Richard Dembo réussit à concilier le devoir de mémoire, tout en évoquant la difficulté de la transmettre et la qualité artistique. Ce film foncièrement honnête et probe, mérite qu’on s’y arrête. Sortie ce 12 octobre. Une internaute a consacré un blog à Agnès Jaoui, souhaitons-lui bon vent !
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