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FRAGILE(S)

img138/568/fragilesam5.jpg Avant-première le 7 juin dernier à l’UGC-Cité Ciné, du second film de Martin Valente en présence de son réalisateur, Sara Martins, Jean-Pierre Darroussin et François Berléand. Beaucoup de raisons de se réjouir, retrouver François Berléand venu finalement malgré un planning chargé, Jean-Pierre Darroussin qui garde toujours une attention particulière à son public avec une sympathie inégalée, Sara Martins rencontrée à l’avant-première du premier film de Martin Valente, le très réjouissant « Les amateurs » et son réalisateur qui avait eu une excellente initiative, proposer un carnet de route sur son film. Avec son blog, élaboré avec la complicité du musicien du film, Denis Mériaux. On ne peut que les féliciter car c’est un projet unique dans notre cinéma hexagonal, Suivre toutes les étapes de son film du tournage à la post-production. Le réalisateur ayant un goût pour l’écriture, il a tenu à bout ce projet, nous faisant suivre son parcours créatif avec beaucoup de sensibilité et d’enthousiasme. Un projet singulier mené à bien, nous donnant envie bien évidemment de découvrir son film. Le plaisir de découvrir ce film plaisant est donc augmenté par ce travail préalable, on ne peut qu’encourager d’autres artistes à agir de la sorte. On découvre 6 personnages non pas en quête d’auteur, car Le film évite les pièges du film choral, par sa qualité d’écriture, d’émotions et d’humour. Ils sont à un tournant de leur existence, menaçant de laisser envahir par une grande mélancolie. Paul – François Berléand toujours aussi excellent dans un personnage blessé – est un cinéaste réputé dont le film connaît un insuccès complet, et qui s’interroge sur sa capacité à rebondir en acceptant avec peu d’enthousiasme de le défendre dans un festival à Lisbonne. Sa femme Hélène – la trop rare et sous-utilisée Caroline Cellier – à la garde de son petit fils répondant au doux prénom de Ross, dépassée par cette charge, elle reconnaît ne pas avoir un instinct maternel très prononcé et se retrouve malaise avec cet enfant. Vince – Jacques Gamblin, probant en inspecteur de police vivant d’espoir – enquête sur un trafic de drogues, tout en visitant régulièrement sa femme à l’hôpital. Elle est dans le coma, mais il persiste à rester avec elle, malgré l’absence d’amélioration, suscitant l’admiration du personnel soignant. Nina, une jeune femme un peu paumée – éblouissante Sara Martins – , part avec son amie Isa, une marginale délurée – excellente Élodie Yung -, en week-end à Lisbonne. Enfin Yves – Jean-Pierre Darroussin toujours aussi juste – est un pharmacien de province, esseulé qui a des problèmes avec un chien encombrant venu prendre la place de son chat, il accepte de donner des médicaments de substitution à Nina – Marie Gillain probante – une jeune musicienne et droguée.

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Sara Martins & Jean-Pierre Darroussin

Ces vies en parallèle qui vont se croiser parfois, sont décrites avec beaucoup de subtilité. Martin Valente réussit comme dans son premier film, à alterner les scènes d’émotions parfois poignantes avec un humour ravageur et une cocasserie bienvenue. Les personnages sont parfois englués dans leurs problèmes. Ils sont dans une période où il ne voient aucunement le moyen de trouver une issue, comme parfois dans la vie. Contrairement à d’autres films ayant la même construction, où quelques interprètes parviennent à tirer leur épingle du jeu, tous les protagonistes du film sont ici formidable. François Berléand se régale avec les situations avec son humour habituel – il vaut le voir avec un sac poubelle ou déambuler dans un hôtel vêtu par une serviette de bain -, tout en faisant preuve d’une belle humanité. Jean-Pierre Darroussin est touchant avec son personnage d’homme bon, qui semble être passé à côté de sa vie. Caroline Cellier donne une grande présence à son personnage dans son rôle de femme mûre désabusée. Marie Gillain déjoue les clichés d’une « junkie », en défendant un personnage blessé mais qui reste clairvoyant. Jacques Gamblin, avec retenue nous fait partager la grande détresse de son rôle, qu’il cache derrière une grande dignité. Le talent de Sara Martins éclate ici, en jeune femme cherchant un sens à sa vie. Ses rencontres avec son partenaire François Berléand sont irrésistible. Le film bénéficie d’une construction soignée, tous les personnages ont une part égale, et on les retrouve finalement au moment où l’on a envie de les revoir, tout en essayant de découvrir leurs dénominateurs communs. Derrière le calme apparent de villes touristique ou de provinces, Martin Valente réussit avec beaucoup de minute, à décrire les moments où dans sa vie l’on peut se sentir démuni face à l’absurdité des choses. Mais il y a aucune complaisance ici avec le malheur, les personnages cherchent à s’en sortir, parfois avec une drôlerie salvatrice. Il faut aussi saluer la musique de Denis Mériaux, et la bande-son en général, donnant une unité au film.

