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DANS PARIS

Troisième film de Christophe Honoré, auteur complet avec « Dans Paris », écrit et tourné à toute berzingue a été présenté et salué à la quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, en mai dernier. C’est incontestablement un auteur doué, trouvant ces marques malgré quelques afféteries dans ces deux premiers films. 17 fois Cécile Cassard a donné l’un de ses meilleurs rôles à Béatrice Dalle, et avait révélé un grand talent de composition chez Romain Duris – on se souvient de son interprétation de la chanson de « Lola » de Jacques Demy -, et « Ma mère », cherchait à trouver une équivalence dans l’œuvre majeure de Georges Bataille, avec un certain trouble. Pour la petite histoire, on se demande d’ailleurs ce vaut l’adaptation de « l’histoire de l’œil »  par le Belge Patrick Longchamps en 1975, intitulé « Simona », mais il faut préciser que Marcelle, l’adolescente est jouée par la pulpeuse Laura Antonelli ! Christophe Honoré trouve ici son rythme, son style est littéraire, mais c’est brillant et jamais écrasant. Guillaume – Romain Duris -, vit une sorte d’abattement moral suite à un chagrin d’amour avec sa compagne, Joanna, mère d’un petit garçon – singulière Joana Preiss, vue déjà dans « Ma mère » et qui a une très forte présence -. Il s’installe chez son père Mirko – Guy Marchand – et prend possession de la chambre de son jeune frère Jonathan, un infatigable jouisseur, énergique et un peu cradingue – Louis Garrel -, qui dort lui sur le canapé. La petite famille ne communique pas beaucoup, surtout depuis un drame familial que tous évitent d’évoquer -. Pour aider son frère, il va vivre avec intensité, pour faire vivre un peu par procuration son frère qui reste cloîtré dans sa chambre. Il décide de faire une course, jusqu’au « Bon marché » pour découvrir les décorations de Noël, Honoré retrouvant ainsi l’esprit de Jean-Luc Godard de « Bande à part », quand Anna Karina, Sami Frey et Claude Brasseur traversent le Louvres à toute vitesse. La grande idée du film, c’est l’inversion des emplois, on attendait évidemment Louis Garrel dans le rôle du dépressif comme son personnage dans « Ma mère » et Romain Duris dans le rôle du frère porteur d’énergie.

Guy Marchand & Louis Garrel

Louis Garrel est étonnant, l’on songe bien évidemment à Jean-Pierre Léaud – qui est un grand comédien, rappelons le sans cesse, et qui est d’ailleurs son parrain, Romain Duris dans l’introversion est ici, très touchant. On a plaisir à retrouver Guy Marchand, dans la tonalité qu’il avait dans les années 70-80, chez Maurice Pialat ou Claude Miller. Il est irrésistible en papa « bouillon de… » poule, aux portes de la précarité. Drôle et touchant, refusant devoir son neurologue, suite à des soucis de santé, c’est l’abattement de son fils qui le force à réagir. Il faut le voir transporter un énorme arbre de Noël, retrouver les mécanismes de la dispute avec son ancienne femme – Marie-France Pisier, sa partenaire dans « Cousin-Cousine » (Jean-Charles Tacchella, 1975). Cette dernière dans un bref rôle, est marquante dans la dureté et la sécheresse de cœur de son personnage. Si le film parfois arrive à trouver son rythme, le regard caméra de Louis Garrel fait un peu procédé, l’ensemble est cohérent, intense et très vivant. L’écueil des citations, est évité, le réalisateur digérant le travail de ses grands aînés, avec humour et irrévérence. S’il cite « La maman et la putain » – un de mes films de chevet – quand trois personnages couchent dans le même lit, la chanson au téléphone entre Romain Duris et Joana Preis évoquant irrésistiblement l’univers de Jacques Demy, ou la séance de lecture dans « Domicile conjugal » entre Claude Jade et Léaud, c’est pour mieux trouver un moteur car le film est bien ancré dans notre société contemporaine, avec une désillusion et le deuil d’une perte de l’innocence bien dans l’air du temps. . . Les « passantes » qui gravitent autour de Jonathan trouvent aussi une consistance, citons Alice Butaud, dans le rôle d’Alice, subtile dans un rôle de jeune femme blessée et un peu revancharde. La vision d’un Paris hivernal, débarrassé de ces clichés me semble formidablement juste.

INDIGÈNES

Amis blogueurs arrêtez de bloguer, citons en exemple hier un de mes concitoyens de 61 ans, Alain J. ayant traversé une période d’exil et de recul… Il avait, pour meubler cette période d’incertitude, ouvert son blog. A son retour il abandonne ce support, et tout lui souri, à méditer… Désolé, mais je dois surmonter un certain dégoût depuis que j’ai vu, dans le zapping de Canal+, le sinistre ludion écrivaillon Nicolas Rey – qui ne mérite pas sa presque homonymie avec Nicholas Ray, le cinéaste -, boire dans la bottine de l’infâme Alexia Laroche-Joubert dans « En aparté »… On attendait mieux de Pascale Clark, son émission pouvant désormais s’appeler « L’auberge espagnole ». Pitié Pascale ! on voit suffisamment d’horreurs en ce bas monde… Je digresse de plus en plus, c’est grave docteur ?

