En souvenir de la « Rose pourpre du Caire » où Jeff Daniels descendait de l’écran, c’était très émouvant de voir Woody Allen faire l’effort de venir présenter en français son film « Melinda et Melinda » en décembre 2004, à l’UGC Cité-Ciné. C’était très furtif, mais il déclarait avec autodérision, que si la vision de son film s’avérait « traumatique » (sic) l’on pouvait attendre son prochain, déjà tourné, film que voici : « Match-Point ».

 

Woody Allen à Bordeaux, le 21 décembre 2004, photo Fabien Cotterau (Sud-Ouest)

Ce film me semble moins novateur que l’on veut bien le dire, le metteur en scène remplaçant New York par Londres, et le jazz par Verdi. Ce qui n’enlève d’ailleurs rien à sa réussite, mais disons qu’il faisait preuve de plus d’audaces dans « Melinda & Melinda ». En fait ce portrait d’un jeune arriviste sans scrupules est la reprise du personnage de Judah Rosenthal – Magistral Martin Landau -, dans un de ses chefs d’oeuvre « Crimes et délits » (1989). Il y dressait un portrait lucide de ce personnage antipathique, qu’il opposait à celui d’un réalisateur en crise joué par lui-même. Le film est un petit bijou, la comédienne Scarlett Johansson, semblant lui avoir insufflé une énergie nouvelle. Il l’utilise d’une manière sensuelle. Jonathan Rhys-Meyer, un poil falot est formidablement utilisé pour camper ce personnage haïssable, conscient de ces limites, mais qui manipule son entourage pour arriver à ses fins. Chris, son personnage est un joueur de tennis doué mais sans génie et qui vient d’un milieu modeste. Il va devenir professeur dans une école huppée, et profiter rapidement de son charisme pour prendre le fameux « ascenseur social » – « out of order » chez nous semble nous dire l’actualité -. Chris se partage entre sa femme Chloe, qui participe pour lui à un mariage de raison et la volcanique Nola Rice – Scarlett Johansson -. Mais comme les caprices du hasard, le destin peut être versatile… Il est comparé ici à une balle qui franchit le filet, sans que l’on sache le camp qu’elle va choisir.

Emily Mortimer, Jonathan Rhys-Meyer & Scarlett Johansson, appréciez les distances…

La tension sexuelle avec elle est formidablement rendue, on a d’ailleurs rarement trouvé cette sensualité ainsi exacerbée dans son œuvre.  Woody Allen avec beaucoup de mordant fait valser les convenances et semble avoir bien ciblé les états d’âmes de la bonne société anglaise, ce qui a d’ailleurs suscité des polémiques à Londres si je me souviens bien d’un article paru dans « Télérama ». Il y a un jeu sur les clichés, les parents de Chloe acceptant Chris parce qu’il fait bonne figure et bien « sur le tableau de chasse ». Woody Allen installe une brillante topograhie des faux-semblants, contre une philosophie de vie attendue. Des décors luxueux et déshumanisés, et une utilisation brillante de l’Opéra, parachèvent cette réflexion teintée d’humour noir, des choix que l’on peut avoir à faire dans la vie. Le reste de la distribution est particulièrement brillante, de Brian Cox en grand bourgeois aisé, mais détaché, Emily Mortimer dans le rôle de Choe, sa fille, est charmante et digne, Matthew Goode en fils à papa suffisant, et Penelope Wilton est irrésistible en belle-mère à principes. Cette satire détournement amusée d’une improbable tragédie grecque, est à compter dans les grandes réussites du metteur en scène.