Cinérotica s’arrête avec son quatrième numéro paru en kiosque. Les abonnés ont reçu cette nouvelle accompagnée d’un texte de à lire sur Zine. C’est l’occasion d’interroger son instigateur Christophe Bier, sur la fin – provisoire – d’une formidable aventure. Un grand merci à Christophe pour ses propos passionnants et à Laëtitia Mélierres pour ses photographies.

Christian Chauvaud & Christophe Bier, tournage pour YouTube – © Laëtitia Mélierres

 

 

 

 

 

  

Genèse de Cinérotica : 

  

– Peux-tu évoquer l’élaboration de « Censure –moi, histoire du classement X en France« , aux éditions de l’Esprit frappeur, un livre de référence paru en 2000 ?

 

A l’époque, Baise-moi venait de sortir en salles, interdit aux moins de 16 ans, avec ensuite toutes les difficultés dont les médias se sont fait l’écho. Une association conservatrice, Promouvoir, traquant les bédés érotiques dans les Fnac, homophobe et pour la « préservation des valeurs de l’Occident chrétien », tout cela mérite un [sic !], voit rouge et  conteste l’exploitation du film en vertu de l’article Jolibois, le 227-24 du code Pénal, stipulant que « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. » Bref, pour ces tenants de l’ordre moral, Baise-moi tombe bien sous le coup de cet article puisqu’il comporte des scènes sexuelles explicites mais est autorisé à des mineurs de 16 et 17 ans. Il faut savoir que depuis que Jack Lang avait fait ramener à 12 et 16 ans les interdictions aux mineurs de 13 et 18, la seule manière d’interdire aux 18 ans le film de Despentes et Coralie était de le classer X ou de l’interdire totalement. Le classement X qui est ipso facto une interdiction aux moins de 18 ans existait et existe toujours bien qu’au cinéma il n’y ait plus un seul porno. J’ai donc voulu raconter ce problème et surtout rectifier un certain nombre d’âneries publiées à l’époque et qui montraient au mieux l’ignorance au pire le mépris, ou les deux, dont bénéficiait le cinéma porno. Il a été dit que Baise-moi était le premier film censuré depuis « La Religieuse » de Rivette sans que personne ne s’offusque de ce mensonge ! Et La Comtesse est une pute ? Et Langue de velours ? Et Prostitution clandestine ? Et Les Petites Filles et un millier d’autres films pornos qui furent classés X de 1976 à 1992, entraînant la ghettoïsation d’un genre, son appauvrissement et sa disparition lente, qu’est-ce que c’est sinon une censure économique et politique ? C’est donc pour rappeler au souvenir de tout ce patrimoine du cinéma français, honorable selon moi, victime d’une censure implacable, que j’ai écrit ce livre qui a toutes les apparences d’un Que sais-je ? Informatif, historique mais qui est aussi très polémique. C’est quasiment un pamphlet qui reprend des idées reçues sur la censure, dénonce des positions hypocrites. On entend souvent : je suis contre la censure, mais… Ce qui sous-entend qu’il y aurait une littérature ou un cinéma noble et un autre qui serait… ignoble et pouvant être censuré. Oui au Fleurs du mal, non à C’est bon la bite ! Oui à La Religieuse non à Inonde mon ventre qui serait censé ne pas être du cinéma donc indigne d’être défendu. Le silence assourdissant des intellectuels et des critiques de cinéma pendant les presque vingt ans d’action de la loi X les ont rendus complices – et beaucoup s’en félicitent peut-être – de la mort d’un genre cinématographique. L’Esprit Frappeur, qui appartient au groupe de la NSP, l’éditeur de Cinérotica, était l’éditeur engagé idéal pour éditer ce petit livre. Et c’est comme cela que j’ai rencontré Michel Sitbon, l’éditeur, lequel s’est plus tard courageusement lancé dans l’aventure de Cinérotica.

  

© Laëtitia Mélierres

 

 

  

– Comment s’est faite la promotion de la revue, tu as fait preuve d’inventivité notamment avec des clips sur You tube ?