Parlons du film qui a touché notre vénérable président – enfin ce qu’il en reste -, « Indigènes ». Soucieux de ne pas laisser seulement lors de son passage à l’Élysée, le seul souvenir d’avoir celui qui a réhabilité le néologisme « abracadabrantesque », il daigne enfin s’occuper de la question des pensions versées aux anciens combattants. Tardive consolation pour ces vétérans de la seconde guerre mondiale, venant du Maghreb et d’Afrique noire, certains vivant dans des foyers Sonacotra -, avec un l’effet non rétroactif à déplorer. Organisons-lui donc des projections privées à l’avenir, la « Raison du plus faible » de Lucas Belvaux par exemple, sur la précarité, si ça semble le réveiller un peu. Pourvu que ne lui montre pas des classiques, comme « Vos gueules les mouettes », de Robert Dhéry, il va y voir un message contre une certaine nuisance sonore durant cette campagne électorale pourtant d’une grande tenue. Et le film lui-même… et bien il fait mentir  l’adage, « Les grands sujets ne font pas forcément des bons films ». Au-delà du devoir de mémoire, son cinéaste Rachid Bouchareb, 5 ans après le poignant « Little Sénégal », nous invite à découvrir ce point d’histoire méconnu, salutaire en cette période où de nombreux politiques continue à vanter les mérites de la colonisation des pays africains par la France, avec une arrogance ethnocentrique. Le film est porté par ses cinq interprètes, tous formidables. Jamel Debbouze dans le rôle de Saïd, est émouvant quand il sort du giron de sa mère pour s’affirmer, et découvre sa rage de se défendre quand on l’humilie. Sami Bouadjila dans le rôle d’Abdelkader, joue le soldat le plus instruit de ce bataillon, il est en attente de reconnaissance – Le réalisateur Jean- Pierre Sinapi, avec raison évoquait à son sujet la classe d’un Marcello Mastroianni -. Roschdy Zem dans le rôle de Messaoud, est excellent  et touchant quand il tombe amoureux d’une belle marseillaise, Samy Naceri dans le rôle de Yassir, violent mais qui protège son père et Bernard Blancan, est très convaincant dans un personnage complexe. Dans le rôle de Martinez, un sergent « pied-noir » en prise avec ses contradictions, finit par nous donner une véritable empathie avec son personnage. Il confirme ici son grand talent, après son personnage touchant et lunaire de Cloclo dans « Peau d’homme, cœur de bête » (Hélène Angel, 1999). Le prix collectif d’interprétation à Cannes est donc amplement mérité. Le film a une grande qualité pédagogique, mais sans manichéismes, les personnages ne sont pas des héros, ils ont des faiblesses à l’instar de Yassir n’hésite pas à piller ses ennemis. Ce sont des individus qui cherche à survivre, qui cherche à s’en sortir, ballottés par le destin et en prise avec une armée française qui ne cesse de les dénigrer…

Bernard Blancan & Jamel Debbouze

S’ils obtiennent de l’estime, c’est surtout pour mieux être manipulés, comme le fait le personnage du colonel joué par Antoine Chappey – épatant -, qui propose une émulation factice au petit groupe, pour mieux sauvegarder ses intérêts. Il était important ici de garder la langue arabe, lien très fort entre ses soldats inconsidérés, le retour à cette langue maternelle, est aussi ici un refuge contre toutes les épreuves. Il y a beaucoup d’humanité ici, et pas seulement pour les soldats, mais aussi pour toutes les victimes de la guerre, comme ces villageois du Bas Rhin, montrant simplement – par des saluts amicaux, ou pour par la cuisine comme le fait une vieille dame -, la reconnaissance devant les libérateurs. Comme disent si bien, les personnages du film, les balles allemandes ne font aucune différence entre les nationalités. Les effets spéciaux guerriers signés les « Versaillais » sont très probants. On retrouve un souffle épique, rare dans notre cinéma. Les scènes de guerres, sont particulièrement réalistes, évitent tout manichéisme. Les scènes de désolations, de villages détruits, où l’on retrouve des carcasses de chevaux morts, sont ici très justes, on ne souffre pas ici d’un effet de reconstitution. La musique de Armand Amar et Khaled, évocatrice de souvenirs et d’un paradis perdu pour les soldats est ici simplement magnifique. Saluons dans de brefs rôles Mélanie Laurent dans une scène très émouvante face à Jamel Debouzze, l’indispensable Philippe Béglia, qui arrive à faire exister un ancien ministre vichyste en un seul plan, Assad Bouab dans le rôle de Larbi ou Thomas Langmann qui ne fait plus que de simples apparitions – il participe ici à production -, alors qu’il était un excellent acteur dans les années 90, c’est dommage. Il faut saluer la détermination de toute l’équipe du film, pour donner le plus de chances possibles à ce film, on le sait Jamel Debbouze a beaucoup apporté à ce film – il s’est beaucoup investi dans ce film, et a trouvé avec le Maroc par exemple quelques partenaires -. Il y a beaucoup d’émotions et d’authenticité, jusqu’à la dernière scène sobre et retenue. Pour terminer saluons Bernard Blancan, qui dans son site officiel, nous propose son blog : Blancan… Journal d’un comédien qui est superbement écrit. Il relate avec humour son parcours de comédien, ses joies ou ses incertitudes avec beaucoup de retenue et de modestie. Une réussite de la blogosphère…

