Et voici le phénomène canadien « C.R.A.Z.Y. », ce qui me laisse un peu dubitatif – c’est grave docteur ? -, une petite déception étant au rendez-vous face à un bouche à oreille presque unanimement enthousiaste. On retrouve donc une saga familiale, chère au cinéma canadien, si l’on se souvient de la famille « Les Plouffe » dans les années 80. Si le fond peut s’avérer touchant, la forme, faussement virtuose, me semble être loin de la poésie et de l’inventivité d’un Jean-Claude Lauzon si l’on pense au beau « Léolo », Jean-Marc Vallée nous servant une esbrouffe de mise en scène certes efficace, qui semble toucher beaucoup de personnes, mais m’a personnellement laissé un peu à la porte. Il me semble un peu recycler les effets modes actuels, pompant sans vergogne par exemple « Six feet under », série novatrice, en faisant visualiser les fantasmes des personnages, comme scènes de la messe, où pour tromper son ennuie Zachary s’imagine léviter au milieu des fidèles avant de faire un numéro musical au son de « Sympathy for the Devil » des Rolling Stones. Le film finit par perdre son rythme dans ces effets divers. Reste le portrait en creux de la société canadienne, sur trois décennies, est lui plutôt réussit – le scénario s’inspire de la propre vie du co-scénariste François Boulay. Le portrait de cette famille est attachant, et évite la caricature. Le personnage central est celui Zachary Beaulieu – belle révélation de Marc-André Grondin, promis à une carrière internationale -, né le 25 décembre 1960, donc déjà un peu à part, dont la sensibilité va être malmenée – il est le quatrième de 4 garçons, figures stéréotypées de rigueur : « L’intello », « le sportif »… -, et dont l’homosexualité va rebuter son père, réactionnaire bourru et psychorigide. L’évocation des années 70,  – les indispensables « pattes d’éph », notamment aidant allégrement à traverser le temps -, le charme discret du vinyle, rien ne manquant à l’appel, la reconstitution est alerte et crédible. L’étouffement ressenti dans une société catholique, ponctué par l’ennui probant d’une messe, est habilement figurée.

Michel Côté

On suit le personnage de Zach, de l’enfance à l’âge adulte, dans ses doutes, ses affres, ses traumatismes – il fait souvent pipi au lit, et sa manière de s’assumer tout en voulant garder l’estime de son père sclérosant sans se renier. Le cinéaste cède parfois à la facilité d’une B.O. représentative – c’est le travers roublard de bien des films désormais (refrain connu) -, mais de Patsy Cline, David Bowie, en passant par les Pink Floyd ou les Rolling Stones, sont judicieux pour retracer cette période. Ne manque ni les pétards, ni le touche-pipi, les rivalités et les humiliations diverses entre frères. Les tabous éclatent désormais au grand dam du père furibard, de voir son aîné sombrer dans la drogue, et les choix de Zacharie l’indigne -. Évidemment on va retrouver sur le tard, son côté attachant même dans le ridicule du paternel bourru – il massacre régulièrement les chansons de Charles Aznavour -, mais les rapports entre Zachary et lui, sa manière de vouloir attirer sa grâce quitte à renier sa personnalité profonde est très subtile. Le film évite aussi le folklore, même si on se régale à découvrir – avec sous-titres – quelques expressions locales comme « Manger des graines »,, signifiant la fellation, et les petites manies de cette famille déglinguée – irrésistible préparation par la mère des toasts… au fer à repasser -. L’interprétation est la grande force de ce film, saluons notamment Michel Côté et Danielle Proulx, – cette dernière passant son temps avec malice à vouloir calmer son petit monde turbulent -, dans le rôle des parents, Gervais et Laurianne. Mais on peut se demander si ce film, souffrant de quelques longueurs, valait cet excès d’honneur – succès historique au Québec, et 13 jutras – Les césars canadiens – du meilleur film. Reste le plaisir de retrouver un peu du cinéma québécois si mal distribué en France ces derniers temps.