 

Nous avons engagé une attachée de presse que je connaissais bien, Karine Durance. Elle avait longtemps travaillé pour la chaîne câblée Ciné Cinéma, elle avait aussi fait la promotion du long métrage et du coffret DVD de HPG. Elle avait toute sa place pour faire connaître au mieux Cinérotica. Et sur ce plan-là, on ne peut qu’être satisfaits car nous avons rencontré un très bel accueil critique. Libération, Nouvel Obs, Paris Match, Brazil, Siné Hebdo, Technikart, Les Inrocks dont nous avons fait, modestement, la couverture avec Obama ! Des sites comme Bakchich, le blog d’Aurélien Ferenczi dans Télérama, d’autres. Nous avons bénéficié de quelques soutiens spontanés sur les forums spécialisés comme La Cochonne, DevilDead, la liste est longue… Les clips sur You Tube, c’était un clin d’œil que nous nous sommes offert. Je m’en suis occupé personnellement avec des amis qui m’ont tous aidés bénévolement. Disons que c’est un cadeau que j’ai offert à mon éditeur, ça n’entre pas dans son budget promotionnel. Il a juste réglé la facture du costume de cardinal que je porte. C’est Jean-Claude Guillosson qui tenait la caméra, faisait le cadre et a fait le montage. Il a été extraordinaire de gentillesse et de compétence. Un autre copain, Dominique Forma, tenait la perche alors qu’il avait dirigé Jeff Bridges à Hollywood dans un excellent polar, Scenes of the Crime ! J’ai écrit les spots, choisi les acteurs et on a tourné tout cela en une journée dans les bureaux d’Yves Riquet, un personnage étonnant qui a sauvé un des derniers métiers à tisser français fabriquant de véritables bas couture. C’est un fétichiste du bas couture, vous comprenez… Et un amoureux du strip-tease ! Je ne peux que m’entendre avec des gens comme lui ! Et j’ai demandé à des amis acteurs de venir comme Christian Chauvaud qui est un habitué de chez Mocky, Raphaël Scheer, un auteur strasbourgeois dont j’ai joué déjà deux pièces et qui est un excellent acteur – l’homme ivre, c’est lui -, Manon Desgryeux, Murielle Rivemale. Xavier et Marie ne sont pas comédiens mais l’une, en chienne de garde, l’autre en candidat du quizz, ont aussi été parfaits. J’ai même eu le luxe d’avoir une photographe de plateau, Laëtitia Mélierres qui m’avait déjà beaucoup aidé sur un précédent documentaire. Franchement, j’ignore quel fut l’impact de ces spots, mais on s’est bien tous amusés à les tourner. Et j’ai offert à chacun une magnifique paire de bas couture de la production Riquet. C’est le minimum que je pouvais faire pour les remercier tous.

 

– Combien de temps as-tu mis avec tes collaborateurs pour arriver à définir ton dictionnaire des longs-métrages érotiques et pornographiques ?

 

Nous y travaillons depuis presque dix ans. Francis Moury est mon plus ancien collaborateur. Les autres sont arrivés au fil des ans. J’ai défini le contenu du dictionnaire et sa forme. Le travail n’est pas fini ; il doit rester deux cents films à chroniquer. Avec Cinérotica, nous faisions quelques réunions pour discuter principalement sur les titres tangents. Faut-il Hiroshima mon amour ? Faut-il Irréversible ? Et à ces réunions, je venais toujours avec les copies vidéos des films érotiques ou pornos qui restaient à faire et on se les répartissait ensemble. 

 

 

Tournage pour YouTube – © Laëtitia Mélierres

  

– Comment as-tu choisi tes collaborateurs, tous des érudits ?

 