COURS, JEAN-BAPTISTE, COURS…

Évidemment c’était une gageure d’adapter « Le parfum », beau roman de Patrick Süskin et succès mondial de librairie, ce dernier lâchant enfin les droits en raison de la forte insistance de son compatriote, le producteur Bernd Eichinger – producteur du douteux « La chute » -, avec ce film « Le parfum, histoire d’un meurtrier ». On le sait Stanley Kubrick, Milos Forman, Steven Spielberg, Martin Scorsese, Ridley Scott, Tim Burton, sans oublier Patrice Leconte – que la réussite du « Mari de la coiffeuse » pouvait légitimer -. On se demande ce que fait ici le tâcheron Tom Tykwer dans cette entreprise– du moins avec le souvenir de « Cours, Lola, cours », et qui participe en prime à la sirupeuse du film. On découvre donc le destin de Jean-Baptiste Grenouille, né en 1744 d’une femme accouchant et abandonnant son enfant dans un marché aux poissons. Heureusement pour lui, il a un sens très fort de la survie et un odorat hors du commun. Vendu par un orphelinat à une tannerie, il livre un jour des peaux à un célèbre parfumeur. Il va chercher à s’imposer pour arriver à finaliser son obsession, conserver le parfum des femmes… Malgré une débauche de moyens, il n’arrive qu’à une veine illustrative, sans susciter aucune émotion. Je dois confesser ici un ennui profond. Avec le souvenir de la lecture lointain mais persistant du livre, on finit par faire des allers-retours avec les deux œuvres, histoire de se lamenter un peu. On déplore une figuration particulièrement statique, au mieux cela figure un champ d’oignons. La reconstitution est ici compassée et on ne retrouve aucun souffle, aucune vie, même dans un champ de lavande. Tout ici sent le « Matte painting » à plein nez ! (arf, arf).  On pouvait attendre mieux, que certaines ellipses, notamment la scène où Grenouille devient ermite dans sa grotte, traitée ici de manière particulièrement anecdotique. Le réalisateur voulant sans doute jouer sur le réalisme, confine sa restitution dans le misérabilisme.

Dustin Hoffman & Ben Whishaw

L’ensemble finit par sombrer dans le grotesque, on finit par ricaner, à voir la mort implacable des personnes quittant notre Grenouillot. Le réalisateur multiplie les maniérismes, des plans de petit malin d’introspection nasale, ou la caméra placée à l’intérieur d’une distillerie, avec des ralentis poussifs ou des accélérations soudaines. C’est un aveu patent d’impuissance à animer l’aseptisation générale dans ce musée Grévin boursouflé. Certes traduire le sens olfactif à l’écran était compliqué, la littérature de Süskin avait un fort potentiel de suggestion. Mais tout ici est vain, le réalisateur échouant lamentablement ici, le frémissement des narines grenouillettes, et une bande-son exacerbée confinant au grotesque. Mais on pouvait espérer au moins un peu de sensualité, même le pataud « Chocolat » de Lars Hallström était plus évocateur. Quant au morceau de bravoure final attendu, c’est un sommet de fadeur. La direction d’acteur laisse à désirer, Dustin Hoffman en roue libre dans le rôle de Baldini, parfumeur poudré à la ramasse, arrive un peu à tromper notre ennui, la présence butée de l’Anglais Ben Whishaw, n’est pas idéale pour avoir de l’empathie avec personnage, la belle allemande Corinna Harfouch fait de la figuration intelligente dans le rôle de Mme Arnulfi, Sarah Forestier ne fait que trépasser. Et Rachel Hurd-Wood, sorte de clone de Franka Potente dans « Cours, manque sérieusement de charisme,  le réalisateur semble faire une fixette sur les Lolita à cheveux rouges, au moins il se fait plaisir… Seul Alan Rickman, en père possessif arrive à tirer un peu son épingle du jeu avec autorité. Autre écueil l’utilisation de John Hurt comme récitant. Pourquoi pas se servir de la voix-off comme rustines aux faiblesses du scénario, le comédien anglais pouvant formidablement évoquer certaines émotions. Le problème est que Hurt était aussi le récitant de « Dogville » et « Manderlay », œuvres audacieuses et stylisées du grand manipulateur Lars Von Trier. Le souvenir de la narration de ces deux films, ne font que souligner la platitude de l’ensemble. A noter que Jacques Perrin est le récitant français. Nous ne sommes pas loin d’un désartre. Mais le film semble avoir ses fans, notamment en Allemagne où il triomphe.

THANK YOU FOR SMOKING

 Après l’excellent « Révélations » de Michael Mann, on retrouve ici sur le mode cynique, le principe du lobbying du tabac. Ce petit cousin de « Lord of war », nous fait une habile description de ce monde de pression de groupes influents, souhaitant défendre leurs intérêts et faisant pression sur le pouvoir politique. Jason Reitman, fils d’Ivan Reitman – que l’on dit en petite forme ces derniers temps -, adapte ici un pamphlet de Christopher Buckler, il semble avoir hérité de l’humour de son père. Il se focalise sur la personnalité grinçante de Nick Taylor interprété avec maestria, par Aaron Eckhart, déjà très convaincant il y a peu dans « Conversation(s) avec une femme ». Arriviste cynique, grand maître de la rhétorique et grand manipulateur devant l’éternel, il finit toujours par se tirer des situations les plus épineuses. Il se réunit d’ailleurs avec deux de ses semblables, pour adopter des stratégies, chargés de représenter les lobbysmes de l’alcool – Marie Bello ironique – ou des armes – David Koechner déplaisant à souhait -. Cette joyeuse assemblée se nomme la M.O.D. Squad, abréviation pour « Marchands de mort », adopte une stratégie défensive pour mieux continuer à vivre de ces maux de la société, dans un climat défavorable aux toxines de toutes sortes, où les associations consuméristes ont enfin la parole. Séparé de sa femme, il finit pourtant par garder l’estime de son fils par son charisme – Cameron Bright à l’aise en petit surdoué -, par son art de l’expression orale. C’est cet autodidacte la meilleure des revanches, plus que la motivation non négligeable de pouvoir payer ses crédits. C’est une charge réjouissante contre le politiquement correct. Elle n’épargne personne et évite un prévisible côté moralisateur. Les répliques percutantes fusent de toutes parts. Il y a aussi ici de véritables trouvailles, comme de l’utilisation inattendue de patchs anti-tabac.

