Emballé ! Il y avait hier soir, une avant-première à l’UGC Cité-Ciné du film « Virgil » premier long-métrage de Mabrouk El Mechri, en sa présence ainsi que celles de Jean-Pierre Cassel, Jalil Lespert, Tomer Sisler et celle surprise de Kader Belkhadra. Et pour un coup d’essai c’est un coup de maître. C’est un film que l’on peut rapprocher aux « Mauvais joueurs », un des meilleurs films de cette année, signé Frédéric Balekhdjian, avec également une mise en scène au cordeau et à l’énergie. Mabroul El Mechri utilise avec virtuosité les codes du film noir et du film de boxe – on pense évidemment à « Nous avons gagné ce soir » chef d’œuvre de Robert Wise (1949), dont il parle volontiers en citant son titre original « The setup » – qui donne ici son nom à une boîte de nuit -. Il cite également le premier Rocky, mais loin de faire preuve d’un exercice de style, il s’approprie complètement ce film, les références de ce grand connaisseur de cinéma, ne l’aidant qu’à mieux confirmer son style. La bande son travaillée par Frédéric Verrière – rencontré pour avoir fait la musique d’un film avec Lon Chaney -, nous plonge dans un climat sans redondance. Les combats de boxe sont chorégraphiés précisément, le film parle du parcours de Virgil – Jalil Lespert, subtil et obstiné -, un jeune boxeur qui a une relation très forte avec son père adoptif, manchot flamboyant, Ernest, ancien boxeur lui-même – Jean-Pierre Cassel prodigieux -, qui a terminé en prison pour avoir assassiné le corrupteur de son fils après le rituel « à la quatrième tu te couches ! ». Son père souffrant d’un cancer il se refuse de lui avouer qu’il a perdu sa licence pour violence. Aidé de Sid, son ami et co-propriétaire d’une sandwicherie grecque – jubilatoire Karim Bedkhadra -, il va retenter de remonter sur le ring, aidé du magouilleur et combinard, Dunopillo – Patrick Floersheim, enfin dans un rôle à mesure. A parloir il rencontre une jeune femme Margot – Léa Drucker enfin dans un rôle principal -, qui rend visite à son père, le mutique Louis qui intrigue d’ailleurs Ernest – Philippe Nahon, au-delà du formidable…-.

Jalil Lespert et Jean-Pierre Cassel

Le réalisateur dépeint ce petit monde avec originalité, on s’attache à tous les personnages, et il a un sens de la distribution remarquable utilisant les comédiens de manières inhabituelles. La petite équipe était arrivé le dernier quart d’heure pour voir l’accueil du public – c’était l’une des premières -. Si Mabrouk El Mechraoui, préférait rester en retrait, c’est avez émotion que j’ai pu voir dans l’obscurité l’élégante silhouette de Jean-Pierre Cassel. Ensuite avec beaucoup de modestie, il a évoqué sa disponibilité aux premières œuvres, grâce à ses enfants Vincent et Cécile, préférer tenter une aventure quelle que soit la longueur de son rôle. Ironisant sur ces rôles dans les derniers films des grands maîtres (Jean Renoir, Abel Gance, Jean-Pierre Melville etc… il s’amusait de sa réputation de porter malheur, tout en déplorant de n’avoir jamais été sollicité par des metteurs en scène de sa génération. Il glisse une grande humanité dans son personnage d’Ernest, volubile et combatif, qui prend sa maladie avec humour et ne supporte pas que l’on s’apitoie sur lui, il trouve ici un de ses meilleurs rôles. Sa manière de distiller les répliques, son punch et sa présence font de ce très beau rôle une formidable performance. Avec patience et dignité, il était disposé pour le public, un grand monsieur. Son duo avec Philippe Nahon – qui a pour point commun avec lui d’avoir également travaillé avec Jean-Pierre Melville – est incroyable, ce dernier faisant exister son personnage avec très peu de mots. Le cinéaste témoignait de la difficulté de faire accepter ce rôle à la lecture du scénario, quelques répliques rajoutées furent supprimées. Philippe Nahon fait passer beaucoup d’émotions, derrière sa grande tignasse, il faut le voir guetter l’arrivée d’Ernest, pour filer à la cuisine, se demander comment tenir le coup en prison et faire preuve d’une violence explosive, son jeu est encore un plus à ce film maîtrisé.

Léa Drucker et Mabrouk El Mechri

Jalil Lespert prouve encore une fois ses capacités – après ses rôles de sportif dans « Un dérangement considérable » et « Vivre me tue » -. Il me semble avoir été sous estimé pour son rôle dans « Le promeneur du champ de Mars », il est à l’aise dans tous les registres, son Virgil déterminé et désabusé, ses approches maladroites de séduction avec une Léa Drucker au meilleur de sa forme, et ses échanges muets avec son père, prouve qu’il est un des meilleurs comédiens de sa génération. C’est la deuxième fois que je le rencontre et il est toujours aussi disponible et modeste. Léa Drucker comédienne atypique et qui a un formidable abattage, rayonne ici et se montre disponible pour les grands rôles, en utilisant l’humour qu’on lui connaît, elle révèle une belle sensibilité. Tout un petit monde gravite autour d’eux, le réalisateur laissant sa chance à chacun. Karim Belkhadra est inoubliable dans le rôle du bon policier dans « La haine », je lui ai parlé de sa fameuse scène dans la voiture, improvisée pour beaucoup selon lui, il est très sympathique. Dans le rôle de Sid, il fait preuve d’un humour ravageur, montre la force de son personnage, virevolte, il est simplement formidable. Patrick Floerscheim dans un personnage retord gagne en humanité, Marc Duret en maton a un monologue d’anthologie, Tomer Sisley – beaucoup d’humour après l’avant-première – surprend dans un rôle physique et antipathique, citons aussi Philippe Manesse – acteur fétiche de Sotha – en maton compréhensif, Jean-Marie Frin en ponte inquiétant et l’irrésistible David Zitouni en cuistot « Clouzeauesque ». Mabrouk El Mechri joint exigence, inventivité, rigueur et maîtrise, vivement la suite, et saluons l’arrivée d’un grand. Sortie en septembre, vous avez donc au moins un beau film à voir dans cette rentrée.