Samedi soir, il est près de 2h30, du matin, terminant « Tout le monde en parle », petit tour vers TF1 – en direct – pour voir les nouveaux cobayes de « La ferme has been ». Le sadisme érigé au niveau des beaux-arts… Carmouze & Dechavanne ricanent… Les « similis-pipoles » comme on les nomment désormais, arrivent dans la ferme en limousines, après deux heures d’avion.

Ils n’auront, ni eau courante, ni même une couche décente pour dormir -Ils doivent en construire une de fortune eux mêmes- et auront la joyeuse compagnie de l’odeur pestilentielle de la bergerie. Et personne ne moufte ! La méthode de lobotomie collective du tandem LeLaye/Mougeotte, de sinistre mémoire, fonctionne parfaitement.

Le repas risque d’être frugal (fruits & légumes), mais je me dis qu’au moins ils auront quelquechose d’autre à manger, une meringue géante trônant dans la cour… Sauf que, gourance, elle se met à bouger, glousser, imiter un cri très improbable de volatile… C’est en fait la baronne Marianne Brandstetter, qu’il serait d’ailleurs indécent de reconnaître, tant elle doit avoir été victime d’un chirurgien esthétique fou. C’est une ex esthéticienne, – avatar trash de la starlette Nadine Tallier, brillant par sa vulgarité, et devenue « le comble de la distinction » sous le pseudo de Nadine de Rotschild… –

On nous rappelle bien que tout ce cirque est pour la bonne cause, pour aider des associations… C’est une hypocrisie totale, une manière de se dédouaner. Le casting est hallucinant, feu Jango Edwards – on l’imagine aisément mimer la brouette infernale dans le poulailler avec Mme la baronne -, feu Philippe Risoli complètement hagard – c’est Claude Chabrol qui va être content -, feu Plastic Bertrand déchaîné, le « petit chef » Henri Leconte, feu Mallaury Nataf déguisée en arbre de Noël, feu Patrick Dupont en zombie évadé d’un film de Lucio Fulci, feu Jordi, chanteur enfant étoile filante et amère déception feu Princesse Erika, que l’on n’attendait vraiment pas là… Il y a les rituelles autres nouvelles têtes que personne ne connaît – je vais avoir du mal à trouver les noms pour compléter la fiche IMDB, que j’avais eu le vice de créer l’année dernière -. Saluons le sens du directeur du casting, difficile de faire pire…

Il ne manquait en fait, bien qu’annoncés, que Christine Deviers-Joncours et une célèbre personnalité de la set set -connue pour ses problèmes de drogue- Ils auraient pût faire l’effort à TF1, de pousser l’indécence jusqu’à nous montrer une crise de manque en direct ! Il y a également feu Régine (perdue dans la nature, annonce Dechavanne) !

Les similis-pipoles de l’année dernière sont re-tombés dans l’anonymat… Tout ce petit monde -en attente d’un peu de reconnaissance- va se rendre indigne. On parle de télé-réalité, mais ce n’est qu’une nouvelle forme de sitcom (comédie de situation) pas chère, sans scénaristes, plus fort que « Voisin, Voisine »! C’est censé être ludique, c’est complètement pervers et abject. Désolé, mon vieux « fond sadique », mais je préfère retourner à mes nanars -et en plus mon cerveau disponible n’aime pas le coca-. De toute manière on se régalera dans le « zapping » de Canal + ». Vivement les chroniques de Guy Carlier, pour nous venger de tout ça…

Déjà le côté laboratoire de « La ferme » / « Ferme-là ! », pouvait faire penser aux souris blanches de « Mon oncle d’Amérique » (Alain Resnais, 1979), mais l’autruche… est-ce une citation au « Fantôme de la liberté » de Luis Buñuel ?

Il me semble salutaire de rappeler le texte de Robert Guédiguian sur la télévision, paru l’an dernier :

  Dernier samedi avant Noël. Je regarde la finale de « Star Academy ». Une jolie brune chante et puis pleure, ou l’inverse. Un jeune homme la regarde, au bord du sanglot, et la serre dans ses bras de toutes ses forces. Musique… Une autre jeune fille, blonde cette fois, dans le public, pleure. Ses larmes coulent, abondantes. Je m’abandonne. Soudain, en une fraction de seconde, grâce à une erreur de montage, je m’aperçois qu’un des personnages attend que la caméra soit sur lui pour étreindre, pleurer et sourire. Et là, j’ai honte de m’être un instant laissé aller.

Ce personnage veut nous faire croire qu’il ne joue pas. Il fait là le contraire de ce que je considère comme la plus noble figure de la représentation, le contraire de l’aparté dans la commedia dell’arte lorsqu’un acteur interrompt son action, se tourne vers la salle pour réclamer son approbation, puis reprend l’action laissée en suspens comme si de rien n’était. La noblesse de cette manière réside dans le fait qu’elle est destinée à rendre le public intelligent, maître de lui-même. C’est en pleine possession de ses moyens qu’il choisira de siffler ou d’applaudir. C’est lui qui décidera du rapport entre la réalité et la représentation de la réalité qu’on lui propose.

