Bon j’ai plutôt un rapport « Je t’aime, moi non plus » avec les films de Lelouch. Je suis plutôt en période de réconciliation avec lui grâce à la vision de certains de ses films sur feu TPS « Smic, Smac, Smoc » ou « Mariage », et la lecture de l’excellent ouvrage à son sujet « Claude Lelouch, mode d’emploi » par Jean Ollé-Laprune – à quand un retour sur notre petit écran, qu’est-ce qu’il peut nous manquer… – et Yves Alion – que les lecteurs de feu « La revue du cinéma » connaissent bien -. Il est vrai que je préfère ce cinéaste sur ses films modestes plutôt que ses fresques alambiquées versions poupées russes – « Toute une vie » par exemple malgré le culte que je voue à Charles Denner, est quand même hautement improbable -. L’avant-première du film à l’UGC-Cité Bordeaux, en présence d’Audrey Dana et de son fils Simon Lelouch, le 21 juin dernier, se déroulait dans une salle pleine, malgré la fête de la musique qui battait son plein. C’était donc l’occasion de vérifier si Lelouch innovait après l’insuccès de sa trilogie inachevée « Le genre humain » – vaste programme -, en dépit d’une bande-annonce stroboscopique – une véritable épreuve pour nos pauvres yeux -. Le tout est habillé par une sorte de gimmick, tourner le film dans un secret absolu en prenant le pseudonyme de son ami professeur de tennis Hervé Picard. Selon son fils il a décidé de le sortir sous nom à l’annonce de sa présentation à Cannes, par honnêteté pour son public. Le secret a été longtemps gardé, histoire de préserver le film. Audrey Dana a passé des doubles essais, l’un pour un film de Lelouch, l’autre pour « Roman de gare » en présence de Picard jouant consciencieusement son rôle de cinéaste et se faisant même séduire par de jeunes comédiennes. Audrey Dana semble avoir un grand avenir devant elle, elle faisait preuve d’un grand humour quand elle recevait des compliments… de sa sœur ! A noter qu’elle a confirmé avoir une homonyme, ex-femme du réalisateur Paul Boujenah, qui jouait dans « Le faucon » (1983) notamment, j’ai signalé ce fait au site IMDB. Pour revenir au film, on imagine bien que ce secret ne devait tout de même pas perdurer dans un travail collectif, il ne semble pas que Lelouch réitère pour autant la célèbre imposture Romain Gary-Émile Ajard pour le beau livre « Gros câlin ». De toute manière, le style Lelouch est reconnaissable entre mille, on retrouve même deux de ses filles et Arlette Gordon son attachée de presse, dans son propre rôle lors d’une émission TV imaginaire présentée par Serge Moati – on y retrouve l’ineffable Bernard Werber -. Il nous ressert en fait l’histoire d’un de ses premiers films « L’amour avec des si… » (1962), mâtinée d’un peu de « Drôle d’endroit pour une rencontre », film de François Dupeyron.

Dominique Pinon & Audrey Dana

C’est le même départ, quelle est l’identité de l’automobiliste, prenant une jeune femme en auto-stop. Il y a même l’importance de la radio, avec la voix de William Leymergie, crédité dans les remerciements en fin de générique. L’inconnu est donc joué par un formidable Dominique Pinon, à l’aise dans un premier rôle teinté d’ambiguïté et Huguette, la passagère est jouée par Audrey Dana, une révélation et une nature, défendant avec conviction son réalisateur. Il la ramène chez ses parents, alors qu’elle vient d’être larguée sur une autoroute par son compagnon – Cyrille Eldin, amusant -. Les infos radios annoncent qu’un dangereux tueur pédophile vient de s’évader… C’est un retour au source, il y a peut être moins d’autos citations qu’habituellement même si certains aphorismes lelouchiens valent leurs pesants de cacahuètes… Il faut dire que l’intrigue policière n’est pas une réussite, et les « zazards » et les coïncidences chères a son réalisateurs desservent plutôt l’histoire. Malgré quelques bémols, et quelques personnages caricaturaux – Fanny Ardant dans le rôle de Judith Ralitzer – un hommage à Paul-Loup ? – ne semble pas très à l’aise dans le stéréotype d’une femme auteur de roman noir -, le film arrive à trouver son rythme entre humour décalé et une tension naissante. Comme souvent chez Lelouch – pour mézigue du moins -, c’est dans des scènes entre deux personnages que la magie du réalisateur passe, des échanges d’Audrey Dana qui joue Huguette, parlant de son âme de midinette, ou de la rencontre du toujours formidable Zinedine Soualem en commissaire avec Michèle Bernier dont le mari vient de quitter le domicile conjugal. La première partie est réussie, avec de bons moments passés dans la ferme familiale des parents d’Huguette, on retrouve le talent de Myriam Boyer, formidable dans un rôle assez improbable de paysanne misérable. L’utilisation inventive des chansons de Gilbert Bécaud est à saluer. Ce film est l’occasion de constater la capacité toujours remarquable qu’a Claude Lelouch de rebondir après un échec, il avait déjà signé un singulier – mais un peu raté « Viva la vie » après sa relative déception de l’accueil d’ « Édith et Marcel ». Gageons que malgré quelques petits côtés irritants, Lelouch n’a pas fini de nous surprendre. Il faut signaler que beaucoup de spectateurs étaient enthousiastes ce soir là.