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François Berléand et Sara Martins

Grâce à la fidélité de François Berléand, j’ai donc eu le grand plaisir de retrouver l’équipe du film, à l’issue de la projection, jusqu’à une heure joyeusement indue de la nuit. J’avais raconté ici même avoir rencontré François sur l’avant-première du film de Thomas Bardinet « Les âmes câlines », et l’homme est resté depuis ce temps accessible, disponible et d’une grande gentillesse qu’il cache parfois sous des dehors faussement cynique et d’une drôlerie inouïe. Il parle toujours avec liberté, du trop grand nombre de ces dernières prestations télévisuelles ou de son métier. J’avais eu la chance il y a peu de l’applaudir dans « L’arbre de joie » au théâtre, grand souvenir également sur cette pièce gardienne de beaucoup d’émotions et l’occasion de voir la grande force chez la comédienne Maruschka Detmers et de découvrir l’étendue du grand talent de Marie Parouty, comédienne cultivée et d’une grande intelligence. Le plaisir ici était comme à chacune de nos rencontres toujours aussi probant, avec le bonheur de le voir avec Jean-Pierre Darroussin, énorme capital de sympathie. Ce comédien est d’une grande finesse, a un grand sens de l’observation et a une acuité sur le monde remarquable. Étrangement François Berléand et Jean-Pierre Darroussin, bien que d’une même génération, n’a jamais vraiment joué ensemble. Ils se sont croisés qu’à deux reprises, car il n’ont aucune scène ensemble sur « Fragile(s) », dans un téléfilm de Robert Mazoyer « Un homme » diffusé en 1997, et dans un film resté inédit – mais acheté par Arte disaient-ils – « Le souffleur » de Franck Le Witta, en 1985 produit par Robert Guédiguian. François récitait à la Guitry les intervenants et l’équipe du film, tout en campant un chauffeur de taxi. Découvrirons-nous ce film un jour ? A les voir parler spectacle, football ou politique, je me suis régalé à les écouter, en imaginant pouvoir retrouver ce duo inédit et aimable sur un grand écran. Une idée peut-être à soumettre à Martin Valente pour un prochain film. Ce dernier a une personnalité attachante, un vrai plaisir de l’écriture et un grand amour des comédiens. Nous avons donc beaucoup à attendre de cet homme passionné. Et puis il y avait la grande joie de retrouver Sara Martins, dont il est impossible de ne pas tomber sous le charme, « comme sous la mitraille » comment disait la chanson. Le charme de cette jeune comédienne n’a de rival que son intelligence. Elle est d’une lucidité remarquable sur le métier d’acteur. De son parcours brillant au théâtre, avec Michel Bouquet, Sotigui Kouyaté et Peter Brook, elle garde une grande admiration. De celui de la télévision, plus contraignant, elle y voit un moyen de progresser, face au jeu des contraintes, à l’instar de la curieuse aventure dans la série « Les secrets du volcan », en pleine épidémie du chikungunya à la Réunion. Elle doute parfois, analyse avec justesse les travers du manque d’imagination de certains créateurs, dans le pays des étiquettes. Avec ce film, elle trouve un rôle à la mesure de son talent, souhaitons que le cinéma la gâte, sinon c’est à désespérer. Une si agréable compagnie m’a fait gardé intacte l’irrésistible séduction de ce film à découvrir mercredi prochain.

