La difficulté majeure est de parler sur ce film, sans en dévoiler le contenu, l’histoire, pour ne pas gâcher le plaisir des spectateurs – à moins de le commenter à grand renfort de « Spoilers » -. Disons qu’après le « Sitcom » de François Ozon, il faut donc se méfier définitivement des rongeurs. Après le très abouti « Harry… » on attendait très légitimement, beaucoup du film de Dominik Moll. Il est finalement très à l’aise pour distiller l’angoisse dans des scènes du quotidien, et l’utilisation de lieux, un décor idyllique, une entreprise ou une cuisine, plus d’ailleurs que dans des scènes semi-fantastiques, à l’image de l’habituel cliché de la montée d’escaliers, si l’on compare avec la maîtrise d’un Roman Polanski. 

Le scénario suffisamment riche pour que l’on puisse se perdre dans ses propres interprétations, névroses, fantasmes, rêves et réalités. On peut ainsi s’amuser sur les fausses incohérences – une télécommande de porte de garage, par exemple -. Hélas le film déçoit au final, malgré un humour corrosif.

Laurent Lucas & Charlotte Rampling

Si Laurent Lucas, reprend un rôle qu’il maîtrise parfaitement, Charlotte Gainsbourg se révèle à l’aise avec l’ambiguïté, et André Dussollier, nous sert un personnage assez retord et surprenant. Il fait preuve d’humour – sa manière de dire « Vous voulez un bonbon ? »-, passant de la sympathie à la veulerie en une fraction de secondes. Jacques Bonnaffé, nous régale à nouveau, avec un personnage décalé, ne sachant pas comment réagir pour ne pas gêner, il continue ici, une veine ludique, tant son registre est large.

Mais l’atout majeur de ce film reste la formidable performance de Charlotte Rampling. Dès sa première apparition dans l’obscurité d’une voiture, on se doute que le film va basculer. Son talent est tel, que même affublée de lunettes noires, son jeu est unique. Magistrale, séductrice, victime d’un mari odieux, manipulatrice, elle imprègne et domine durablement le film, et véhicule sur son passage un mystère et un danger permanent.

Je me souviens de son arrivée lors d’une avant-première du film « Sous le sable » de François Ozon. Le film avait eu beaucoup de difficultés lors du tournage – une partie était tournée en DV -. Je me suis retrouvé devant elle, après une sorte de mini conférence de presse dans le hall de l’UGC, fortement impressionné par son aura, son élégance et son charme. Elle était assez inquiète, mais pour ne pas focaliser l’attention sur elle, elle avait laissé le devant de la scène à François Ozon,. Cette remarquable comédienne n’a pas fini de nous impréssionner.

ARTICLE LIBÉRATION :   

ARTICLE LIBÉRATION :   Charlotte Rampling dit jouer de ses expériences pour inventer des personnages qui lui ressemblent :
«Je cherche des rôles qui vont me réveiller» – Par Philippe AZOURY – mercredi 11 mai 2005

Dans Lemming, Charlotte Rampling joue un fantôme, une morsure, une menace. Elle semble venir d’ailleurs, en même temps qu’Alice, le personnage qu’elle incarne, continue de se rattacher naturellement à la suite de ces portraits de femme dangereuse/en danger. Ceux qui lui ont toujours collé comme un gant, depuis Visconti (les Damnés), Cavani (Portier de nuit), Oshima (Max mon amour), ou depuis Sous le sable de François Ozon, le film de sa résurrection cinématographique.

Elle peut s’amuser, comme durant la conversation, de ceux qui abusent des téléphones portables dans les cafés pour couvrir leur solitude. La solitude, elle n’a jamais joué que ça. Sweet Charlotte.

Votre arrivée dans le film a quelque chose de saisissant. D’emblée, on sent une existence, un passé…

Dominik m’a envoyé un scénario incroyablement abouti. Au cinéma, on s’est habitué à ce que les choses se transforment durant le tournage. Là, tout ce que j’ai lu, on l’a filmé. Un acteur, passé un certain âge, emmène beaucoup de bagages avec lui. Avoir existé depuis un bon nombre d’années permet d’atteindre cette impression.

Au tournage, l’acteur ne connaît pas encore son personnage, là ce n’était pas le cas, avec cette merveille de scénario. Dans Lemming, Alice arrive avec une attitude totalement figée, on ne sait pas, dans le malaise qu’elle diffuse, ce qui va se passer, ce qu’elle va provoquer. Ça, c’est le personnage inventé. Il faut lui ajouter un peu d’un personnage réel. Prénom Charlotte, nom Rampling.

Vous concevez la vie imaginaire du personnage, son passé ?

On peut toujours. Je l’ai fait. Cela permet d’habiter plus aisément le personnage. Un acteur n’a plus beaucoup de temps pour se préparer. Il doit le faire lui-même un peu seul, au-delà des précisions qu’il a eues en discutant avec le metteur en scène.

