Annonce hier de la mort de Maria Schell, son sourire – quoique souvent raillé – était inimitable. René Clément avait eu l’intelligence de ne pas la doubler dans « Gervaise », où elle se battait avec Suzy Delair. Elle avait une tristesse dans son regard, mais avec de la malice, comme dans son rôle de mère de Marthe Keller, dans « Le diable par la queue » (Philippe de Broca, 1968). Elle avait obtenu le prix de la meilleure interprétation féminine à Cannes.

A lire le portrait de Philippe Pelletier dans Les gens du cinéma

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Nécrologie par Jean-Luc Douin

Maria Schell, actrice autrichienne, de Guitry à Visconti

LE MONDE | 27.04.05 | 14h20  •  Mis à jour le 27.04.05 | 14h49

Article paru dans l’édition du 28.04.05

L’actrice autrichienne Maria Schell est morte, mardi 26 avril, dans le sud de l’Autriche. Elle était âgée de 79 ans.

Née Margarete Schell-Noë le 15 janvier 1926 à Vienne, d’un père écrivain et d’une mère actrice, Maria Schell avait quitté son pays d’origine en 1938 pour venir s’installer en Suisse avec ses parents et son frère cadet Maximilian, qui, comme elle, fera carrière dans le cinéma, comme comédien puis réalisateur. Maria Schell débute dès son arrivée en Suisse, revient à Vienne en 1949, puis s’installe en Angleterre car elle a signé un contrat avec Alexandre Korda.

Sacha Guitry est le premier à la faire tourner en France : elle est l’archiduchesse dans Napoléon (1954). Cette même année, elle obtient le prix d’interprétation à Cannes pour son rôle dans Le Dernier Pont de son compatriote Helmut Kautner, où elle interprète une femme médecin de l’armée allemande kidnappée par des partisans yougoslaves.

Après Les Rats de Robert Siodmak (1955), Gervaise de René Clément (1955), Nuits blanches de Luchino Visconti (1957), Hollywood l’appelle. Elle y tourne Les Frères Karamazov de Richard Brooks (1958), La Colline des potences de Delmer Daves (1960), La Ruée vers l’Ouest d’Anthony Mann (1960). Alexandre Astruc lui offre son plus grand rôle : celui de l’héroïne d’Une vie (1958), d’après Guy de Maupassant.

Maria Schell est alors l’incarnation de la jeune fille blonde et pure au sourire désarmant, dotée d’une pointe d’accent. Mais c’est son regard, surtout, qui subjugue, et Jean-Luc Godard, dans les Cahiers du cinéma, évoque à propos de ce film « les yeux de Maria Schell bleu Ramuz » .

Sa carrière internationale continue par L’assassin connaît la musique de Pierre Chenal (1963), Le Diable par la queue de Philippe de Broca (1968), Dans la poussière du soleil de Richard Balducci (1971), Dossier Odessa de Ronald Neame (1974), Le Voyage des damnés de Stuart Rosenberg (1976), Folies bourgeoises de Claude Chabrol (1976), Gigolo de David Hemmings (1978), Superman de Richard Donner (1978), La Passante du Sans-Souci de Jacques Rouffio (1981).

Parallèlement, Maria Schell joue au théâtre, entre autres dans Le Retour de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt. On disait Maria Schell totalement démunie depuis des années, malade. Son frère Maximilian lui avait consacré une biographie télévisée avant de mourir lui-même en 2000.

 Maria Schell dans « Gervaise »

LE FIGARO par Dominique Borde 28/04/2005

Maria Schell, l’actrice de théâtre et de cinéma autrichienne, vient de disparaître à l’âge 79 ans. Née Margharete Schell-Noe en 1926 à Vienne d’un père écrivain et d’une mère actrice, elle quitte l’Autriche au moment de l’Anschluss pour s’installer en Suisse. C’est là, en 1942, qu’elle fait ses débuts au cinéma après être apparue au théâtre dans Faust et Romeo et Juliette. Six ans plus tard, elle commence une carrière internationale. Avec un physique de gretchen saine et naïve, elle respire la santé, l’enthousiasme mais inspire plus l’émotion, voire la compassion que le désir.

Est-ce ses grands yeux bleus limpides qui semblent toujours s’étonner ? Ou ce visage plein et carré à la bouche à peine trop grande, au nez légèrement épaté ? D’emblée, elle exprime moins la beauté bouleversante que la candeur, moins la séduction que l’ingénuité. C’est ce qui la vouera aux rôles dramatiques. Souffrante, éplorée, véhémente, victime désignée des destins torturés, elle est le contraire d’une femme fatale, mais plutôt une héroïne qui trébuche sur la fatalité. En 1954, elle obtient un prix au Festival de Cannes pour son rôle dans Le Dernier Pont de son compatriote Helmut Kaütner. En France, elle traverse au milieu d’autres vedettes, le Napoléon de Guitry pour incarner, bien sûr, l’Autrichienne Marie-Louise face à Raymond Pellegrin. Mais c’est surtout Gervaise de René Clément inspiré de L’Assommoir de Zola qui la fait connaître en France.

Pauvresse pathétique, épouse humiliée sacrifiant sa vie, son amant Lantier et son bonheur au couvreur alcoolique Coupeau, elle est le symbole féminin des malédictions et des inégalités sociales. Ce rôle, où elle refuse de faire doubler sa voix, lui vaut la célébrité et un prix d’interprétation à Venise en 1956. Devenue après Lil Dagover, Brigitte Helm, Marlene Dietrich, et avant Romy Schneider, l’actrice germanique la plus célèbre du cinéma, elle apparaît aussi dans Une vie d’Alexandre Astruc inspiré de Maupassant. Mais elle délaisse les égéries littéraires françaises quand elle est engagée par la MGM après joué dans Nuits blanches de Visconti. Elle rejoint alors Hollywood pour se jeter dans les bras de Yul Brynner dans Les Frères Karamazov, ou de Gary Cooper pour La Colline des potences. En 1959, elle accepte même de vieillir de soixante ans en deux heures pour accompagner Glenn Ford dans le western La Ruée vers l’Ouest.

