Avant-première hier à l’UGC Cité-Ciné de « La vie est à nous » de Gérard Krawczyk, en sa présence et celle de Michel Muller. Rien à voir avec le film de Jean Renoir, consacré au front populaire, c’est ici un regard attendri sur des gens simples. C’est l’avantage de pouvoir y voir, un film un mois avant tout le monde, puisqu’il sort le 7 décembre prochain. Ils viennent présenter un peu anxieux, on les comprend c’est la première diffusion devant le public. Ils se connaissent bien puis que c’est leur quatrième film qu’ils font ensemble avec « Taxi 2 », « Wasabi » et « Fanfan la tulipe ». Michel Muller un peu dépenaillé, s’installe avec nous pour découvrir le film. Et là c’est une excellente surprise car on retrouve le ton du premier film de Gérard Krawczyk « L’été en pente douce » réalisé en 1986, avec Pauline Lafont, Jean-Pierre Bacri et Jacques Villeret. C’est presque un western, où ce serait les femmes qui mènent le bal. Dans un petit village de province – tourné en Savoie -, la vie du village est centrée sur deux cafés, l’un « L’étape » tenu par Louise – Sylvie Testud au delà du formidable – et sa mère Blanche – Josiane Balasko touchante – restée diminuée, elle s’est fait renverser par un camion, l’autre « Le virage » tenu par Lucie Chevrier – Catherine Hiegel qui a un formidable abattage et ses filles -. Elles ont juste une allée à traverser pour ce retrouver, mais ça reste presque un obstacle infranchissable, on devine bien qu’elles ont finit par oublier ce qui les a séparées finalement. Le mari de Blanche vient à mourir, et Sylvie Testud au débit de parole continuel, se démène pour faire vivre le café et trouver une idée originale pour que Josiane Balasko ne s’apitoie pas trop sur son sort – je vous en laisse la surprise -. Les clients du café assez versatile, sont comme attirés par l’énergie de Louise, qui recueille le jeune Julien – Danny Martinez au jeu mutique, mais on n’a rarement vu ces derniers temps un enfant comédien aussi probant – que leur confit une amie Marguerite – Chantal Banlier toujours juste – qui n’est tolérée qu’en coup de vent. Car Louise et sa mère ont leur territoire, et elles ne sont jamais sortis de cet univers, la petite rivalité avec les femmes du café d’en face ne faisant que les galvaniser. Les règles sont bien établie, la bonne humeur est de mise, et Louise a des répliques formidables fascinant le petit monde des consommateurs – on retrouve notamment Jacques Mathou et Laurent Gendron, déjà présents dans « L’été en pente douce -. Elles s’occupent également d’un bredin trentenaire sympathique mais très porté sur la boisson et surnommé La Puce, capable de toutes les extrémités, – Michel Muller, très subtil -. Arrive des camionneurs grévistes – très jolie scène sortant les villageois de la torpeur de la nuit -, mené par Pierre, un grand gaillard un peu lunaire – Éric Cantona, dans sans contexte son meilleur rôle -, qui fascine d’emblée Louise…

Sylvie Testud

C’est un retour gagnant à l’émotion pour Gérard Krawczyk, qui retrouve l’univers original de ses premiers films, le très brillant exercice de style de « Je hais les acteurs » d’après Ben Hecht, où il digérait des monstres sacrés comme Jean Poiret ou Bernard Blier, et « L’été en pente douce », d’une formidable singularité, univers que l’on retrouve ici avec jubilation. Le décors du tournage est bien réel et on ne sent à aucun moment que les scènes d’intérieurs sont des décors. Gérard Krawczyk a adapté un roman de Jean-Marie Gourio « L’eau des fleurs » l’auteur était d’ailleurs ravi de l’adaptation se retrouvant chez lui, malgré les libertés prises avec son œuvre. Il ne faut pas s’attendre à retrouver ici une compilation des « brèves de comptoir » ( je vous recommande cette publication dans la collection Bouquins ), mais un éloge des petites gens, de leurs forces et du sacerdoce que peuvent avoir certaines personnes à aider leur prochain, des « gens de peu » selon la formule de Pierre Sansot. La grande force est d’utiliser les dialogues, s’en insister lourdement sur les trouvailles – étonnante ici, « On n’entend pas pareil de l’autre côté du comptoir », et voir la réponse que fait Lucie quand Pierre lui demande « A quoi vous pensez ? ». Les perles sont disséminées dans l’hallucinant débit de parole de Sylvie Testud, qui porte ce rôle avec une sensualité incroyable, un bagou et une énergie, définitivement l’une des comédiennes les plus surprenantes de notre cinéma hexagonal. Tous les comédiens sont formidables, on retrouve les personnages avant une composition, Josiane Balasko et Catherine Hiégel, qui ont un dénominateur commun sont époustouflantes, sans parler de ce retour de la grande tradition des seconds rôles – dont le réalisateur dans un rôle de barfly et quelques apparitions surprises comme Jean-Paul Lilienfeld et Virginie Lemoine, Jean Dell en curé perplexe, Georges Aguilar en routier étonnant, etc…

Michel Muller

Michel Muller un peu réservé, a fait preuve d’une autodérision étonnante, quand je lui ai dit comment il arrivait à la justesse de son personnage en évitant l’écueil d’avoir l’air plus malin que son personnage, ce à quoi il a répondu « être plus con que son personnage ». Gérard Krawczyk a l’élégance ne pas dénigrer ses derniers films produits dans l’écurie Besson, comme pour la musique, il aime à changer de style et varier les plaisirs. Souhaitons lui de pouvoir concilier les deux, car malgré ces trois derniers films, qui ont eu des succès au box-office, il a eu beaucoup de difficultés à monter ce film. On passe ici d’une tendresse, de la simplicité de goûter une tartine de notre enfance, à un humour brillant et un rythme haletant. Un film à découvrir dans un mois, vous retrouverez le talent du réalisateur, avec ici un supplément d’âmes en souvenir de ces premiers films surprenants et touchants. Je termine en saluant la formidable disponibilité et gentillesse des deux invités, Gérard Krawczyk, pour défendre aec humilité et passion son film, et Michel Muller, à l’univers très original. Ce dernier m’a parlé de son travail – il est très inspiré par « C’est arrivé près de chez vous », et de son ardeur à vouloir laisser croire que les images sont volées. Il travaille avec obstination pour trouver un ton juste, pour son film et ses fictions TV. Cette nouvelle facette de leur talents montrée, les deux complices devraient rejoindre des horizons nouveaux. Plus qu’un mois pour attendre ce film qui est une excellente surprise !