Avant-première à l’UGC-Cité-Ciné Bordeaux, le 27 mars dernier du film de Michel Spinosa, en sa présence et celle toujours aussi chaleureuse d’Isabelle Carré. Anna – Isabelle Carré saisissante -, vit avec sa mère joué par Geneviève Mnich, toute en subtilité dans un personnage retenant ses émotions. Pour la petite histoire elle qui fut aussi sa partenaire au théâtre -. Elle restaure avec minutie les vieux livres de la Bibliothèque nationale. Un soir de désespoir, elle se jette sous les roues d’une voiture. Hospitalisée, elle est soignée par le docteur Zanevsky. Ce dernier est joué par le toujours impeccable Gilbert Melki dans un rôle voisin de celui qu’il tenait dans « Ca brûle », étonnant film de Claire Simon -. Elle focalise totalement son attention sur lui, malgré la distance qu’il installe en tant que soignant… Michel Spinosa a mis 5 ans à réussir à faire ce film. Il voulait raconter une histoire d’amour fou, dont le modèle était « L’histoire d’Adèle H » – voir l’allusion dans le titre -. Le scénario ne laisse rien au hasard, la narration est au service du personnage d’Anna, de son évolution et dans l’élaboration contruite de sa pathologie – voir l’évocation du « Cantique des cantiques ». On rentre dans son mode de pensée, ses priorités – les personnages de son entourage existent surtout selon qu’ils peuvent la servir dans son délire psychologique. Les personnages secondaires sont donc souvent dans l’ellipse, comme Anne Consigny probante en épouse dépassée par les événements, Samir Guesmi irrésistible en réceptionniste d’hôtel – grand moment d’humour, Eric Savin en papa de fillettes – elles sont dans des situations parfois fortes, mais sont restée dans l’amusement pour les jouer -, Francis Renaud en paumé ou Gaëlle Bona en bonne copine attentive -. Le personnage joué par Melki, est une victime désabusée, souffrant de la manipulation d’Anna et réduit au silence par les circonstances – voir le personnage dubitatif de l’inspecteur joué par le toujours étonnant Pascal Bongard. Il dresse le constat du problème de l’érotomanie – difficilement curable dit-il -, mais en évitant le côté clinique. La grande idée est d’avoir pris ici, d’avoir pris Isabelle Carré pour incarner Anna. Elle apporte une grande empathie à son personnage, même quand il est difficilement défendable. Le personnage joué par Catherine Deneuve dans le génial « Répulsion » de Polanski, était vu par exemple, au travers d’un prisme assez froid. Michel Spinoza assume ses nombreuses références cinématographiques et picturales, mais en ajoutant une observation baroque… On évite les roublardises de ce type de scénario, se limitant souvent qu’à une vaine manipulation du public en vu d’un twist final, les exemples sont légions, y compris dans le cinéma français – citons « A la folie… pas du tout » de Laetitia Colombani, avec déjà Isabelle Carré dans un rôle secondaire – .

Isabelle Carré

Le film génère une grande tension, un attachement qui bascule à une aversion pour l’héroïne du film… Le public riait parfois, d’un rire défensif, ce qui a valu quelques discussions avec le réalisateur, l’atmosphère du film pesait visiblement sur le public. Isabelle Carré, vive et toujours souriante, discute très volontiers avec le public, j’ai eu le plaisir de l’entendre sur sa rencontre avec Alain Resnais, qu’elle évoque avec chaleur. Elle le décrit comme secret, mais aussi très bavard, mais aussi à l’affut de tout – voir son grand intérêt sur les séries américaines -. Elle parle aussi de ses partenaires avec bonheur et reconnaissance, elle n’oublie pas de saluer Pierre Arditi, qu’il l’avait réconforté par téléphone à ses début, quand elle fut refusée par un casting à ses débuts. C’était passionnant de l’entendre parler de son travail, elle n’est d’ailleurs pas très tendre avec elle-même – elle était déçue par son jeu, lors du monologue de l’hôpital aux yeux rougis, elle se trouvait peu crédible alors que le public trouve la scène saisissante. Elle évoquait les méthodes de travail opposées d’Alain Resnais – qui privilégie les répétitions -, et de Michel Spinosa, qui préférait la spontaneité. Elle s’est donc nourrie d’œuvres musicales, littéraires ou cinématographique. Elle dit joliment que préparer son rôle, c’est comme répondre à une invitation à diner en venant avec un présent. Elle dit avoir été bluffé par le culot d’Ingrid Thulin dans l’un des chefs d’œuvres d’Ingrid Bergman « Le silence », où elle pratique l’onanisme, elle a d’ailleurs une scène similaire d’une même force. Elle qui se définit volontiers comme étant un G.O. – gentil organisateur – sur les tournages. Mais elle est resté dans l’isolement sur le tournage pour trouver les émotions du personnage. C’était un régal de l’entendre, de converser librement avec elle, toujours plus enthousiaste envers les autres qu’elle-même, et d’évoquer avec d’autres le tournage de « La reine blanche » ou du superbe « La femme défendue ». Je ressort un cliché déjà bien usé sur ce blog, mais elle est véritablement « Le stradivarius » du cinéma français – même pas foutu d’être original, je sais… -. Michel Spinosa confirme son talent – il avait signé un « Emmene-moi » claustrophobique révelant Karin Viard. Et Isabelle Carré, nous montre un nouvel aspect de son grand talent et de l’intensité de son jeu, régalant de sa grande gentillesse – c’est la troisième fois que je la rencontre et elle est toujours aussi agréable – . « Anna M. » est un film angoissant, minutieusement mis en scène, et une exploration probante d’une âme meutrie, teinté d’un romantisme noir.