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JEAN-PHILIPPE

 Avant-première à l’UGC-Cité-Ciné Bordeaux du film « Jean-Philippe » en présence de Fabrice Luchini, tout épaté dite il d’être venu en jet privé pour cause d’emploi du temps surchargé. Voir Fabrice Luchini en promotion tient à la fois de la jubilation et de l’épreuve si vous avez le malheur de tenter de lui poser une question. Je me souviens de sa présentation de « Rien sur Robert » dans ce même cinéma. La femme qui partageait ma vie alors, n’avait pas pour vertu première l’exactitude. Il y avait deux salles remplies, elle finit par me retrouver et en voulant me rejoindre et passe allégrement devant le sieur Luchini, sans le voir, qui s’apprêtait de faire son entrée. Coupé dans son élan, il fallait voir son air proche de la poule découvrant un fer à repasser. Résultat il avait un peu perdu le fil, il est un peu resté interdit, avec de fuser dans tous les sens. Ce jeudi soir après une entrée triomphale, il nous livre son numéro survolté et ingérable habituel, chante avec un fan de Johnny à la voix rauque, qui l’appelle « M. Prechini » !, et répond comme il souhaite aux questions des spectateurs, évitant consciencieusement de parler de lui. J’en ai d’ailleurs fait les frais, me plantant allégrement et lamentablement à la fois – il vous coupe pour interroger une autre personne en même temps. Résultat j’ai réussi à être suffisamment traumatisé pour arrêter de prendre la parole en public durant le siècle à venir. On sent bien la volonté luchinienne de tout contrôler – il insistait énormément pour que l’équipe présente passe un disque -. Il s’auto parodie un tantinet – déclarant à tout instant « c’est énôôôrme ! », et brocarde Johnny Hallyday, quand ce dernier lui parle de « ta Fontaine » en évoquant « La Fontaine », tout en le défendant contre les sarcasmes habituels – il n’est pas à une contradiction près -. Bref le numéro est rodé, plaisant, élaboré, bien que visiblement fatigué ce soir là, il s’est dépassé, nous livrant un jubilatoire numéro. On sent bien sans vouloir faire de la psychologie de comptoir, son besoin d’être aimé. Et le film alors, et bien il est à la hauteur de sa brillante idée, sur le modèle bien connu des amateurs de fantastique, l’uchronie. Si vous avez échappé à une promo intensive, c’est l’histoire de Fabrice, un cadre moyen – Luchini en fan survolté -, peu accorte avec sa secrétaire – Christine Paolini, dans la résignation -, vit une vie tranquille. Mais il a une dévotion dévorante pour Johnny Hallyday, qui est presque pour lui une raison de vivre. Il a une pièce au grenier, véritable lieu de culte dédié à son idole. Il délaisse sa femme – Guilaine Londez toujours énergique – et sa fille – Élodie Bollée punkette compréhensive -, pour cette passion.

Carlo Nell, le retour… & Fabrice Luchini

Un choc de trop un soir de cuite avec un voisin râleur et il bascule dans une dimension où Johnny n’existe pas – ni Rocky Balboa, curieux univers tout de même… -… Il part à la recherche des « Jean-Philippe Smet », le vrai nom de Johnny connu de tous, y compris ses homonymes – dont Éric Averlant amusant -, histoire de voir s’il existe toujours sans avoir connu son statut de star…Je vous laisse découvrir la suite, car il y a des trouvailles probantes, des évocations émouvante et pudique de la carrière de Johnny, et quelques cameos amusants dont un des comédiens crédités sous le nom de Bernard Frédéric au générique qui est une amusante citation d’un film récent à succès. Luchini se déchaîne comme un beau diable dans un rôle écrit sur mesure, on n’ose imaginer le film sans lui tant il porte le film. Mais la véritable surprise vient de Johnny en personne qui trouve ici son meilleur rôle finalement. En campant un Jean-Philippe Smet, propriétaire d’un bowling, qui a laissé sa place de vedette à un certain Chris Summer demeuré inconnu dans notre dimension. S’il parfois assez juste dans des rôles proche de son personnage chez Laëtitia Masson et ou chez Godard, il n’avait jusqu’ici – même chez Godard, Patrice Leconte ou Costa-Gavras – dans « Conseil de famille » où il avait déjà Luchini comme partenaire – me semble-t’il – trouvé un personnage ou il pouvait exprimer auto-dérision ou une humanité. Le duo Luchini-Hallyday, aux antipodes l’un de l’autre fonctionne parfaitement. Dans le rôle de Summer, Antoine Duléry nous livre une réjouissante composition, vedette suffisante et revancharde, il est en plus parfaitement crédible, rajoutant à son personnage une bonne dose d’humour. Si certains rôles sont assez sacrifiés – Caroline Cellier en mme Smet et Barbara Shulz n’ont pas grand chose à ce mettre sous la dent -, on s’amuse à retrouver des comédiens singuliers comme Carlo Nell – perdu de vue depuis longtemps – en pilier de bistrot barbu, François Toumarkine, l’un des chouchous de ce blog en clochard compatissant, Jackie Berroyer avec des postiches improbables est un professeur décalé, Christian Pereira en collègue goguenard. Je n’ai pas reconnu Lisa Lamétrie pourtant crédité au générique – rôle coupé au montage -. Il convient de saluer Laurent Tuel et sa mise en scène, après le singulier « Rocher d’Acapulco » et le mésestimé  » Un jeux d’enfants », il arrive à installer un climat assez angoissant et nous régaler d’un humour de qualité. La signature de « Fidélité » à la production est un réél gage de qualité encore une fois ici.

