En voyant ce dernier Sydney Pollack, nous sommes un peu sur un terrain acquis d’avance, solidité des interprètes, métier d’un grand cinéaste humaniste, un traitement connu de la passion « à froid », une longueur hollywoodienne mais supportable.

D’où vient donc ce petit sentiment de recul sur ce film ? Des invraisemblances – un des personnages clés donnant son itinéraire dans un journal – ?,  de Sean Penn, toujours un peu dans le même registre – ici en policier largué par la mort de sa femme volage, dévoué à son job -, ou de l’opacité des traits de Nicole Kidman – pourtant le grand atout du film, il faut souligner combien c’est une formidable actrice – ou de voir Sydney Pollack, lui-même jouant un rôle, histoire dit-il d’économiser un cachet ?, reconnaître un Yvan Attal pas très à l’aise, ou des clichés d’une rencontre de deux solitudes ?.

Reste l’efficacité et la maîtrise de Sydney Pollack, faisant toujours exister les personnages et la situation – une interprète surdouée et sud-africaine témoin d’une sombre machination -,  ou une interprète, voir Catherine Keener, exceptionnelle en collègue amoureuse transie de Sean Penn, et rigoureuse dans son travail, une présence étonnante. Il est à l’aise dans un traitement romantique. Il y a de très belles scènes, dans l’organisation interne de l’ONU, filmés sur les lieux mêmes – Alfred Hitchock n’avait pas eu cette autorisation pour « La mort aux trousses » -, la rencontre du bus ou la première scène dans un stade de football. A voir donc, même si ce n’est pas le meilleur film de son auteur, et reste sans surprises.

ARTICLE – LE FIGARO

 Sydney pollack : «Je ne fais pas un cinéma aussi politiquement intense que je le souhaiterais parfois.» (Photo Lilo/Sipa.)

Sydney Pollack : «Je dois divertir»  – Propos recueillis par Marie-Noëlle Tranchant
[08 juin 2005]

LE FIGARO. – Vous revenez de temps à autre au thriller politique. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce genre ?

SYDNEY POLLACK. – C’est une très bonne discipline pour moi, tout comme la comédie. Dans un drame, j’ai tendance à me laisser envahir par une humeur trop mélancolique. Quand je fais une comédie comme Tootsie ou des thrillers comme Les Trois Jours du condor, Absence de malice ou La Firme, cela demande une précision, une rigueur dans les détails, qui empêche les excès de lyrisme. Il faut résoudre des problèmes très concrets de logique et de rythme. Dans un thriller, vous devez semer la confusion un moment, pour que le spectateur se demande ce qui va arriver, mais ensuite, il faut donner les clefs. Et j’aime bien ce travail.

Cela correspond-t-il à un engagement politique de votre part ?

Il y a des thèmes politiques qui m’intéressent, mais je ne parlerai pas d’engagement, parce que j’appartiens au système hollywoodien, et que je dois être prudent : je fais des films qui coûtent cher, avec des stars, et je suis tenu de divertir. Il faut tenir à la fois le drame avec de grandes scènes entre des personnages romantiques et le thriller avec des implications politiques. Mais je ne pourrais pas tourner un film comme Z, de Costa-Gavras. Je ne fais pas un cinéma aussi intense politiquement que je le souhaiterais parfois.

Vous êtes-vous inspiré de personnages ou de situations réels ?

Je parle d’un Etat africain imaginaire, et le langage lui-même est inventé, mais le personnage du dictateur est presque un archétype. Presque tous les dictateurs ont commencé par être des idéalistes convaincus d’oeuvrer à la libération de leur pays. Et quand ils sont arrivés au sommet, ils n’ont plus que l’obsession de garder le pouvoir, ils sont totalement corrompus par lui. J’ai souvent rêvé à leurs face-à-face avec eux-mêmes. Ce n’est pas possible qu’ils ne mesurent pas à quel point ils sont loin de leur jeunesse. Je revois Castro acclamé à New York à ses débuts. Dans le fond de son coeur, ne sait-il pas à quel point il est corrompu, ne voit-il pas tout ce qu’il a trahi ?

Vous êtes le premier à avoir tourné dans les bâtiments de l’ONU. Comment avez-vous obtenu l’autorisation ?

En fait, je croyais que la production avait l’autorisation. Mais quand je suis allé visiter les lieux, pendant l’écriture du scénario, on m’a dit : vous ne pourrez jamais tourner là. Il n’était pas question d’arrêter le film, alors j’ai fait des recherches à Toronto pour traiter le décor en images de synthèse, mais j’étais déprimé. L’ONU était l’élément organique du film.

Les décors comptent beaucoup, pour vous…

Oui, les décors sont des éléments de mise en scène très importants, autant pour ce qu’ils contiennent d’histoire réelle que pour ce qu’ils disent de l’histoire fictive que je raconte. Dans L’Interprète, l’ONU est un véritable personnage. C’est un lieu sobre et puissant, un peu ténébreux, étouffé, comme s’il y avait du brouillage dans les ondes, et qui contraste avec l’énergie désordonnée des rues de New York. Je ne voyais pas comment renoncer à ce haut lieu de la vie politique internationale.

Qu’avez-vous fait alors ?

J’ai essayé de rencontrer Kofi Annan. En même temps, j’ai contacté plusieurs ambassadeurs à l’ONU pour obtenir leur soutien et faire du lobbying. Si j’ai eu gain de cause, ce n’est pas que je me sois montré particulièrement brillant et convaincant ! Kofi Annan a dit : «Pollack a gagné parce qu’il a refusé de prendre «non» pour une réponse.» Il m’a dit : «Vous êtes passionné, obstiné. De quoi avez-vous besoin ?» J’ai répondu : «Je prendrai tout ce que vous m’accorderez, si peu que ce soit.» En fait, il connaissait assez mes films pour savoir qu’il n’y aurait pas de surprise embarrassante. C’est un homme plein de courtoisie et de sagesse, et je pense que c’est un homme bon, ce qui ne l’empêche pas d’être un rude interlocuteur. En tout cas, il met beaucoup d’énergie à donner tout son poids à l’ONU. Et le film va dans ce sens : c’est le triomphe de la diplomatie, donc du dialogue, sur la violence armée.