Affiche belge provenant des Les gens du cinéma

On peut avoir du mal à imaginer la panique d’une guerre mondiale, en Europe à l’annonce du conflit coréen, c’est l’intérêt sociologique de ce film d’André Cayatte « Avant le déluge » tourné en 1953. L’œuvre de Cayatte est souvent accompagnée de sarcasmes, immanquablement de l’adjectif démonstratif, mais c’est un cinéaste à réhabiliter, ses dénonciations contre la peine de mort : « Nous sommes sous des assassins », la dictature des apparences : « Le miroir à deux faces », l’euthanasie, etc… sont marquantes pour l’époque. Cet ancien avocat a une vision pessimiste de la société sclérosée, il donne ici à penser sur la responsabilité des parents, même si la charge est assez forte ici, mais les jeunes délinquants dans une utopie imbécile de fuite en Polynésie pour fuir un hypothétique cataclysme. Ils viennent tous de familles honorables, mais ne sont pas excusés pour autant, deux innocents seront des victimes gratuites, tel le vieux vigile joué par Julien Verdier. Il y a beaucoup des communs avec « L’appât » de Bertrand Tavernier (1994), ce dernier évitant l’écueil de la charge contre les parents – Nicolas Silberg jouant le père d’Olivier Sitruk a été coupé au montage -. Ici Liliane – dont la séduction innocente est parfaitement campée par la débutante Marina Vlady -, est dédouanée de sa responsabilité, contrairement au personnage de Marie Gillain, dans le film de Tavernier. Le film rend formidablement l’état de la France après guerre, l’inquiétude d’une guerre mondiale, les résurgences de l’antisémitisme, le cynisme des notables. Cayatte dénonce aussi bien l’éducation permissive d’un professeur dépassé – formidable Bernard Blier -, ou celle étouffante d’une mère abusive, ou d’un raciste délirant.

On peut décrocher parfois aux 2h15 de ce film, mais il y a comme souvent chez Cayatte, une distribution exceptionnelle – notifiée par ordre alphabétique, voir fiche IMDB, en attente de compléments -. Jacques Castelot est particulièrement excellent en marchand d’art douteux et d’un cynisme inouï, jouant avec les conventions de la grande bourgeoisie, séduisant Isa Miranda – co-production italienne oblige -, femme abandonnée à la mesquinerie de son mari – Paul Frankeur, très réjouissant dans la bêtise -. Line Noro est juste en mère possessive après une vie de frustrations. Bernard Blier, dans la sobriété est touchant en père dépassé par l’éducation de ses deux enfants – voir les affrontements avec son communiste de fils, le trop méconnu Paul Bisciglia, figure omniprésente du cinéma français, souvent dans des rôles gouailleurs -, facilement manipulable. En dehors de Marina Vlady – beaucoup de charme – et de Roger Coggio – quoi qu’un peu théâtral -, les jeunes sont assez méconnus mais justes – Clément Thierry, Jacques Pierre, Jacques Chabassol, Jacques Fayet -, Antoine Balpêtré est à l’aise dans l’ignominie antisémite – dont Cayatte montre le grotesque dans la scène de l’huissier breton joué par Jérôme Goulven -, il semble vouloir ici vouloir se dédouaner de son attitude lors de l’occupation, car il avait récité un poème sur la tombe de Philippe Henriot. Carlo Ninchi en président du tribunal est bien doublé – la litanie des sentences -, et l’on retrouve d’excellents seconds rôles, crédités, Albert Rémy en garçon de café sympathique, Léonce Corne en commissaire désabusé, ou non, Jacques Marin en cycliste rigolard. On retrouve aussi Delia Scala, superbe italienne, rayonnant d’érotisme – dévoilant un sein magnifique – et deux débutants prometteurs, Gérard Blain en élève bagarreur et Jacques Duby en manifestant pour la paix malmené. Le regard d’André Cayatte est précieux, il ne fait pas un plaidoyer, mais pose un constat sur la société de son temps.