En 1982, dans « Cinéma 82 » N° 278, Frantz Gévaudan titrait un article, Pierre Étaix, cinéaste maudit, déplorant la difficulté de ce cinéaste à faire œuvre de créateur. Jacques Tati, avait eu le même problème sur la fin de sa vie, son originalité trouvant des difficultés à s’exprimer dans le tout venant de la comédie française. Le génie de Pierre Étaix est reconnu heureusement, ses talents multiples n’en finissent pas de nous réjouir, comme en témoigne le magnifique ouvrage « Étaix dessine Tati » (Éditions ACR), paru en novembre 2007, montrant une contribution fructueuse entre ces deux artistes de 1954 à 1956. Mais plus de 25 ans plus tard que cet article, la malchance perdure, on pouvait espérer une meilleure diffusion de ses films après la restauration de « Yoyo » (1964), par la fondation Groupama Gan, qui fut représenté l’an dernier à la cinémathèque, voir le blog de Serge Toubiana. Les films d’Étaix, sont à la fois poétiques et dans la grande tradition du Splastick, Jerry Lewis ne manque pas de rendre hommage à ce grand créateur qui aime à se définir comme un clown : » deux fois dans ma vie, j’ai compris ce qu’etait le génie, la première fois en regardant la définition dans le dictionnaire et la seconde fois en rencontrant Pierre Étaix… » . Ces dernières années ont été difficiles pour lui, il n’a eu l’occasion que de faire une captation de sa pièce « L’âge de monsieur est avancé » (1987), pour la télévision, avec lui même, Nicole Calfan et Jean Carmet, et « J’écris dans l’espace », tourné pour le Futuroscope de Poitiers, avec un objectif grand angle, visant à utiliser le procédé Imax-Onimax. Mais nombre de ses projets furent avortés, notamment « Nom de Dieu », qu’il devait faire avec Coluche, mort avant le tournage. Le souci actuel est que Pierre Étaix et Jean-Claude Carrière ont signé un contrat de confiance – un document de travail en fait -, avec le frère de leur avocate, ce dernier s’annonçant comme diffuseur de courts-métrages. Mais après 30 mois sans nouvelles, ils s’aperçoivent qu’ils ne peuvent plus diffuser leurs films, même si la femme de Paul Claudon, producteur décédé des 5 longs-métrages d’Étaix, a toujours les droits ! Un imbroglio assez incroyable, lire la revue de presse du site de soutien Les films d’Étaix. L’article de Charlie Hebdo que l’on peut y lire, émeut Laurent Ruquier, il convie donc Pierre Étaix et Jean-Claude Carrière à s’exprimer devant cette incongruité dans « On n’est pas couché » du 2 février dernier – rendons hommage à cet animateur, on n’imagine pas un Laurent Weil en faire de même – . Ils ne savent pas s’ils ont à faire à une société fantôme -, Étaix dévoile que ces déboires ne pouvaient arriver qu’à un clown… Alerté par l’excellent forum qui lui est consacré dans DVD Classik, j’ai profité de la rediffusion de « On n’est pas couché » sur TV5, pour apprécier l’élégance et l’humour de Pierre Etaix et de Jean-Claude Carrière. Il y avait un moment ahurissant quand Etaix évoque un certain ancien ministre de la culture, qu’il appelle « M. Nom de Dieu de Vabres », qui l’avait fait mourir dans l’un de ses discours… Selon Jean-Claude Carrière, Etaix lui a répondu avec humour par une lettre d’outre-tombe !
Je repensais au début de son entretien avec Éric Leguèbe dans son beau livre « Confessions, un siècle de cinéma français par ceux qui l’ont fait » (Ifranc éditions, 1995), une belle leçon de vie : « Je me souviens que quand j’ai commencé au music-hall, j’avais préparé un numéro auquel je croyais vraiment. J’étais persuadé qu’il ferait un triomphe. J’ai fait le levé de rieau. Personne n’a applaudi… Je me suis alors dit : « Mon Dieu dans quelle galère me suis-je donc embarqué ? Je me suis complètement fourvoyé. Pourtant, je suis sur que l’idée est la bonne ». Jour après jour je n’ai cessé de me répéter : « Il faut que je me batte. » Cela a duré trois ans, au cours desquels je me suis payé des bides monstrueux, au point de me demander ce qui m’arrivait, de douter de plus en plus. J’en étais arrivé à ne plus avoir envie de persévérer dans ce métier. Il devenait un pensum. J’ai tout remis en cause. Je ne cessais pour autant de travailler sur mon idée, en avançant, en retardant les éléments. Finalement, Jacques Tati qui aallait présenter « Jour de fête » à L’Olympia, m’a pris pour son spectacle, m »y réservant un créneau idéal. La salle était comble. Et là, tout le monde a éclaté de rire. Quelle récompense, quelle joie, indescritibles. Enfin, j’ai pu me dire que je ne m’étais pas trompé, que ce que j’avais monté n’intéressait pas que moi. Vous savez, c’est très dur quand on est envahi par le doute. Cela dit, je plais ceux qui ne sont jamais harcellés par le doute. Mais il ne faut pas non plus que ce doute vous paralyse. Douter c’est très bien, uniquement dans la mesure où ça fait partie des choses de la vie. A partir du moment où ce sentiment prend le pas, plus rien ne rime à rien. Si toutes les portes autour de vous sont fermées, c’est le désespoir de la solitude. Alors ces portes, il faut les enfoncer par la force de vos convictions. C’est là, la grande leçon donnée par Boileau : cent fois sur le métier remettez votre ouvrage. Une idée, un sujet, ne vivent que tant que vous y travaillez. ». Il est alors utile et salutaire de faire oeuvre de passeur pour ce grand cinéaste trop malchanceux. Il y a une pétition importante à signer, http://www.ipetitions.com/petition/lesfilmsdetaix/ en contactant quelques amis cinéphiles, je m’aperçois qu’elle émeut beaucoup de personnes. Au moins, il y a un peu matière à consolation par les commentaires laudateurs. Soyons optimistes, et aidons les à enforcer ces satanées portes par la force de ses convictions, pour ceux, nombreux, qui rêvent de (re)découvrir ses films.