Certains sont déjà bien connus des cinéphiles. Par exemple Jacques Zimmer qui fut rédacteur en chef de La Revue du Cinéma qui publiait la Saison tous les ans et grâce à laquelle les films pornos avaient droit au même traitement critique que les autres films. D’ailleurs, l’un des meilleurs défenseurs du porno dans la Saison, Alain Minard, a rejoint le dictionnaire il y a un an environ. Patrick Meunier en est un autre de la Saison mais il signait sous un autre nom ; il y a Jean-François Rauger, programmateur de la Cinémathèque française ; Gilles Esposito, qui vient notamment de Mad Movies ; François Cognard, un ancien de Starfix devenu depuis producteur de cinéma ; Frédéric Thibaut travaille à la Cinémathèque de Toulouse où il anime Extrême Cinéma et écrit pour Brazil (le professeur Thibaut, c’est lui) ; Italo Manzi est un critique argentin vivant à Paris et féru de cinéma français des années 20-30 ; Richaud d’Ombasle, c’est Monsieur troisième couteau du cinéma français, un maniaque des filmographies exhaustives, auteur de L’@ide-Mémoire ; Emmanuel Levaufre vient de La Lettre du cinéma ; Herbert P. Mathese, c’est l’auteur d’un incroyable bouquin sur Benazeraf ; et il y a des jeunes auteurs très prometteurs comme Edgard Baltzer, 25 ans seulement et l’érudition d’un vieux cinéphile qui a tout vu ! J’ai aussi eu la chance de rencontrer cet été Hervé-Joseph Lebrun, un réalisateur qui s’intéresse aussi beaucoup au cinéma porno gay sur lequel peu de choses passionnantes et détaillées ont été écrites jusqu’à présent. Dominique Forma et Francis Moury, déjà cités, Pierre-Arnaud Jonard, Maxime Delux dont l’écriture précise et iconoclaste me ravit, Didier Dhuique, Frédérick Durand qui est un écrivain canadien… Tous ont été choisis pour la rédaction du dictionnaire parce qu’ils savaient écrire sur l’érotisme et la pornographie sans se moquer du sujet, sans condescendance, sans cette prétention si répandue à vouloir démontrer combien le rédacteur est supérieur au film qu’il commente, qu’il n’est pas dupe. Le second degré qui tient office généralement d’avis est proscrit. Et pour le magazine Cinérotica, je suis heureux d’avoir rencontré Frédéric Tachou, encore un dont le travail remet en cause les idées reçues sur le porno clandestin longtemps paresseusement colportées sans un véritable travail de recherche qu’il est le seul à accomplir en ce moment, et comme Lebrun, c’est aussi un réalisateur qui porte donc un regard de cinéaste sur son sujet, ce qui est toujours très enrichissant pour nous lecteurs. Et dans le n°4, je suis fier d’avoir enfin la plume féminine que je désespérais de trouver : Britt Nini, une pionnière dans le domaine puisqu’elle faisait partie de l’équipe fondatrice du mythique Sex Stars System. 

  

– Quelle était la méthode de travail, on est stupéfait devant la masse d’informations des pseudonymes aux stock-shots ?

 

Chacun a apporté son regard personnel et ses connaissances. Quand on le pouvait, on est entré en contact avec les protagonistes. Un exemple parmi d‘autres, Edgard Baltzer a correspondu avec Catherine Ribeiro qui s’est exprimé librement sur sa participation au film le plus méconnu de sa carrière, Ils sont nus de Claude Pierson. Pour ma part, j’ai fait tout le travail de dépouillement des archives du CNC, la consultation des dossiers de censure, parfois riches d’information, même s’il faut être très prudent avec ses infos administratives. Mais le plus intéressant sont les commentaires mêmes de la commission de censure que j’ai reproduits chaque fois qu’ils étaient circonstanciés. Nous sommes à l’affût de la moindre info, des archives de production consultables. Encore récemment, j’ai hérité de quatre classeurs d’archives des productions Hustaix qui avaient échappés au déménagement de ses bureaux vers 1988, treize ans après la mort du bonhomme. J’y ai découvert les contrats de techniciens et d’acteurs qui m’ont permi d’établir des fiches techniques et artistiques encore plus complètes que les génériques. L’essentiel reste la vision des films : une fois le stock des titres édités en VHS françaises épuisés, nous avons fait jouer le réseau des collectionneurs européens, pour profiter de copies allemandes, italiennes ou anglaises. L’un de mes contacts achète aussi des copies 35 de films rares dont le dictionnaire profite ensuite : c’est ainsi que j’ai pu visionner et commenter sur pièce la version hardifiée sous le titre de Clodo et les vicieuses du dernier film de Bourvil, Clodo dont on ne connaissait en vidéo que la version originelle ! Mais il reste toujours des films mystérieux, qui résistent aux recherches, c’est une quête sans fin !

  

– Quels critères sur le choix des films disponibles en VOD sur le site internet ? 

 

On s’efforce de choisir des strip-teases et des pornos clandestins représentatifs de leur époque ou au contraire très particuliers, proposant une certaine originalité. 

 

 

Christophe Bier – à droite – en Monsieur Cinéma – tournage pour UTube – © Laëtitia Mélierres

  

  

L’arrêt de la revue : 

  

– Peux-tu nous évoquer la raison de l’arrêt de ta revue, 40 000 exemplaires étaient pourtant distribués ?

