« L’homme de Londres » est un film à l’atmosphère plombé. Je visionne ce film oublié sur une VHS enregistrée sur Ciné-Cinéma. La VHS est une une ennemie sournoise, tapie dans l’ombre… qui se fait oublier… envahit votre appartement comme un acarien, et même étiquetée sommeille dans un coin dans l’attente d’une improbable vision. C’est l’os enfoui par un chien sous la terre, à visionner un été de disette cinématographique… La bête peut mal vieillir – la VHS a une durée de vie limitée – et pose des problèmes de stockage. Si vous avez des solutions actuelles contre ce mal, je suis preneur ! Je retrouve la présentation de Jean Olle-Laprune impeccable et érudite, qu’est-ce qu’il peut nous manquer celui là…, ça surligne encore plus les manques de l’actuelle « ouvreuse » comme disait Serge Daney qui sévit actuellement et dont je me suis gratuitement vengé dans une notule à la rancoeur merdique. L’occupation est loin d’être l’âge d’or du cinéma français, c’est ici un film de signé Henri Decoin en 1943, habile faiseur, Olle-Laprune nous rappelant le climat de cette époque et la sollicitation des Allemands pour l’oeuvre de Georges Simenon – 9 films adaptés, c’est le romancier le plus adapté derrière Balzac -. Josselyne Gaël venait de quitter Jules Berry pour vivre avec un tueur de la gestapo ! Le studio du tournage est visiblement exigu, mais le décorateur Pimenoff arrive à installer une atmosphère blafarde, quoi que très surchargée d’un petit port sous la bruine,. Tous est ici poissard à souhait, il ne manque même pas la sempiternelle chanteuse réaliste qui nous sort une lancinante chanson triste dans la rue. Ca pèse et ça finit par nuire de manière redondante à l’étude de moeurs décrite au scalpel par Georges Simenon.
Fernand Ledoux et Jules Berry
Charles Maloin, un modeste aiguilleur de train qui veille toute la nuit dans un poste de garde, lieu dans lequel il domine le port, rouspète et se défoule sur sa petite famille. C’est Fernand Ledoux, ce comédien belge, naturalisé français, me semble un des plus grands comédiens de son temps. Dans un personnage dont la raison vacille, il est ici d’une humanité extraordinaire, d’une grande justesse et arrive à donner corps à ses monologues et traduire une inquiétude sourde qu’il provoque auprès de ses proches. Sa vie est routinière avant l’arrivée, deux affreux malfaiteurs, Brown, un ancien clown fatigué – Jules Berry magistral traînant une mélancolie durant tout le film – et Teddy – l’excellent et sobre Gaston Modot – qui plaît beaucoup à l’entraîneuse du bar local – Suzy Prim, ancienne compagne de Berry d’ailleurs, touchante « fille de joie » romantique et carburant à la menthe à l’eau » -… Le film finit par perdre l’installation de l’angoisse du début, les voix intérieures de Charles sont assez lourdes. Mais la fatalité Simenonienne veille sur ses personnages et on se laisse attraper tout de même sur cette morne adaptation, grâce à Fernand Ledoux, son registre détonnant singulièrement avec le voleur de scènes, Jules Berry, toujours superbe, son jeu étant un régal. Son personnage de Brown est odieux à souhait. On soupçonne d’ailleurs l’étendue de sa duplicité en voyant les réactions de sa femme qui finit par lui garder sa tendresse, même quand on lui informe de la double vie de son mari. Reste comme toujours dans ces années là de formidables « excentriques du cinéma français », René Génin, aiguilleur prêcheur et moraliste, Héléna Manson, en Mme Maloin, pour une fois sympathique supportant les sautes d’humeurs de son mari, Alexandre Rignault en collègue de Malouin, futur père inquiet, Jean Brochard en inspecteur guindé, Mony Dalmès en fille sage de Charles, René Bergeron en beau-frère suffisant et la méconnue Made Siamé en patronne d’hôtel curieuse. Henri Decoin devait réussir une meilleure adaptation de l’oeuvre de Simenon en 1951, « La vérité sur Bébé Donge » avec Danielle Darrieux et Jean Gabin que l’on peut aisément qualifier de chef d’oeuvre…
Commentaires ancien blog
bogart (20.8.05 13:54)
Salut grand cinéphage.Simenon au cinéma c’est une vraie saga comme tu l’as bien dit.Je suis aussi un amateur de Simenon et de son regard sur les secrets enfouis chez chacun de nous.Ce qui m’a toujours étonné est l’extarordinaire amitié qui l’a longtemps lié à Fellini depuis la récompense arrachée par Simenon pour la Dolce Vita à Cannes.Extraordinaire de penser que l’univers de l’homme des brumes,des canaux et des petites ou grandes bassesses inhérentes à l’humain ait pu rencontrer celui du grand montreur d’images baroques et délirantes avec ses anges,ses fêtes et
ses nuits romaines.L’axe Liège-Rimini:inattendu mais passionnant.
(21.8.05 00:03)
Salut grand bogartien, c’est très juste, et pourtant Fellini détestait le personnage de Casanova, quand on connaît le nombre conquêtes du grand Georges…
la chanteuse réaliste
Bonjour à vous.
Comme vous l’indiquez judicieusement dans votre article il y a une chanteuse réaliste dans ce film .Ne possédant pas la vhs de ce film il y a pas mal de temps que je suis à la recherche de cette mystérieuse chanteuse gouléliante et noire à souhait.
Serait il possible de me communiquer le nom de cette chanteuse qui ne doit pas manquer d’étre mentionnée au générique.
Je vous remercie d’avance.
Bonnes fétes.
Nila Cara
Voici la réponse un peu tardive, c’est Nila Cara, information que l’on retrouve dans les indispensables catalogues de Raymond Chirat.
Jules Berry de ma jeunesse
Je n’ai que 39 ans mais j’ai été marqué à la télévision par ce film de Decoin grâce à l’interprétation d’une excellente troupe de comédiens dont l’unique Jules Berry. Je ne veux pas passer pour un nostalgique bête et stupide du cinéma de grand-papa mais je me demande quel comédien actuel pourrait reprendre le jeu de Berry. Dans « L’homme de Londres », Quand Suzy Prim lui demande à la table du café s’il fait rigoler les gens avec sa profession de clown, le grand Jules rétorque « non, les gens rigolent de moi! » et il se tord son chapeau en rigolant brièvement. Cette scène est exceptionnelle!
Pascal Djemaa, journaliste et auteur de « Fernandel, mon père » avec Franck Fernandel aux Editions Autres Temps.
Grandiose
Jules Berry est vraiment un acteur grandiose, il est aussi formidable dans « Le crime de monsieur Lange » quand déguisé en prêtre et mourant… il demande un prêtre. Quand Jane Marken avait quitté ce grand cavaleur, elle lui avait déclaré « J’ai assez ri ». Cette nostalgie n’est pour moi ni bête ni stupide, je la partage, en ayant aussi 39 ans… comme quoi…