Ah, la France, pays des fromages et des étiquettes. Le cinéma de Patrice Chéreau, continue à diviser même chez ses pairs. Il reste dans l’esprit de beaucoup un grand metteur en scène de théâtre, alors qu’il ne cesse de surprendre par sa maîtrise ces dernières années. Peut-on trouver beaucoup de metteurs en scène, qui comme lui fouillent ainsi aussi justement l’âme humaine. Porté par l’interprétation magistrale du couple Pascal Gréggory – Isabelle Huppert, le réalisateur est habile à dresser un tableau sans concession du petit jeu des conventions, d’une représentation permanente pour palier aux manques et aux troubles des Hervey. Adapté d’une nouvelle de Joseph Conrad, le film narre la suffisance du personnage de Jean Hervey, maître absolu de l’art du paraître, son hôtel particulier semble pour lui une forteresse. Son couple organise des réceptions fastueuses, salons prisés par beaucoup de notables. sa préoccupation est de composer un personnage digne de son rang, sa femme, Gabrielle n’étant qu’un atout de plus, elle est belle et brillante. Mais cette dernière fuit le domicile pour retrouver son amant, grand rival de son mari avec lequel il se livre à des joutes verbales, mais cette dernière se ravise au dernier moment…

 

Isabelle Huppert

Loin d’être un maniériste Chéreau joue avec les codes, d’une voix off envahissante, des ralentis ou du noir et blanc, pour installer un climat précis, sans fioritures. La lumière joue un rôle prépondérant, les personnages pouvant chercher un secours dans l’obscurité. Le subtil jeu des lumières est servi par la très belle photo d’Éric Gautier. Le petit monde ancillaire est aussi brillamment décrit, voyant sans voir, de même que le petit monde des invités, vachards et suffisant, ne formant finalement qu’un petit groupe de spectateurs, pour une représentation théâtrale pour ce couple. L’austérité apparente des personnages vole en éclats, laissant paraître des meurtrissures singulières. Dans un cadre feutré, une passion exacerbée, que rien ne pouvait laisser deviner, éclate. La description de la cruauté du petit monde des faux-semblants est impitoyable, et les sentiments occultés finissent par remonter à la surface, aussi rapidement, malgré les années de dissimulations construites dans un artifice permanent.

 

Pascal Gréggory

L’illusion que l’on puisse connaître parfaitement une personne même proche est magnifiquement décrite. Après 10 ans de vie commune, le couple fait voler en éclats les postures, les distances, et les petites médiocrités pour enfin afficher des sentiments et une humanité blessée. Après sa performance dans le « Raja » de Jacques Doillon, Pascal Gréggory confirme son immense talent, sa force affichée cachant une grande vulnérabilité. Son personnage boursouflé de suffisance tombant dans une mélancolie terrible est d’une justesse constante. Isabelle Huppert, dans un jeu moins distant que dans ces dernières années est éblouissante, entre calcul et lâcheté. Le reste de la distribution est particulièrement brillante de Thierry Hancisse, massif et en ébriété constante, cachant quelques faiblesses, Chantal Neuwirth, en bourgeoise narquoise et observatrice, Claudia Coli est une émouvante petite bonne, confidente et réservée, Thierry Fortineau est surprenant en bourgeois installé…Loin d’être aussi stylisé que l’on dit, le film ironique se révèle charnel, et est indéniablement l’un des grandes œuvres de cette année…