Marie Bello, David Koechner & Aaron Eckhart.

Il est vrai que la réalité est déjà matière à dérision. Prenons l’exemple assez croquignolet de Ted Turner, s’engageant à caviarder des plans des dessins animés de « Tom & Jerry », suite à la plainte d’une téléspectatrice. Tom, notre matou fumant dans deux épisodes, il donne ainsi le mauvais exemple à la belle jeunesse ! Il est vrai que l’on a du mal à voir ainsi une incitation à la tabagie issue d’épisodes anciens… Une aseptisation globale est ici dénoncée, à l’exemple des acteurs hollywoodiens privés de cet accessoire mythique, comme l’habile citation de l’histoire d’amour entre Lauren Bacall et Humphrey Bogart débutant par une cigarette dans « Le port de l’angoisse ». Nick Taylor remarque que seuls les psychopathes et les Européens fument désormais sur l’écran. Il fomente un plan machiavélique avec un agent prestigieux adepte du zen – impayable Rob Lowe -, pour envisager de faire fumer Brad Pitt et Catherine Zeta-Jones… dans l’espace après une torride nuit d’amour. La distribution est formidable, outre ceux cités on retrouve William H. Macy, désopilant en sénateur opportuniste, trop sûr de lui, en croisade contre le tabagisme, Katie Holmes – Mme de…-, en journaliste perverse, J.J. Simmons en petit chef énervé – dans un registre similaire à « Spider-man » -, Sam Elliott émouvant en cow-boy malboro malade et sur le déclin – fumant des cools ! -, et le grand Robert Duvall en mentor fatigué. Ces interprétations arrivent à sortir les personnages d’éventuels stéréotypes. Le film décortique ici certaines méthodes de communication, la cigarette n’étant qu’un prétexte à l’instar du revirement final concernant une autre controverse, la téléphonie mobile. Ce portrait au vitriol de la société américaine est mordant et salutaire et très bien écrit. De la roublardise hissée au niveau des beaux-arts…

LITTLE MISS SUNSHINE

« Little Miss Sunshine », présenté Festival de Sundance 2005 et en compétition officielle du 32ème festival du film américain de Deauville, est assurément la bonne surprise de cette tournée. Nous découvrons avec grand plaisir la famille Hoover – rassurez-vous rien à voir avec le ciaesque J. Egar Hoover, travesti à ses heures -. La petite famille se retrouve dans un road-movie azimuté, à bord d’un véhicule Wolkswagen jaune et déglingué, échappé des années 70, qui est d’ailleurs un personnage à part entière du film. Il y a le père de famille, Richard – Greg Kinnear -, qui se veut un gagneur et qui tente de placer partout ses « Parcours vers le succès en 9 étapes », sorte de petits commandements devant ouvrir les portes de la réussite. Son épouse Sheryl – Toni Collette -, essaye de faire tampon avec son fils, Dwayne – Paul Dano inquiet et sensible -, nietzschéen convaincu, qui par rébellion a fait vœu de silence jusqu’à sa candidature pour la prestigieuse Air Force Academy.. Dwayne, finit par se consoler de voir son oncle Frank, encore plus déprimé que lui et qui vient de réchapper à une tentative de suicide.  – Steve Carell -, spécialiste de Proust et amoureux éperdu d’un de ses élèves et en rivalité avec une autre sommité proustienne, qui lui a ravi l’objet de ses pensées. A ce petit groupe, se rajoute le père de Richard – Alan Arkin, à mon avis un comédien aussi génial que Peter Sellers -, qui découvre l’héroïne à 70 ans, qui fait tout pour devenir un vieillard indigne, en disant tout ce qui lui passe par la tête. La petite fille de 7 ans de la famille, est sélectionnée pour participer aux épreuves de « Little Miss Sunshine », une sorte de concours de beauté de petites filles. Sa joie va convaincre tout ce petit groupe de s’y rendre pour y assister. 

Steve Carell, Greg Kinnear, Alan Arkin, Paul Dano & Toni Collette

Une causticité remarquable balaye cette famille modèle de névroses urbaines, qui vont déplacer leurs problèmes pour se focaliser sur le rêve de la petite Olive – craquante Abigail Breslin -. En effet, les membres de cette famille qui traversent tous une mauvaise passe, vont s’unir, malgré les mésententes et diverses hostilités. L’humour noir traverse ce film, le véhicule mangé aux mites et exigu n’est pas le lieu le plus probant pour réduire les tensions… La distribution est exceptionnelle et au diapason. Le cap vers l’Ouest est riche en rebondissement. Le trait est mordant, et la réalisation du couple – à la ville comme à l’écran -, Jonathan Dayton et Valerie Faris, issus de l’univers du vidéo-clip – la B.O. est d’ailleurs ici très bien amenée -, se révèle très subtile, et assez vacharde, voire la manière dont ils décrivent le ridicule – voire l’indécence naïve – de petites filles singeant les miss de beauté. Le dosage humour corrosif et situation dramatique est habile, la mièvrerie est éviter pour laisser éclater l’humanité des personnages. La critique d’une société obsédée par le succès, ayant du mal à surmonter des rêves brisés, et dans laquelle on a de plus en plus de mal à trouver sa place, est assez implacable, mais finalement assez optimiste. On évite la caricature dans ses situations insolites, Steve Carell tout en retenue mais en rajoutant de l’humour à l’instar de sa curieuse manière de courir, Toni Collette en mère courageuse et sans tabous et compréhensive, Alan Arkin en désinhibé iconoclaste et Greg Kinnear, enfermé derrière ses propres principes, sans oublier Paul Dano et Abigail Breslin finissent par former, malgré leurs personnalités diverses, un groupe très homogène très crédible. On aurait bien continué un petit brin de route, avec cette famille encombrée… Et mine de rien, ce joli conte cruel est véritable petit hymne à la vie.