 

D’abord, il ne faut pas caricaturer et tout rejeter sur une raison : la revue s’arrête parce qu’il n’y a pas assez de lecteurs. Nous n’avons pas encore les vrais chiffres du 3, du 4 non plus évidemment. Mais il y avait environ 3400 lecteurs qui achetaient la revue en kiosque et presque 300 abonnés. Le contraire aurait été préférable et viable. J’ai rencontré des lecteurs désolés de cet arrêt et qui m’expliquaient qu’ils allaient s’abonner. C’est trop tard ! Aujourd’hui, la presse est un secteur en danger. Personne ne l’ignore, la crise de la presse est largement commentée dans les médias. Quand une nouvelle revue sort en kiosque, qui plus est lorsqu’elle est pointue et originale comme Cinerotica, il faut – si l’on est vraiment intéressé – immédiatement s’abonner. C’est l’évidence ! C’est un risque à prendre même. Après, il ne faut surtout pas se plaindre que la revue s’arrête.  

  

– Y avait-t-il des problèmes de distribution, des freins des services de presse, et des difficultés pour trouver un éditeur ?

 

Problème de distribution ? On peut surtout parler d’un problème de diffusion. Cinerotica était distribué par les MLP. J’ai l’impression qu’ils n’ont rien fait pour mettre en valeur et promouvoir la revue. Ça ne les intéresse guère. Après il y a les dépôts partout en France ; parfois c’est une mafia. A Grasse par exemple, un kiosquier a plusieurs fois réclamé au diffuseur des Cinérotica et ne les a jamais eus… Pourquoi ? Le distributeur se fout de faire correctement son boulot, à moins de servir la soupe aux grands éditeurs. Faut-il donner des pots de vin pour avoir son magazine bien mis en évidence ? Je me pose la question ? Enfin, il y a les kiosquiers… Vaste problème ! Je ne veux pas en fait le bouc émissaire idéal, ce serait facile ! Ils ont leur problème, sont submergés par le papier, visiblement aussi par les problèmes financiers… Il n’empêche que beaucoup d’entre eux ne font pas correctement leur boulot. Je l’affirme car j’ai eu des témoignages sur certains comportements inqualifiables. D’abord, il y a ceux qui cherchent à décourager le client, lui affirmant qu’ils ne connaissent pas la revue, ne voient pas ce que c’est ; si le client insiste très lourdement, le kiosquier finit par lui sortir Cinérotica ! Ça s’est vu ! Encore plus fort, une autre fois dans une maison de la presse, le type est parti en réserve chercher le numéro : il ne l’avait absolument pas exposé ! Comment voulez-vous que des petits éditeurs s’en sortent avec des habitudes pareilles ! On n’a pas les moyens d’envahir les points de vente d’huissiers pour faire des constats de refus d’exposition ou de vente, c’est impossible ! Je crois aussi que Cinerotica a décontenancé des kiosquiers : la revue était trop particulière. Une revue de cul intello, ça dépassait leur entendement. Nous voulions être dans le rayon cinéma, à côté de Mad Movies par exemple, mais le kiosquier gère son kiosque comme il l’entend. Beaucoup l’ont mis dans le charme. Remarquez, pourquoi pas, c’est préférable que de rester en carton. J’ai aussi constaté que certains commencent à faire le ménage deux semaines avant la fin de l’exploitation, pour « faire de la place ». Considérant la revue « invendable », ils la mettent en carton en invendu avant même la fin du mois ! Je vous fais part de mes indignations, mais hélas il semble que tout cela soit très banal dans le monde de la presse. Voilà de quoi décourager les éditeurs…

  

– As-tu eu des difficultés avec la censure, ou une certaine morale bien pensante, à l’instar de la suppression de la page Facebook de Cinérotica ?