Pourquoi ?

Parce que l’acte de jouer, ça se passe sur le moment. Et, à ce moment-là, on capte sa propre réflexion sur le rôle. C’est un travail inconscient.

La première scène dans laquelle vous apparaissez correspondait-elle à votre premier jour de plateau ?

(Sourire) Oui. Comme par hasard.

Les lunettes ?

C’est une idée de Dominik. Une femme qui s’est bâti un écran entre elle et le monde. Les lunettes teintées dessinent une attitude sans équivoque : «Je ne veux pas que vous me voyiez, je ne veux pas vous voir. Ce que je vois, c’est à moi. Mais ce que vous allez voir, vous n’allez pas le comprendre.» Je ne donne rien (rires). Acteur, on est tenu dans ses vêtements. Les lunettes, le tailleur, ce sont des indices. Là : raideur.

On dit que vous êtes une «beauté froide». Ici, on est passé du froid au dur…

Des amis ont vu la bande-annonce. Mon personnage leur a fait peur : «pas très accueillante». Oui, mais c’est très drôle à jouer… Je cherche des rôles qui vont me réveiller. Ce métier est une exploration, des traits du visage, de ce qu’on ressent. Il ne faut pas en avoir peur. Quand j’ai commencé, je refusais beaucoup de films, ils étaient… sympathiques. Tellement, que suis allée dans d’autres pays, en Italie surtout, pour faire autre chose. Mon attitude n’a pas changé : je suis à la recherche de quelque chose qui me corresponde. L’acteur est comme un peintre, il cherche, presque toute sa vie, il retourne sur les mêmes sentiers, il malaxe et, à travers la vie, la maturité, les blessures que l’expérience lui donne, il forge sa marque.

Une marque Rampling ?

Je sais au moins que mon envie d’un rôle nécessite certains critères, une affinité avec le personnage, sinon j’ai l’impression que je ne travaille pas, que je n’évolue pas et que je me répète. Un rôle, c’est un engagement que je prends très au sérieux. Je dois incarner à la fois ce que je suis et ce que je peux inventer.

Un rôle aide-t-il un acteur à exister, à comprendre la vie hors plateau…

Uniquement si on considère ce métier comme un investissement. A ce moment-là, ça vous nourrit, ça vous accompagne, ça vit en vous.

Le cinéma vous a-t-il appris à vous connaître ?

Oui, mais ce n’est pas à force de se voir. Ce qui est révélateur, c’est le travail que l’on fait à l’intérieur de soi. Le travail d’un acteur serait même mieux si l’acteur ne se voyait pas. Se voir, se désirer soi-même, c’est dangereux : on s’enferme dans des tics, on quitte son propre mystère pour des habitudes, des pièges…

Alice Pollock, c’est un personnage désespéré, aliéné ?

Une femme traquée par elle-même. Avec Alice, il n’y a plus de convenances sociales, plus de dialogue possible. L’aliénation, elle vit avec, elle part avec. Dominik est quelqu’un de très aigu, qui cherche une image de plus en plus épurée. J’ai travaillé Alice dans ce sens.

Vous l’incarnez comme un animal. C’est Max mon amour mais à l’envers, l’animal c’est vous…

Oui. Je suis le lemming. Tout petit, mais très déstabilisant.

Les films de François Ozon, maintenant ceux de Dominik Moll, Laurent Cantet bientôt, les photos de Juergen Teller… Vous êtes dans un moment passionnant de votre carrière…

Ça vient après un travail sur moi. La vie des acteurs ce sont des cycles. Un acteur, c’est un animal. On tombe les peaux, comme un serpent. On joue avec les différents stades de la maturité. On a toujours été soi-même mais on s’ouvre différemment. Sous le sable, c’était comme un autoportrait, un documentaire sur moi.

Quelqu’un m’a vue, il y a eu rencontre. C’est arrivé, même à moi qui n’ai pas une facilité à aller vers les gens. J’attendais. Il fallait avoir une certaine patience. Des fois, on ne sait plus si on est toujours vivante.

Quand vous jouez, il vous arrive de penser à des actrices mortes ?

Non. Je pense à la situation.

Vos scènes dans Lemming tiennent quasiment du monologue…

Peut-être parce que j’ai joué Alice avec mes propres résonances. Tout m’est familier, maintenant : le plus grand désespoir, le plus grand bonheur. Je reconnais les sensations. Charlotte Gainsbourg, je la regarde et je me vois moi à son âge. C’est ça qui est beau avec le temps, c’est que ça n’existe pas. Il est diffusé différemment. On se reconnaît dans les autres. Charlotte (Gainsbourg), cette jeunesse-là, je connais bien…

Etre sur les tournages avec des bébés, se reprocher de trop tourner, s’en vouloir d’être fatiguée… Regarder ceux qui nous entourent, c’est une compagnie. C’est peut-être là qu’on prend le sens d’avoir existé.