ARRIVEDERCI AMORE, CIAO

On était curieux de retrouver Michele Soavi, perdu dans les limbes de la télévision italienne, depuis son dernier film, l’iconoclaste « Dellamorte Dellamore », avec Rupert Everett et François Hadji-Lazaro et son célèbre « gnâ ! »», datant de 12 ans déjà. Il s’était un peu perdu dans les limbes de la télévision italienne, mais on retrouve ici sa patte de petit maître maniériste qu’il avait dans de petits films d’horreurs originaux comme « La setta », avec Herbert Lom et surtout « Bloody Bird », où un tueur portait un curieux masque de hibou. De bons souvenirs dans quelques soirées câblées désœuvrées, ce type de film revenant souvent dans la programmation. On retrouve Alessio Boni, inoubliable interprète de « Nos meilleures années » film fleuve de Marco Tullio Giordana -, où il avait un personnage beaucoup plus sensible ici que ce personnage de Giorgio Pellegrini ancien révolutionnaire devenu nihiliste dans cette adaptation d’un roman de Massimo Carlotto. On le découvre au milieu de guérilleros armés jusqu’aux dents, avec une barbe « cheguevarresque ». Dans ce recoin oublié de l’Amérique Latine, il trompe son ennui en jouant avec les perspectives en ouvrant et fermant un œil, à la vue d’un crocodile fonçant sur un cadavre. Dégoûté d’avoir dû répondre à un ordre imbécile, il décide de fuir cette vie d’activiste.  De retour en Europe, il va tenter, en se transformant en maître chanteur, de soutirer de l’argent à l’un des ses anciens compagnons, ancien communiste reconverti dans le polar. Son but final est finalement d’aboutir à une réhabilitation, pour enfin refaire sa vie, après une peine de prison symbolique. Giorgio va comprendre que seul la violence peut l’amener à ses fins. Il est conforté dans cette idée avec sa rencontre avec un flic ripoux d’anthologie nommé Anedda – Michele Placido impressionnant -. Opportuniste, Giorgio va se servir de son expérience passée, pour organiser des casses avec la complicité du policier. Même si on pense au « Romanzo criminale » de Placido, vu cette année, ce film n’est en rien une réflexion politique. C’est plutôt dans la tradition du film noir, du « Poliziotteschi » italien, genre qui avait eu son heure de gloire dans le cinéma italien des années 70, et reconsidéré ces derniers temps par la sortie DVD de trois d’entre eux « Rue de la violence » , « La rançon de la peur » et « Brigade spéciale » sortis chez Neo Publishing.

Michele Placido & Alessio Boni

C’est un genre violent, où les policiers franchissent allégrement la légalité pour arriver à leurs fins. Ici il n’y a finalement aucune psychologie dans le personnage de Giorgio, juste une sorte de traumatisme originel dans un attentat qui avait fait une imprévisible victime innocente, ce qui nous vaut une très belle scène poético-macabre à la vision d’un arbre sanglant. Giorgio n’a plus d’illusions, ni d’états d’âmes, arriviste dans l’âme, il se sert de petites crapules apatrides pour voler de l’argent, participe aux compromissions politiques avec un art consommé. Rentrant comme homme de main dans une boîte de nuit, et se servant de sa belle gueule avec une rouerie assumée, pour séduire une femme riche – Isabelle Ferrari, qui montre ici une gravité inattendue -, où organiser de petits trafics… Si la mise en scène de Michele Soavi, semble plus sage qu’au paravent, il ne résiste pas à certaines virtuosités. Il y a des citations d’autres œuvres – une célèbre scène du « Soupçons » d’Hitchcock, sans vouloir déflorer le film par exemple -. On sent qu’il prend un plaisir évident avec ce monstre froid, même s’il se complait dans une noirceur évidente mais avec une certaine stylisation et un humour noir assez salvateur. Seule la jeune Roberta – révélation d’une belle sensibilité : Alina Nadela – apporte un souffle d’air frais dans un monde cynique et impitoyable en attendant un climax final particulièrement suffocant. Mais elle ne va servir qu’à une caution de moralité lorsqu’elle rencontre Giorgio. L’immoralité de l’ensemble tranche singulièrement avec la moyenne du cinéma actuelle. Alessio Boni campe ce personnage avec conviction et ambiguïté, et sa confrontation avec Michele Placido passé bien au-delà de la corruption est très réussie. Un film qui ne laisse personne indifférents, qui distille une ambiance torve particulièrement singulière, dans ce jeu de massacre des archétypes du policier.