 

Pour continuer sur le kiosquier, ajoutons effectivement des menaces. Récemment, rue Léon dans le XVIIIème à Paris, l’un d’eux est arrivé le matin et a découvert sur son kiosque, par-dessus les publicités pour Union et un autre magazine érotique des affichettes sous forme de faire part (avec des bordures noires) rappelant les termes de l’article 227-24 du Code Pénal et signé « Papa et Maman en colère ». C’est de l’intimidation qui peut influencer le comportement des kiosquiers les plus trouillards. On ne peut pas leur en vouloir si ce genre de choses se propageait. On salope leur kiosque et en plus on les menace de prison et d’une amende salée s’ils font commerce d’un message porno pouvant être vu par un mineur ! C’est le fait d’associations conservatrices, comme celle qui avait poursuivi Baise-moi en 2000. Plutôt que de lutter contre la pornographie dont les effets néfastes restent toujours à démontrer, il faudrait s’inquiéter de la montée de ces intégristes qui, la nuit, recouvrent les murs de la ville de leur menace.

 

 

tournage pour YouTube – © Laëtitia Mélierres

Côté Service de presse, nous n’avons pas trop eu à nous plaindre. Le succès critique a été très grand. Toutefois, c’est vrai, quelques journalistes qui avaient adoré Cinérotica n’ont pas pu défendre notre revue au sein de leur rédaction. Un rédacteur en chef adjoint d’une très populaire revue de cinéma s’est vu opposer un refus catégorique de sa rédactrice en chef au motif de la pornographie ! Mais oui, Cinerotica parle de pornographie, quel est donc le problème, c’est interdit ? C’est indigne ? Il faut le croire… Cela ne gêne pas certaines revues d’exploiter l’érotisme, de surfer même sur l’idée de porno, en l’occurrence de porno chic, mais en aucun cas il faut saluer une entreprise plus frontale – en un mot plus honnête – comme Cinérotica ! Un autre hebdomadaire important a aussi refusé d’en parler, alors que l’article du critique était rédigé. C’est encore une rédactrice qui a bloqué. Des femmes qui ont des postes importants ne comprennent rien à la pornographie, la considèrent comme dégradante et font un authentique acte de censure morale. Des hommes tombent aussi dans ce travers par sympathie « féministe ». La suppression de la page Facebook en revanche n’est peut-être pas un cas de censure, mais répond aux limites de leur charte. Toujours est-il qu’il m’a fallu plusieurs mails pour obtenir une réponse complète de Facebook. Le site considérait notre profil comme « professionnel » et nécessitait donc un autre traitement. 

  

– Que deviennent les soirées Carré blanc, présentées sur CinéCinémaClub, en partenariat avec ta revue, et qui a participé aux choix de ces films (« Les onze mille verges », « Calmos », « Collection privées ») ?

 

Les choix étaient du ressort du programmateur Bruno Deloye, de CinéCinémaClub. La chaîne continuera dans l’érotisme mais notre partenariat cesse évidemment. 

  

– J’imagine ta déception. L’arrêt de ton dictionnaire va beaucoup frustrer les cinéphiles, peut-il ressortir sous une autre forme ou un autre support ?

 

Non, il ne faut pas être déçu. C’est une expérience qui a au moins permis de faire découvrir notre travail et l’ampleur de notre ambition. J’ai donc décidé d’achever le dictionnaire cette année. Le but est d’en faire un livre, un pavé de 800 pages illustrées, cousu et relié. Un ouvrage de luxe. Je me suis donné jusqu’en mars pour discuter avec des éditeurs. Passée cette date, si aucune proposition sérieuse n’est avancée, j’éditerai seul avec l’aide d’un ami partenaire cet ouvrage. Nous mettrons neuf mois à le finir, le temps d’une grossesse au cours de laquelle une souscription sera proposée à un prix très attractif. J’attends des devis d’imprimeurs, donc je ne peux pas encore donner de prix. Il faut patienter. Donc, tous ceux qui brûlaient d’envie de savoir ce qu’était Zob, zob, zob, le dernier titre du dictionnaire se rassurent : édité ou autoédité, le Dictionnaire sortira. Je les invite à se tenir au courant, surtout dans le cas d’une auto-édition avec souscription. Déjà, ils peuvent nous envoyer leurs adresses postales et mails à : cinerotica@free.fr. Je leur dis à très bientôt, courant mars pour des nouvelles. 

 

  tournage pour YouTube – © Laëtitia Mélierres

 

  

– Y a-t-il une action pour sauvegarder les copies de ces films, ou risquent-ils de disparaître un jour ?

