Avant-première à l’UGC Cité Ciné à Bordeaux de « Je ne suis pas là pour être aimé » en présence d’Anne Consigny et du réalisateur Stéphane Brizé. Première scène un quinquagénaire monte assez péniblement les escaliers d’un immeuble. Essoufflé, fatigué il sonne à la porte d’une jeune femme qui lui ouvre pensant que c’est un de ses amis qui lui demande de revenir avec elle. On apprend qu’il est un huissier, qu’il apporte une mise en demeure à la jeune femme, dépassée par l’énormité de la dette rappelée. Le personnage se prénomme Jean-Claude, qui dit que ce n’est pas de sa faute, mais on comprend bien qu’il vit parfaitement la situation, son problème étant juste son souffle. Le titre apparaît évident « Je ne suis pas là pour être aimé ». Dès le premier plan tout est dit, tout est définit, Jean-Claude est joué par Patrick Chesnais, et on est ravi de voir qu’enfin il va trouver ici un grand rôle à la hauteur de son grand talent.

Patrick Chesnais

Ce film est un grand coup de cœur, une écriture subtile et dépouillée, le scénario initial est débarrassé de toutes les scories, passant de 100 à 50 pages, et on a rarement vu un film aussi subtil dans le cinéma français depuis très longtemps. Jean-Claude Delsart s’arrange avec la raideur de son travail, vit sereinement son emploi, il a repris l’étude de son père, un homme bougon et coléreux, qu’il va rendre visite tout les dimanches à la maison de retraite – Georges Wilson, d’une raideur saisissante qui nous livre ici une composition exceptionnelle. Le vieil homme avec lequel il joue au monopoly est la terreur des lieux, peste un jour car il reçoit des chocolats qui ne sont pas à 80 ans. On devine très vite les relations pères-fils. Jean-Claude reproduit d’ailleurs le même schéma avec son films – remarquable nouveau venu Cyril Couton, un nom à retenir, l’obligeant à travailler avec lui, alors que lui ne vit que pour sa passion des plantes vertes. L’étude n’est pas très sympathique, la secrétaire – Anne Benoît parfaite venant du théâtre, veillant au grain et ne semble avoir d’amour que pour son chien. La santé de Jean-Claude le préoccupant, il prend des cours de tango, qui jouxtent juste son étude. Une jeune femme particulièrement radieuse Françoise, repoussant un dragueur insistant – Olivier Claverie parfait en danseur déplaisant à souhait – reconnaît Jean-Claude, sa mère l’ayant élevé. Elle se prépare pour son mariage, avec un écrivain renfrogné : Lionel Abelanski, formidable comme à son habitude, qui a fait une pose dans son métier d’enseignant pour écrire un roman.

Patrick Chesnais et Anne Consigny

La suite est très prenante, Stéphane Brizé après le très bon « Le bleu des villes », où les amours d’une pervenche – l’on se souvient de l’anthologique scène des noyaux de cerises laissés dans le gâteau de la belle-mère joué par Liliane Rovère – , décrivait également une personne remettant ses agissements et sa vie en question. Anne Consigny engagée selon le réalisateur suite à des essais de danse avec Patrick Chesnais – il avait trouvé que le couple fonctionnait parfaitement -, est très à l’aise dans les non-dits, lumineuse, elle compose un personnage particulièrement attachant. Patrick Chesnais trouve ici son meilleur rôle depuis longtemps. Beaucoup d’émotions canalisées et niées ressortent dans un amour incertain, les personnages déstabilisés se remettent en question dans leurs vies.

Tous les comédiens sont formidables, choisis avec le grand talent de directrice de casting de Brigitte Moidon, le metteur en scène connaît les acteurs et s’évertue à éviter les clichés présentant même un autre scénario pour les essais pour ne pas trop dévoiler ses personnages et garder une fraîcheur. Citons également Geneviève Mnich appréciée par Alain Resnais, en mère étouffante, Hélène Alexandris en grande sœur, Marie-Sohna Condé en jeune femme qui perd tout mais reste digne – voir la terrible scène des ricanements des policiers -. Optimiste, ce film nous donne une formidable empathie avec ses personnages, Stéphane Brizé a su illustré un formidable scénario – Anne Consigny a rappelé qu’il déclarait que c’était pour lui son meilleur ennemi. Le public emballé, charmé par la grâce d’Anne Consigny – parfaite dans le rôle de la récitante dans « L’équipier » de Philippe Lioret, parlait d’ailleurs de « Lost in translation » le beau film de Sofia Coppola, nous sommes ici dans le même cousinage et louons le réalisateur d’avoir donné à Patrick Chesnais enfin un rôle à la mesure de son grand talent, impressionnant d’autorité, son système de vie vacille, il s’humanise, s’ouvre aux autres, et comprend la difficulté que l’on peut avoir à dire des choses simples. Donnez sa chance à ce film le 12 octobre prochain, belle observation de nos frilosités, vous ne le regretterez pas !