ADIEU CUBA

Andy Garcia originaire de la Havane, évoque ici le Cuba de la fin des années 50, au travers d’un portrait d’un directeur d’une boîte de nuit – Garcia himself se réservant le premier rôle –. Le passage du régime totalitaire de Batista à celui de Fidel Castro vont causer la perte de ses privilèges et vont le contraindre à l’exil à New-York… On se dit pourquoi pas évoquer Cuba, comme ici dans ce film « The lost city » – « Adieu Cuba » – qui bénéficie de la signature prestigieuse de l’écrivain cubain G. Cabrera Infante au scenario juste avant sa mort l’an dernier, sous la forme d’une saga familiale… Il y a pourtant de bons moments dans ce film mais il faut aller au-delà des limites d’une évocation renvoyant dos à dos le président Batista, montré comme un tyran d’opérette et le mythique Che qui tue sans vergogne pour ces idées. C’est un peu le musée Grévin, avec une prédilection toute particulière pour la fausse barbe castriste du frère cadet-castriste souffrant sans doutes de l’utilisation d’une mauvaise colle. C’est une vision nostalgique des choses, mais aussi partiale, car il s’agit d’une famille de nantis. L’utilisation de documents réels d’archives en noir et blanc est presque ici un aveu d’impuissance de recréer une histoire perdue, avec suprême roublardise d’y intégrer Garcia fuyant les vrais révolutionnaires. Cette mise en abyme est assez vaine. Il s’agit ici de dresser une fresque où domine un petit côté fleur bleue, plutôt que de tabler sur un discours démonstratif. Le peuple est tragiquement absent ici, le protagoniste principal – joué par Andy Garcia formidable acteur mais un peu en roue libre ici -, ne privilégiant que la vie de son cabaret « El Tropico », l’occasion de nous livrer d’excellents numéros musicaux – soit une quarantaine de classiques -, surfant un peu sur la mode « latino » de ces dernières années. Il montre parfois l’absurdité, de nouveau régime, comme l’hallucinante réflexion d’une femme soldate du régime castriste qui interdit le saxophone dans son établissement, comme instrument de l’impérialisme américain…

Andy Garcia, lui précise que c’est l’invention d’un certain Sax qui est Belge, elle répond avec aplomb en dénigrant la Belgique dans ses exactions au Congo. Mais il manque sérieusement un souffle dans cette série de clichés. Dans ce mode romanesque il y a un autre écueil important, la présence d’Inès Sastre qui dans le rôle féminin principal nous régale d’un festival de bouderies puériles. A grands coups de moues renfrognées, elle n’arrive qu’à camper un pantin déshumanisé, la photogénie sur papier glacé n’allant pas obligatoirement de pair avec le talent sur l’écran. Une suggestion qu’elle adopte un nouveau prénom : Haydée ! Le reste de l’interprétation est assez inégale, mais on a plaisir à retrouver le vieux routier Tomas Milian, cubain d’origine, apportant un peu d’humanité dans son rôle de patriarche transpirant et intraitable sur la ponctualité, ou Steven Bauer en militaire conformiste. Dustin Hoffman imprègne de sa présence son court rôle, le temps de 2 scènes -… et 2 fois le même numéro – en maffieux local.  Reste la présence de Bill Murray, dans un superbe numéro. Dans un rôle un peu trop écrit d’écrivain sans nom, il amène un souffle de liberté, de contestation dans cet univers de carton-pâte. Il faut le voir en short disserter sur la vie, le pouvoir, préparer ses effets à grand coup d’éventail. Là on vient bien croire à l’histoire, à l’instar de la scène où le personnage d’Andy Garcia, conscient d’un univers qu’il va perdre et gardera un moment de complicité avec Murray qu’il chérira à jamais. Chapeau bas pour Bill Murray, car il faut bien le dire, il me semble sauver le film. Dommage car on sentait bien qu’Andy Garcia était très attaché à ce projet.

Bill Murray à la rescousse

THE DEVIL’S REJECTS

Les temps sont à l’irrespect, un pâle imitateur singe d’une façon grossière le chanteur Renaud, dans une parodie grotesque « Les bobos » sous fond de musique du dessin animé « Kirikou », notre vénérable ministre de la culture se reçoit des tomates à Avignon, un doigt d’honneur géant fait de la pub pour une banque, cynisme éhonté involontaire ? – Il paraît que c’est un pouce, mais la symbolique est là -. 20six d’ailleurs ne déroge pas à cette mode, faisant l’attaque régulière de Spams malins – les bloggueurs chantant en cœur « Tirez pas sur l’ambulance  ! » de Françoise Hardy, entre les deux problèmes techniques habituels. Bref le sarcasme est hissé le pathétique au niveau des beaux-arts, je songe d’ailleurs à changer le nom de ce blog par « 20six’s reject », occasion de faire un hommage au film évoqué à la suite. Le gendre du film d’horreur succombe régulièrement d’ailleurs à cette mode. Il est vrai qu’en ce moment le genre ne se renouvelle guerre, les Majors se contentant de refaire des remakes (« Terreur sur la ligne », » Fog », « La colline a des yeux, » mais il faut louer le talent d’Alexandre Aja pour ce dernier). Curieux objet que ce « The Devil’s Rejects », d’un certain Rod Zombie – de son vrai nom Robert Cummings -, qui par son patronyme nous annonce déjà la couleur. Le film est l’œuvre la plus secouée que l’on puisse voir en ce moment, difficile de trouver une comparaison, citons peut-être la trilogie « Dead or alive » de Takashi Miike. Alexis Bernier, dans « Libération »  décrit comme « Punk gothique, tatoué et poilu comme un Hells Angel sorti des enfers ». Son précédent film – pas vu, pas pris…-, « La maison des 1000 morts »  vient de sortir en DVD bénéficie déjà d’un statut de film culte. C’est un véritable jeu de massacre entre le shérif revanchard – étonnant William Forsythe –, encore plus frappé que la famille infernale et la famille Firelly dirigée par un clown sinistre et adipeux – singulière performance du tarantinien Sig Haig – et déjà présente dans « La maison des 1000 morts ». 