 

Ce genre méprisé mériterait en effet un plan de sauvegarde. Déjà, plusieurs cinémathèques ont pris conscience de ce patrimoine et sauvegardent les films pornos, mais beaucoup de titres ont certainement disparu. Le genre a trop été dans les mains de marchands de soupe qui n’avaient cure du patrimoine et du respect de l’œuvre. Les premiers à mépriser la pornographie furent souvent, hélas, ceux qui la finançaient, parfois même qui la réalisaient. Les copies 35 exploitées jusqu’à la corde furent revendues, détruites pour économiser des frais de stockage, remontées pour faire de nouveaux films-gigogne. Lorsque la vidéo fit son apparition, c’est le master vidéo qui est devenu la référence, sans plus se soucier des copies. Quant aux négatifs, certains dorment dans les labos dans une indifférence générale. Je voudrai faire un rêve : un plan de financement gouvernemental pour un état des lieux du patrimoine pornographique français, suivi de mesures financières pour des restaurations massives. Mais vous imaginez cela possible ? Au moins, après le Dictionnaire de 800 pages, plus personne ne pourra dire que le cinéma porno français est négligeable. Il apportera la preuve de sa richesse, de ses différences et coupera court à tous les discours généralistes des pornophobes. 

  

– Les films pornos restent-ils « Mauvais genres » malgré leurs diffusions TV et vidéo ?

 

Oui. Car la loi X est maintenue. Cela signifie que si un jour John B. Root a envie de tourner en HD un film porno pour le cinéma, il ne bénéficiera jamais de la nouvelle interdiction aux moins de 18 ans (celle de la ressortie de baise-moi) mais sera automatiquement classé X. Donc, le cinéma porno continue d’être censuré, interdit dans les salles puisqu’il n’y a plus de salles (à part le Beverley à Paris). Concernant les diffusions TV, ce qui est approuvé, du moins sur des chaînes du groupe Canal +, c’est un certain type de pornographie, une pornographie BCBG en quelque sorte, corsetée par des interdits stupides qui infantilisent le genre. B. Root, toujours lui, a contourné la difficulté en réalisant des doubles versions. Très habilement, il a commercialisé en vidéo sa « director’s cut » d’Inkorrekt(e)s et a fourni à Canal + une version expurgée qu’il a ironiquement intitulée Korrekt(e)s. Un autre problème crucial qui révèle le mépris et le refus de considérer la pornographie comme un genre qui a une histoire : sous le prétexte idiot de lutter contre le sida, tous les films tournés sans préservatifs dans les années 70-80 tendent à disparaître des programmations. On considère à la fois le cinéma porno comme un produit de consommation jetable dont il faut promouvoir uniquement les « produits » les plus récents et aussi comme ayant des devoirs pédagogiques. Tout cela vide le genre de sa force transgressive. Le cinéma porno n’a jamais eu de vocation pédagogique. Si aujourd’hui tous les films doivent utiliser des préservatifs, c’est uniquement pour protéger les comédiens et non pas pour donner un message éducatif. De même les pornophobes reprochent parfois une pornographie violente, mais elle n’a pas forcément la vocation d’être douce, mièvre, de symboliser l’image d’un bonheur béat. On dit encore que cela détourne les jeunes de l’amour parce que l’amour y est ridiculisé au profit du sexe. Mais là encore la pornographie n’a pas à être au service d’une idéologie unique qui serait celle de l’amour, de la fidélité. Et en quoi l’amour serait à privilégié dans l’éducation des jeunes par rapport à la découverte d’une sexualité sans sentiment ? Je m’arrête là car je peux être intarissable sur ce sujet. Je vous conseille simplement un livre remarquable du philosophe Ruwen Ogien : Penser la pornographie au PUF. Il fait le point et démonte de manière remarquable, à la lumière de l’éthique minimale, tous les arguments des pornophobes.  

  

– Après « Eurociné », « Les nains au cinéma », et « Cinérotica » et la réalisation de documentaires, quels sont tes projets ?

 

Eh bien, ce Dictionnaire donc qui me prendra beaucoup de temps. Mais aussi un documentaire sur Daniel Emilfork qui est en bonne voie et dont j’espère commencer bientôt le montage. J’ai déjà fait les interviews de la fille d’Emilfork, Stéphanie Loik, de Pierre Philippe, de Jacques Baratier, Jean-Claude Dreyfus, Jean-Louis Roy qui réalisa un extraordinaire Inconnu de Shandigor avec l’un des plus beaux rôles d’Emilfork, Daniel Mesguich et Claudie Ossard, la productrice de La Cité des enfants perdus.