Mais, à l’approche de la quarantaine, l’ingénue blessée doit se reconvertir. La gretchen émue est mûre pour jouer les walkyries. Une reconversion difficile au cinéma. Elle revient donc en Allemagne et il faudra attendre 1968 pour la revoir dans un film français. C’est la délicieuse comédie de Philippe de Broca, Le Diable par la queue. Quadragénaire pétulante et sensuelle, elle succombe au charme canaille du truand Yves Montand au fond d’un château en ruine entre Madeleine Renaud, Rochefort, Marielle et sa compatriote débutante Marthe Keller. Est-ce un signe ? La belle éplorée est devenu une femme plantureuse et coquine. L’oeil est moins larmoyant qu’allumeur, l’attitude enfin provocante. Mais il est trop tard pour que la métamorphose engendre une nouvelle carrière de vedette.

On la revoit encore dans des productions comme Le Dossier Odessa aux côtés de son frère cadet Maximilien, ou Le Voyage des damnés. Elle fait aussi une petite incursion dans le monde de Chabrol pour Les Folies bourgeoises avant de jouer les guest-stars dans Superman. La soixantaine venue, elle se fixe en Allemagne pour se partager entre le théâtre (La Visite de la vieille dame de Dürrenmatt), quelques participations au cinéma et surtout la télévision où elle tourne de nombreux téléfilms (Samson et Dalilah, Le Dernier Mot, Maria des eaux vives…). En France sa dernière apparition sera dans La Passante du sans-souci de Jacques Rouffio où elle rencontre très symboliquement l’actrice allemande qui lui a succédé, Romy Schneider.

«Schell qu’on aime», comme on la surnommait facilement, mais qu’on aimait surtout voir traverser drames et mélodrames pour porter tout le poids du malheur du monde, aura comme tant d’autres incarné un moment du cinéma et une image de la féminité. Une manière d’antivamp pour se rapprocher et refléter des femmes plus ordinaires comme magnifiées ou sacralisées par le destin. Et plus loin aussi une image déchirée de l’Allemagne où les jolies gretchens avaient plus envie de pleurer et d’apitoyer que de séduire.

Maria Schell

LIBÉRATION

Maria Schell, d’«Une vie» à trépas, par Didier Péron, jeudi 28 avril 2005
L’actrice autrichienne est morte mardi à 79 ans.

L’actrice Maria Schell est morte mardi à l’âge de 79 ans, dans le sud de l’Autriche. Elle était née à Vienne en 1926, dans une famille d’écrivains et d’acteurs qui fuiront le régime nazi en 1938 pour s’installer en Suisse. C’est là qu’elle débute au cinéma, en 1942, dans Steitbruch de Sigfrit Steiner. Mais elle ne connaît la reconnaissance qu’après-guerre, grâce au film le Dernier Pont (1954) de Helmut Kautner, où elle interprète une jeune infirmière allemande enlevée pendant l’été 1943 par des partisans yougoslaves, afin qu’elle soigne leurs blessés. Elle reçoit un prix à Cannes, qui lui ouvre les portes du cinéma international.

Pathos. Maria Schell est alors dirigée pendant une dizaine d’années par quelques-uns des cinéastes les plus en vue aussi bien en Europe qu’à Hollywood : Sacha Guitry (Napoléon), Luchino Visconti (Nuits blanches avec Marcello Mastroianni), René Clément (Gervaise, prix d’interprétation à Venise), Robert Siodmack (les Rats), Delmer Daves (la Colline des potences, au côté de Gary Cooper), Antony Mann (la Ruée vers l’Ouest), etc.

Blonde, les yeux clairs, elle excelle dans le registre de la femme vaillante mais laminée par le destin ou la brutalité des hommes : Mère Courage d’après Zola dans Gervaise, ou encore femme trompée dans Une vie d’Alexandre Astruc d’après Maupassant. Sa notoriété est alors à son comble avec un jeu volontiers paroxystique, ultrasensible, travaillant sur les états limites du mélo et du pathos.

A l’orée des années 60, avec le déclin du système des studios aux Etats-Unis et un renouvellement sauvage du personnel cinématographique français, sous les assauts de la nouvelle vague, sa carrière connaît un net ralentissement. Elle atterrit dans les productions espagnoles série Z de Jesus Franco (99 mujeres ou Il trono di fuoco), décroche un second rôle dans un mauvais Chabrol (Folies bourgeoises), cachetonne dans de nombreux téléfilms allemands et figure au générique de la superproduction Superman de Richard Donner où elle explose avec la planète Kripton dès la première demi-heure ­ en même temps que Marlon Brando. Elle donne la réplique à David Bowie dans Just a Gigolo de David Hemmings et croise son alter ego Romy Schneider dans la Passante du Sans-Souci de Jacques Rouffio.

Recluse. En 2002, son frère, Maximilian Schell, lui consacre un étrange documentaire, My Sister Maria, qui la montre recluse dans la propriété familiale nichée dans la campagne autrichienne. Maria Schell y apparaît diminuée, souffrant de troubles maniaco-dépressifs, passant ses journées au lit à regarder la télévision. La star semble enfermée dans ses souvenirs de gloire, à la manière de la Gloria Swanson de Boulevard du crépuscule.