LE PASSAGER

 Premier film d’Éric Caravaca, l’un des comédiens les plus probants de sa génération. Tiré d’un roman d’Arnaud Cathrine « La route de Midland », il s’agit ici d’un portrait âpre, sensible d’individus qui n’ont pas de dons particuliers pour la vie et qui trimbalent avec eux leurs difficultés, en les subissant plus ou moins. Thomas  – Éric Caravaca dans l’introversion, qui a repris au pied levé ce rôle après une blessure du comédien Yann Goven -, qui vit à Paris, retourne sur la Côte d’Azur pour s’occuper de l’inhumation de son frère aîné, Richard, qui vient de suicider. Il ne voyait plus son frère – Rémi Martin, au parcours chaotique ces dernières années idéal dans un rôle presque spectral -, qu’il ne tenait pas dans une grande estime, il avait même gardé une rancœur, quand il s’était retrouvé seul avec lui, son père étant absent et sa mère étant devenue folle. Marié, avec un enfant, il se retrouve seul pour s’occuper de son enterrement, il doit aussi réfléchir au devenir de sa maison familiale, dans laquelle il a gardé de mauvais souvenirs. Conseillé par un vieil ami de la famille qui s’occupe d’une petite boutique – Maurice Garrel, superbe de retenue -. Pris par ses contradictions, et paralysé par ses interrogations, il s’installe dans un petit hôtel tenu par une jeune femme, Jeanne – Julie Depardieu, qui décidément prouve dans l’actualité de ses quatre films, sa capacité de composition et d’émotion -. Le cauchemar du réel le paralyse, il s’attarde dans les lieux sans rien régler, s’attache au petit frère de Jeanne, Lucas – Vincent Rottiers, la révélation des « Diables » beau film de Christophe Ruggia, impressionnant ici dans sa rage de vivre -. Lucas est un peu sourd, complexé avec les filles, mais retrouve sa liberté sur sa moto jaune qu’il trafique pour qu’elle pétarade. Jeanne assistée d’un employé jovial – Maurice Bénichou incarnant la poésie du quotidien -, attend en fait Richard. Malgré une union mouvementée, elle garde espoir de le retrouver, mais Thomas, par lâcheté ne trouve pas le courage de lui annoncer sa mort….

Julie Depardieu & Maurice Bénichou

Le film ici est lucide, montrant l’approche du travail du deuil, comment retrouver l’énergie de vivre, la difficulté de se confronter avec ce que l’on a enfoui dans sa mémoire – belles scènes avec la toujours formidable Nathalie Richard, chanteuse de cabaret réaliste nerveuse -. Le personnage de Thomas est dans un tournant de sa vie, libéré de la forte personnalité de son frère, il essaie avec maladresse de retrouver ses marques, de prendre un nouveau départ, prenant exemples sur ses compagnons d’incertitudes trouvés dans cette occasion. Il doute, mais il avance, toutes ses inquiétudes refaisant surface, il réfléchi à comment régler ses comptes avec son passé pour enfin exister un peu. Quelques beaux sites de Saintes-Maries-de-la mer, sont vus d’une manière singulière, les lieux, devenant presque inquiétants sont chargés de tristesse, d’une lumière d’hiver angoissante, d’étendues de plages baignées dans une lumière blafarde, en parfaite adéquation des états d’âmes des personnages. Saluons le travail de la chef opératrice Céline Bozon, la superbe musique lancinante de Grégoire Hetzel et la manière de filmer ces lieux rendant un sentiment de désolation. Ce film est une est une méditation pleine de retenue, d’intelligence et de vie sur la difficulté de vivre avec les fantômes de son passé. Ce film intimiste évoque bien sûr « Son frère » de Patrice Chéreau, avec également Éric Caravaca, mais nous montre ici une grande maîtrise, une justesse, et beaucoup de pudeur. Un cinéaste et un comédien à suivre…