Bill Moseley, Sig Haig & Sheri Moon Zombie

Nous sommes bien dans la tradition du Grand Guignol, mais qui se révèle un bel hommage à la liberté du cinéma américain des années 70 mais si au final il se révèle aussi assez malsain. Il s’amuse avec des références avouées de l’œuvre de Sam Peckinpah, Tobe Hooper, Bela Lugosi ou Quentin Tarantino. On n’est donc pas surpris de retrouver Michael Berryman – le célèbre Pluto de « La colline a des yeux », pour une fois dans un rôle sympathique, le seul du film d’ailleurs !  Il faut le voir absolument hilarant fantasmer sur Carrie Fischer dans « La guerre des étoiles » et s’indigner qu’un fermier puisse le soupçonner de zoophilie avec des poulets. Le distribution est étonnante de Geoffrey Lewis en chanteur de country pathétique et Danny Tréjo en tueur tatoué sans oublier la propre femme du réalisateur Sheri Moon Zombie en bimbo dégénérée et l’inquiétant Bill Moseley en sanguinaire christique. Tout ce petit monde rivalise en bêtise et en ignominie. L’humour est présent mais on ne sait pas finalement à quel degré il est présent…. Reste qu’il y a des scènes d’anthologie comme le cinéphile fan de Groucho Marx – le Charles Manson local prenant les noms de ses personnages comme celui Cap’tain Spaulding venu du film « American crackers » -, se livrant à une violente dispute avec le shérif fan d’Elvis Presley. Il arrive à les digérer, pour un résultat curieux, la violence flirtant avec la complaisance. Hommage aux road-movies seventies, le film a une tension – à l’instar du personnage de la femme de ménage d’un hôtel découvrant les exactions de la famille Firelly -, une folie gore Un cinéaste à suivre, de par la manière dont il peut évoluer, canaliser son énergie. Il a une originalité secouée bienvenue en ces périodes de recyclage. Entre trash, grotesque, contestation et folie furieuse, ce film risque de devenir culte.

LE VOYAGE EN ARMÉNIE

Changement de ton dans l’œuvre de Robert Guédiguian, avec ce « Voyage en Arménie », sur le thème du retour aux sources, après la rupture du film « Le promeneur du champ de Mars », magnifié par la superbe interprétation de Michel Bouquet. Robert Guédiguian quitte le quartier de l’Estaque, pour un voyage initiatique autour du thème des origines. Il s’adjoint au scénario Ariane Ascaride et la romancière Marie Desplechin. Ariane Ascaride dans le rôle d’Anna, rayonne dans ce rôle très fort. Déplorons sa sous-utilisation ces derniers temps, son statut d’égérie de Robert Guédiguian, semblant freiner les autres metteurs en scène. Anna cardilogue réputée de Marseille, examine son père Barsam, malade du cœur – joué avec malice par Marcel Bluwal, compagnon de longue route des Guédiguian -. Barsam, buté et déterminé, qui a jadis fait souffrir la mère d’Anna par son tempérament, décide de disparaître pour éviter une opération qui est pourtant de toute urgence. Anna peste contre lui, et se rend avec son mari – le fidèle Jean-Pierre Darroussin, dans un petit rôle -, dans la maison paternelle. Il y a des indices flagrants, trop visibles pour ne pas être une invitation à le rechercher, de son départ en Arménie. Il est parti dans les hautes montagnes du Caucase, lieu de ses origines. Anna ignore totalement ses racines, alors que sa fille – jouée par sa propre fille Madeleine – renoue avec la tradition en faisant de la danse folklorique. Elle décide donc de partir le retrouver, sur la base d’une vieille photo. La petite communauté des Arméniens de Marseille, recommande à Anna, de se faire accompagner par un homme d’affaires assez retord, Sarkis Arabian, – Simon Abkarian, apportant une ambiguïté à son personnage, et comédien toujours aussi probant -. Arrivée en Arménie, Anna est finalement livrée à elle-même, elle finit par accepter de suivre le vieux Manouk – formidable présence de Romen Avinian, qui se propose comme chevalier servant avec sa petite voiture. Elle va faire plusieurs rencontres dans son périple, de la jeune Schaké – épatante Chorik Grigorian -, jeune coiffeuse débrouillarde, Yervanth – Gérard Meylan très crédible dans la veine picaresque – ancien petit truand en exil français qui est devenu une figure locale -, Simon – Jalil Lespert, convaincant – jeune médecin sans frontières assez désabusé, ou Vanig – étonnant Serge Avedikian -, ancien militaire. Tous vont apporter une aide pour qu’elle puisse retrouver son père, même si Anna se trouve mêlée dans quelques déboires, en raison de petits trafics de Sarkis. Le regard d’Anna suite à ce séjour d’Erevan, va ébranler ses certitudes. La générosité de Robert Guédiguian, est toujours présente, il concilie l’humour – la voiture de Manouk tombant en morceaux -, la réflexion sur la perte des illusions politiques – Sarkis parlant du confort d’être communiste quand on vient d’un pays privilégié, face à Anna qui défend ses idées -, le marasme économique de l’Arménie – trafics, débrouillardise, maffia locale, plutôt biens vus etc…-.

