Ce film dédié à Pier Paolo Pasolini, dont on sent bien l’influence aussi bien politique que cinématographique. Entre « Los olvidados », « Pixote » et « Yol », Yilmaz Arslan, le réalisateur dépeint de manière implacable, le destin de deux jeunes kurdes, lIbo, un orphelin âgé de 9 ans, et trop mûr pour son âge, suite à un drame terrible. Il est obligé de quitter son grand-père pour intégrer un foyer d’accueil, en Allemagne et l’autre, plus âgé Azad qui va le prendre sous sa protection. Ce dernier est assez autonome, ne souhaitant pas dépendre de son frère qu’il juge indigne, un proxenète violent manipulant ses compatriotes femmes dans l’adversité, pour mieux les rendre opérationnelle. A la fratrie de sang refusée par Azad, se substitut celle avec Ibo, une solidarité indéfectible naît ainsi. Le foyer est bien encadré et régit par des règles. Mais les deux jeunes n’attendent pourtant peu de compassion, ils sont trop habitués à être livrés à eux mêmes. Azad ne veut pas d’un argent sale pour aider sa famille restée en Turquie, et il est fier d’être autonome, en rasant des quidams dans des toilettes de restaurant sordides, mais presque convenable, car il y a de l’eau courante. Le destin s’en même, révélant un monde d’une cruauté inouïe, où même le fait de partager les mêmes origines, n’est aucunement un gage de solidarité, mais au contraire est un révélateur de vieilles rancœurs qui ne demandent qu’à ce réveiller.
Xewat Gectan
L’humanité est très sombre, le petit Ibo – sa souffrance est commentée par l’enfant lui même qui intervient comme récitant -, kurde est presque déterminé à souffrir, aussi bien dans l’aridité de son lieu de naissance, comme dans une Allemagne repue. Azad tente de l’aider, lui donne même un peu d’argent, et devant son refus fier, il feint d’avoir trouvé de l’argent par terre. L’histoire bascule dans la tragédie, dans un climat de haine primitive. Son réalisateur, touché par la grâce de ces jeunes interprètes, en profite pour dénoncer le communautarisme, à l’exemple de la révolte d’Azad, qui déplore que ses compatriotes chérissent plus les morts, pour respecter la coutume, plutôt que les vivants, réduits à un semblant de compassion. On peut déplorer cependant une certaine complaisance avec la violence, visiblement voulue pour déstabiliser le spectateur, et une référence un peu surlignée au film de John Schlesinger « Macadam cowboy », finissent parfois par révéler l’artifice de l’ensemble, mais que compense une évidente sincérité. Le cinéaste évite tout naturalisme et tout misérabilisme. D’où quelques moments salutaires, comme la part d’enfance retrouvée par le jeune Ibo, avec une animation des personnages dessinés à la craie, sur un tableau, et la fratrie des deux personnages principaux qui s’épaulent dans l’adversité, interprétés avec humanité par Xewat Gectan, le plus jeune qui a reçu la mention spéciale du festival de Locarno en 2005 pour son rôle et Erdal Celik, tout en colère rentrée. Le réalisateur a choisi le biais de la fiction, mais il reste proche du quotidien. Son constat social est amer, mais un petit souffle d’humanité naît entre ses enfants perdus, proche de ceux de « Bouge pas, meurs et ressuscite » de Kanevski. Trop dans la survie pour se lamenter sur leurs sorts, ils finissent pas gagner une dignité exemplaire. Poignants et solidaires, ils grandiront ensemble. Un cinéaste en rage, à suivre de toute évidence.