« Keane » quatrième film de Lodge Kerrigan est un film âpre, poignant et déstabilisant. Moins accessible de « Claire Donan », le parti pris du metteur en scène est de suivre dans sa pathologie le personnage de William Keane en plan serré et de ce fait nous donne à partager sa souffrance sans nous laisser d’échappatoire, les décors étant neutres ou dans le flou. La tension domine ce film, qui peut déstabiliser à l’instar de mon voisin de fauteuil, qui devait trouver le temps long, regardait sa montre, et sautait comme un cabri pour marquer sa désapprobation vis à vis de sa femme qu’il avait accompagnée. Qu’il soit passé à côté d’un grand film tant pis pour lui, humainement il n’en valait pas la peine. La vision prenante et sidérante de ce film qui supporte tel traitement avec un tel voisinage ne peut que mériter le respect. Le personnage du film revient avec une coupure de presse sur les lieux de la disparition de sa fille, histoire de trouver un élément moteur et peut-être pour l’aider dans son travail du deuil. Les degrés de lecture du film sont suffisamment rires pour qu’une ambiguïté  demeure sur la véracité des faits réels, mais le plus admirable est la lutte de chaque instant de cet homme meurtri, seul et survolté, malgré son incapacité à gérer la souffrance.

Damian Lewis

Comme disait Jean-Luc Godard, « c’est la marge qui tient le cahier », le film montre aussi notre incapacité à faire preuve d’empathie envers une personne au comportement déroutant, William Keane doit seul chercher son salut, trouver des exutoires, seul la rencontre d’une petite fille de 7 ans – l’âge de sa fille – la petite Abigail Breslin, très juste -, lui redonne espoir. On le sent près à basculer dans la tragédie à tout instant. Le film gagne en intensité, de par son regard clinique, et la très subtile et formidable prestation du comédien Damian Lewis, qui nous donne une empathie presque immédiate avec son personnage, dans ses dérives, ses soliloques, sa rage de garder son identité et son évolution. Son jeu naturaliste est dû à de nombreuses répétitions. Le résultat est suffisamment fort, pour que l’on oublie toute velléité d’un effort de la composition, pour arriver à la vérité du personnage. Ce témoignage accablant de notre société moderne est un film brûlant, sincère et très fort et est l’un des rendez-vous les plus forts de cette année au cinéma.