Gérard Meylan, Simon Abkarian & Ariane Ascaride

On évite ici le côté office du tourisme, car les paysages sont superbes, pour faire ici preuve de tolérance, de compréhension dans un monde en construction, qui semble échapper à notre petit confort. L’évocation de la notion d’identité est subtile, à l’instar de la vision du « Mont Ararat », regardé avec tendresse par le vieux Manouk qui souhaite qu’il retrouve un jour son identité arménienne. La découverte de ses racines n’est pas ici repli communautaire, mais une manière au contraire de s’ouvrir au monde, de confronter la richesse de cultures différentes. Une petite solidarité finit par naître de personnages aux mentalités différentes. Anna est acceptée très vite par les Arméniens comme l’un des leurs, elle finit par comprendre cette culture – belle métaphore du « berceau du monde chrétien ». Elle s’adapte très vite par la langue, la vie locale, son énergie généreuse et sa capacité à vouloir comprendre un monde inconnu pour elle et pourtant si proche. Robert Guédiguian, prend  son temps, laisse naître les émotions et décrit ses personnages avec une formidable empathie. Ses réflexions sont toujours salutaires de la manière de disposer de sa vie et de sa santé pour le père d’Anna, ou sa vision d’une ancienne république soviétique et ses contradictions. La découverte de son œuvre par « À la vie, à la mort », fut pour moi une formidable rencontre, et la découverte de ses films suivants, et précédents via les DVD, furent pour moi la rencontre avec un univers fort, parfois naïf, mais généreux, enthousiaste, ne sombrant jamais dans la carte postale. D’années en années, le réalisateur confirme la richesse de son œuvre, dans la continuité comme dans la rupture. Il a un regard sincère sur le monde, tout en évitant un sentimentalisme outré. Il a une belle croyance en l’homme avec sa petite troupe qui ne cesse de s’agrandir. Il est important de dire combien ce cinéaste compte dans le cinéma, aussi bien comme artiste que comme homme. Son regard singulier nous manquerait vraiment, s’il n’existait pas…

VOL 93

  Le cinéma a comme art certaines limites, comme dans la représentation de faits atroces. Aucun film ne pourrait avoir, par exemple, la force du livre de Robert Antelme, « L’espèce humaine », sur le récit de la vie dans un camp de concentration. On finit par songer au fameux article de Jacques Rivette dans « Les cahiers du cinéma », « Le travelling de Kapo », qui avait si fortement impressionnée Serge Daney. Il qualifiait d’abject le cinéma de Gillo Pontecorvo dans « Kapo » film de 1959. Rivette vilipendait le travelling suivant Emmanuelle Riva qui court se jeter sur les barrières électrifiées d’un camp nazi pour ce suicider. En reprenant l’idée godardienne que le travelling est affaire de morale, il avait trouvé particulièrement abject cette mise en scène. Les événements du 11 septembre 2001, marque le traumatisme majeur de nos sociétés contemporaines. Évidemment on attendait de voir qui pouvait dépasser le tabou de sa représentation, en livrant une version cinématographique, le choix des Américains étant de ne pas montrer ses images d’horreurs à chaud. C’est un Paul Greengrass, pontifiant allégrement et posant dans les médias, à l’occasion de la présentation de son film « United 93 », en compétition à Cannes, avec ces faux airs d’Albert Algoud, qui précède Oliver Stone avec son blockbuster « Word Trade Center », que l’on appréhende fortement d’ailleurs. Greengrass se veut légitime et honnête pour relater ce drame. Il évoque le « Vol 93 », l’un des 4 vols détournés ce jour là et le seul a ne pas avoir pas atteint sa cible. La critique est dithyrambique, devant ce procédé de représentation docu-fiction, mélange des genres ici pourtant assez peu convaincant à mon avis. Le souvenir de la réflexion de Jacques Rivette, peut donc ici se révéler salutaire. Il y a certes une honnêteté foncière, dans l’évocation du grand désarroi chez les aiguilleurs d’une tour de contrôle, une volonté de ne pas glorifier le côté patriotique dans le courage des passagers. La confusion générale face à ce nouveau mode de terrorisme, profitant des failles, l’indécision de certains responsables face à cette situation de crise, paraissent assez justes. Mais il a aussi aussi une grande roublardise.

Le côté image tremblotante, caméra à l’épaule n’est qu’un procédé très maniériste. Loin de renforcer le côté pris sur le vif – c’était déjà à déplorer dans « Bloody Sunday », sur le début de la guerre civile en Irlande en 1972 -, ne finit que par montrer l’artifice de l’ensemble et de surligner un semblant de roublardise. Résultat on finit par être pris d’un certain mal des transports – préparez la « Nautamine » ! -, et on a le sentiment pénible de voir les rouages de ce curieux film hybride. La caméra adopte la simple position du voyeur, nous apportant une sorte de distance assez malvenue. Les images de la destruction du « Word Trade Center », composant un affect assez facile, nous ramènant à notre propre découverte de ces images traumatisantes. On revit doncl’incompréhension qui pouvait nous accompagner alors. S’il évite l’abjection, et manichéisme grâce à une véracité des faits – les hésitations et les maladresses des terroristes -, le réalisateur finit presque par nous donner une sorte de pré générique d’un épisode de « 24 heures ». Il ne réussit qu’à surligner ici les limites de son cinéma. Le style film catastrophe finit même par poindre son nez, avec l’inévitable personnalisation des futures victimes, dont on évoque l’intimité. Il y a une certaine indécence à vouloir dramatiser, des propos tenus réellement par les passagers, par téléphone à des proches. L’interprétation, sil elle est visiblement convaincue, nous fait pourtant penser à une sorte de filage théâtral – à vouloir être sobre -, d’une répétition générale. On ne peut s’empêcher de penser, que malgré le regroupement des sources d’informations fiables, la réalité pouvait être très différente. Le réalisateur nous impose sa vision des faits, qu’il voudrait presque définitive. Sans vergogne et sans états d’âmes, il exploite les acteurs véritables du drame – il nous avait fait déjà le coup avec « Bloody Sunday » -, en utilisant par exemple dans son propre rôle, le directeur du centre de surveillance de l’espace aérien des USA. C’est un procédé douteux, sorte de caution morale écran, pour en arriver à un résultat bâtard. Souhaitons au moins qu’il n’y ait pas un certain opportunisme planquée derrière une probité de façade. Reste que même si le film semble convaincre la majorité de ses spectateurs, on peut se poser la question sur la viabilité d’un tel film.