Le cinéma a comme art certaines limites, comme dans la représentation de faits atroces. Aucun film ne pourrait avoir, par exemple, la force du livre de Robert Antelme, « L’espèce humaine », sur le récit de la vie dans un camp de concentration. On finit par songer au fameux article de Jacques Rivette dans « Les cahiers du cinéma », « Le travelling de Kapo », qui avait si fortement impressionnée Serge Daney. Il qualifiait d’abject le cinéma de Gillo Pontecorvo dans « Kapo » film de 1959. Rivette vilipendait le travelling suivant Emmanuelle Riva qui court se jeter sur les barrières électrifiées d’un camp nazi pour ce suicider. En reprenant l’idée godardienne que le travelling est affaire de morale, il avait trouvé particulièrement abject cette mise en scène. Les événements du 11 septembre 2001, marque le traumatisme majeur de nos sociétés contemporaines. Évidemment on attendait de voir qui pouvait dépasser le tabou de sa représentation, en livrant une version cinématographique, le choix des Américains étant de ne pas montrer ses images d’horreurs à chaud. C’est un Paul Greengrass, pontifiant allégrement et posant dans les médias, à l’occasion de la présentation de son film « United 93 », en compétition à Cannes, avec ces faux airs d’Albert Algoud, qui précède Oliver Stone avec son blockbuster « Word Trade Center », que l’on appréhende fortement d’ailleurs. Greengrass se veut légitime et honnête pour relater ce drame. Il évoque le « Vol 93 », l’un des 4 vols détournés ce jour là et le seul a ne pas avoir pas atteint sa cible. La critique est dithyrambique, devant ce procédé de représentation docu-fiction, mélange des genres ici pourtant assez peu convaincant à mon avis. Le souvenir de la réflexion de Jacques Rivette, peut donc ici se révéler salutaire. Il y a certes une honnêteté foncière, dans l’évocation du grand désarroi chez les aiguilleurs d’une tour de contrôle, une volonté de ne pas glorifier le côté patriotique dans le courage des passagers. La confusion générale face à ce nouveau mode de terrorisme, profitant des failles, l’indécision de certains responsables face à cette situation de crise, paraissent assez justes. Mais il a aussi aussi une grande roublardise.
Le côté image tremblotante, caméra à l’épaule n’est qu’un procédé très maniériste. Loin de renforcer le côté pris sur le vif – c’était déjà à déplorer dans « Bloody Sunday », sur le début de la guerre civile en Irlande en 1972 -, ne finit que par montrer l’artifice de l’ensemble et de surligner un semblant de roublardise. Résultat on finit par être pris d’un certain mal des transports – préparez la « Nautamine » ! -, et on a le sentiment pénible de voir les rouages de ce curieux film hybride. La caméra adopte la simple position du voyeur, nous apportant une sorte de distance assez malvenue. Les images de la destruction du « Word Trade Center », composant un affect assez facile, nous ramènant à notre propre découverte de ces images traumatisantes. On revit doncl’incompréhension qui pouvait nous accompagner alors. S’il évite l’abjection, et manichéisme grâce à une véracité des faits – les hésitations et les maladresses des terroristes -, le réalisateur finit presque par nous donner une sorte de pré générique d’un épisode de « 24 heures ». Il ne réussit qu’à surligner ici les limites de son cinéma. Le style film catastrophe finit même par poindre son nez, avec l’inévitable personnalisation des futures victimes, dont on évoque l’intimité. Il y a une certaine indécence à vouloir dramatiser, des propos tenus réellement par les passagers, par téléphone à des proches. L’interprétation, sil elle est visiblement convaincue, nous fait pourtant penser à une sorte de filage théâtral – à vouloir être sobre -, d’une répétition générale. On ne peut s’empêcher de penser, que malgré le regroupement des sources d’informations fiables, la réalité pouvait être très différente. Le réalisateur nous impose sa vision des faits, qu’il voudrait presque définitive. Sans vergogne et sans états d’âmes, il exploite les acteurs véritables du drame – il nous avait fait déjà le coup avec « Bloody Sunday » -, en utilisant par exemple dans son propre rôle, le directeur du centre de surveillance de l’espace aérien des USA. C’est un procédé douteux, sorte de caution morale écran, pour en arriver à un résultat bâtard. Souhaitons au moins qu’il n’y ait pas un certain opportunisme planquée derrière une probité de façade. Reste que même si le film semble convaincre la majorité de ses spectateurs, on peut se poser la question sur la viabilité d’un tel film.