Dans « Star Academy », comme dans toutes les émissions de ce genre, il s’agit, à l’inverse, de berner, d’abuser, de manipuler le public… De l’assujettir en lui faisant croire que la réalité représentée est la réalité elle-même.

Toutes ces émissions diffusent, distillent, vaporisent sur tous les sujets qu’on les laisse traiter – et les limites ne cessent de reculer – un seul message : la réalité est faite de vainqueurs et de vaincus, de forts et de faibles… La compétition est la vie elle-même. Elle est affective, psychologique, sexuelle et, bien sûr, sociale, économique et encore physique, esthétique… Et les perdants doivent aller embrasser les gagnants car la Réalité leur a assigné leur place. C’est comme si c’était de l’ordre de la Nature. Il n’y a donc aucune raison de se fâcher.


Il ne faut pas être devin pour comprendre à qui profite le crime. Si l’on me démontre que cela n’est pas de l’Idéologie Libérale, de la Propagande Capitaliste, je veux bien me taire définitivement. Il faut peut-être à nouveau dire capitalisme, dont le radical « capital » me paraît mieux indiquer la nature de ce système que le radical « libre »du mot libéralisme.

J’ai lu, par ci, par là, des analyses sur la télé-réalité dont la finesse ne sert qu’à masquer l’ambition autoproclamée dans le mariage contre nature de ces deux mots et de ces deux choses. La complexité des analyses finit par rejoindre le sens commun… Vous savez, les idées reçues comme « Tout est dans tout », « Il y a du bon et du mauvais partout », « Il faut en prendre et en laisser »… Bref, toutes les idées qui conduisent tout droit à la résignation et au désengagement.

Ceux qui ont le pouvoir et l’argent, dans l’ordre que vous préférez, savent cela. Ils ont trouvé un nouveau moyen de garder le pouvoir et l’argent, toujours dans l’ordre que vous voulez.

Les enfants des actionnaires de nos chaînes de télévision vont à l’Ecole alsacienne, à l’Ecole de la Légion d’honneur ou je ne sais quel couvent des Oiseaux. Des lieux où ils ne regardent pas la télévision que leurs pères fabriquent. Les enfants de nos banlieues qui regardent ces émissions plus qu’ils ne vont dans les écoles de notre République auront leur cerveau disponible pour penser que le Coca-Cola est la meilleure boisson du monde, et surtout pour penser que leurs conditions de vie sont mauvaises à cause de la Nature. Donc il est impossible de les améliorer.

Ils resteront sagement là où ils sont, en bas comme dit l’autre. L’autre, dont le conseiller est le talentueux producteur de « Popstars » et surtout de « Koh- Lanta », où les protagonistes doivent se battre pour survivre… Jusqu’où iraient-ils pour gagner, si tous les coups étaient permis ? Jusqu’à s’entre-tuer ? Qui le sait ! Mais l’exploitation commerciale de l’aliénation, de la frustration et de la misère en France est autorisée par le CSA, qui continue à jouer avec ses petites figures géométriques de toutes les couleurs et à se demander si « Popstars » est un documentaire de création.

Enfin, nous venons d’apprendre que ce monsieur a signé avec le service public pour l’année prochaine. Décidément, on est coincé de tous les côtés.

Voyez-vous, au début de ce texte, je parlais de Noël… Je voulais intervenir à ce moment-là contre la télé-réalité… Et puis le temps a passé jusqu’à ces jours-ci où a été publiée cette déclaration incroyable de : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » M. Le Lay exécute les ordres, et il le fait très bien. C’est un très bon technicien. Il n’est pas au service d’un Etat, d’une morale, d’une religion, d’une idéologie… Il est au service de l’argent. C’est un travailleur consciencieux. Il s’applique de toutes ses forces pour que ses riches patrons soient encore plus riches, de plus en plus riches. Il faut, dit-il, vendre du temps de cerveau disponible. Il ajoute : « Et rien n’est plus difficile. » Oui, l’humanité résiste encore aux génocides, à la décérébration, à la lobotomie…

Est-ce qu’il n’est pas temps de cesser de pérorer sur nos admirables démocraties occidentales alors que les « maîtres du monde » nous disent ouvertement, sans ciller, que leur but est de vendre du temps de cerveau humain disponible ?

Pourquoi cette déclaration ne fait pas la « une » des journaux ? Pourquoi les intellectuels, les hommes politiques (Fabius avoue ne pas détester « Star Ac' », Copé était prêt à participer au projet de télé-réalité sur les hommes politiques…), les artistes n’abordent-ils pas frontalement ce sujet ?

Est-ce que leur indépendance à l’égard de ces nouvelles organisations du pouvoir du capital a déjà disparu ? Est-ce que le fossé qui sépare les élites de l’immense majorité de notre population est devenu infranchissable ?

Robert Guédiguian est cinéaste.

Le site du jour : CARLIER Site suisse où l’on peut écouter les chroniques du « Fou du roi », sur France Inter, du formidable Guy Carlier .