Hanna – Sarah Poley, dans une belle interprétation à fleur de peau -, est une jeune employée modèle dans son entreprise. Elle dérange pourtant ses collègues par ses troubles de comportement et ses petites manies et son petit air désabusé. Elle ne prend jamais de vacances, rassurée dans les habitus du travail, on lui impose presque de partir en vacances. Elle en profite, par un curieux hasard, pour devenir infirmière sur une plate-forme de forage, isolée en pleine mer. Elle est au chevet de Josef, un grand brûlé – Tim Robbins mettant en valeur son texte et excellent dans la maturité -. Josef apprivoise Hanna, qui a un problème de surdité. Les sens exacerbés par une cécité ponctuelle, il décide d’apprivoiser ce petit animal sauvage, qui semble avoir subi un grand traumatisme elle aussi. Il parade pour oublier sa souffrance. C’est une étude de mœurs, produite par les frères Almodovar, montrant comment les personnages vivent avec leurs névroses. La réalisatrice Isabel Coixet, les regardent avec une certaine distance, mais une réelle compassion, ce qui nous évite un mélo larmoyant ou manipulateur. Ils avancent cependant malgré les traumatismes, une complicité amoureuse va naître entre ces deux écorchés vifs – sans mauvais jeu de mot -, elle se murant dans le mutisme, lui faisant preuve d’inventivité dans ses dialogues, allant jusqu’à un délire complet, comme l’évocation amusée du kilt de Sean Connery ! Le dialogue – flirtant parfois avec le ridicule – entre Tim Robbins et Sarah Polley, est singulier, dans ce « No man’s land » cosmopolite qui exacerbe les sentiments. Le film prend le temps dans des petits riens, d’installer un climat, et une intimité entre les personnages, il y a aussi beaucoup de subtilité dans le traitement de quelques événements contemporains et de cet huis clos sensible. Les autres personnages comme posés au milieu de nulle part, réfléchissent sur leurs blessures secrètes, et trompent un ennuie certain, en compagnie d’une oie, en jouant au basket.


Javier Camara & Sarah Polley

Le film n’est pas sans faiblesses, une voix off enfantine efficace mais déconcertante, ou certains seconds rôles qui sont à peine esquissés, sauf celui de Simon joué par un Javier Camara très en verve – c’est un des acteurs réguliers des films de Almodovar -. Simon est un  cuisinier inventif et volubile – il faut le voir préparer ses gnocchis -, qui tente de trouver un morceau de musique avec la préparation de mets exotiques -. On retrouve aussi Julie Christie, en psychiatre nordique, ne connaissant pas le secret médical, il faut bien la grâce de cette comédienne toujours aussi radieuse, pour nous faire adhérer à un personnage assez improbable. On finit par adhérer au concept, les blessures physiques étant une expression des blessures de l’âme -. La bande originale est brillante – c’est un effet mode récurrente à nombre de films en ce moment, histoire de vendre en plus la B.O. mais comment résister ici à Tom Waits – je dois confesser lui vouer un culte – ou Juliette Gréco -. On pense au Lars Von Trier de « Breaking the ways » par le décors et le traitement de l’image, et à Aki Kaurismaki pour une sorte d’humour à froid. Mais Isabel Coixet ayant un réel univers – je n’ai hélas pas vu « Ma vie sans moi » son premier long-métrage de 2003, avec déjà Sarah Polley -, se démarquant fortement du folklore espagnol cher à son producteur Almodovar, elle évite pourtant l’effet euro-pudding propre à ce type de production, A noter la grande mode des titres anglais pour des films internationaux, jugés sans doute plus vendeur par les distributeurs le titre V.O. est La Vida secreta de las palabras. Le film a connu un grand succès en Espagne et a reçu 4 goyas en récompense, comme quoi se démarquer de la culture de son pays peut être payant. Le film, conforté par son traitement intimiste, s’avère convaincant et offre une belle réflexion sur la condition humaine, avec une ironie mordante. Mais c’est peut être le type de film qui peut « laisser à la porte »-.