APRÈS LUI

img248/2526/aprsluiqp2.jpg L’annonce – discrète, très discrète – de la venue de Catherine Deneuve le 31 mai dernier, à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux, pouvait vous laisser perplexe. L’idée de se retrouver dans le même périmètre que cette grande star du cinéma français pouvait apparaître comme un phantasme proprement inenvisageable. Mais l’icône était bien là, grâce au dévouement de « Titi », comme l’a présenté le directeur Pierre Bénard, d’ailleurs cachant difficilement son émotion. C’était ancien employé du lieu, mais honte sur moi, je n’ai pas retenu son nom, mais petit indice c’est lui qui caressait de manière suggestive le César du meilleur film étranger « Little Miss Sunshine », lui donnant ainsi son quart d’heure de gloire wharolien…. Elle arrive sur scène, saluée par une « stading ovation »,  avec son metteur en scène Gaël Morel, un peu perdu dans le sillage de sa comédienne. Le film écrit par Morel et Christophe Honoré, marque une maturité pour celui qui fut l’interprète du film d’André Téchiné.  En quelques œuvres, il a prouvé qu’il était un véritable metteur en scène, citons l’étonnant « Le clan », révélant Nicolas Cazalé. Le film, assez âpre parle du travail du deuil de Camille, une libraire lyonnaise, perdant son fils avec lequel elle a une grande complicité. Il partait dans une soirée avec son meilleur ami Franck – Thomas Dumerchez déjà à l’affiche du « Clan », on connaît la fascination du cinéaste pour les jeunes hommes, il revendique d’ailleurs un côté Pygmalion  -. Mais ils se sont écrasés contre un arbre, sans que la responsabilité de Franck soit avérée. Bien que bouleversée par l’accident, Camille invite Franck à la collation après l’enterrement de son fils, ce qui désempare son entourage, dont son mari François, dont elle est séparée – Guy Marchand dans la mouvance de « Dans Paris » et surtout sa fille Laure – Élodie Bouchez juste dans la retenue -. Camille va chercher à retrouver Franck, pensant que sa jeunesse peut l’aider à surmonter l’insurmontable… Le film a une grande force, le comportement de Camille désorientant, on ne sais si elle devient « bordeline », où si elle essaie simplement de se rassurer en allant dans la vie. Gaël Morel arrive ici a donner un rôle à sa mesure à Catherine Deneuve – elle est présente du début à la fin du film, ce qui n’était pas le cas de ses derniers rôles -. Elle est entourée de partenaires très juste, de Guy Marchand étonnant en père partagé entre la douleur et l’incompréhension, Élodie Bouchez qui attend un enfant et aimerait avoir un peu d’attention de sa mère, l’excellent Luis Rego père inquiet de Franck, ou l’amie fidèle jouée par Elli Meideiros désorientée par sa manière de canaliser la douleur. Cette évocation de cette véritable vampirisation, évite tout psychologisme, laissant des zones d’ombres, livrant le portrait à la fois inquiétant mais aussi touchant  d’une femme meurtrie, quand elle essaie de réconstituer la vie de son fils sans elle. Morel arrive à nouer une tension avec ses personnages, en détournant son image – étonnante scène où elle assiste à un concert de « The Tatianas » pour se rapprocher de son fils. Le personnage de Franck devenant otage de sa culpabilité est lui aussi très justement écrit, il y a un scénario très tenu, loin des scories référentielles dans le cinéma actuel de Christophe Honoré.

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Catherine Deneuve et Gaël Morel

Un petit pincement au cœur précédé donc à la venue de Catherine Deneuve, très disposée à rencontrer son public, à des années lumière de l’image qu’elle peut avoir parfois. Cette grande comédienne célébrée il y a peu à la Cinémathèque, a toujours joué avec elle – notamment dans « Le héros de la famille » de Thierry Klifa et la référence du manifeste des 343 -, et a toujours eu une belle disponibilité pour aider des cinéastes aux univers très contrastés. Elle parle avec lucidité de son métier, de son enthousiasme sur son rôle malgré la perspective de passer quelques semaines avec ce rôle désorientant. Elle répond avec simplicité et intelligence, préférant toujours comme le rappelait Gaël Morel, rater un rendez-vous plutôt qu’une rencontre. On sentait une réelle volonté pour elle de défendre ce film. Elle a répondu avec justesse, à une question que j’avais posé avec maladresse, sur les différences d’approche de jeu, avec le film « Ca n’arrive qu’aux autres » film autobiographique de Nadine Trintignant, où le couple qu’elle formait essayer aussi de vivre avec la perte d’un jeune enfant. Pour elle Camille va dans la vie, seule, avec conviction. On sent aussi une grande générosité, de par sa manière d’aider Gaël Morel, visiblement pas très à l’aise devant le public, sur l’évocation de son prochain projet, un téléfilm sur Arte avec Béatrice Dalle. Le public bordelais était hélas un peu timide, nous privant de la disponibilité de l’actrice. A la sortie du film, on la sentait retourner dans son monde, des lunettes de vues cerclées de noir et une cigarette au bec, papillonnant devant quelques fans, signant deux autographes, puis embrassant un spectateur. Elle attendit ensuite patiemment le véhicule qui devait l’accompagner à la sortie, nous quittant, préservée dans une aura très forte. Le public retourna donc vers les communs des mortels, se félicitant que Catherine Deneuve ait eu un rôle à la mesure de son immense talent.

DANS LES CORDES

Avant-première à l’UGC-Ciné Bordeaux le 23 mars dernier, du premier long métrage de Magaly Richard-Serrano, en sa présence et celle des comédiens Richard Anconina, Louise Szpindel et Stéphanie Sokolinski. Après le premier film de Carine Tardieu, c’est à nouveau une excellente surprise – on était plus habitué à la mode assez laborieuse des premières réalisations de « pipoles » ces derniers temps -. La réalisatrice met en scène le milieu de la boxe française, loin des stéréotypes habituels de ces types de films – le chant du cygne de Sylvester Sallone dans son curieux retour aux sources dans « Rocky Balboa », flirtant avec le hautement improbable -.  A la voir ainsi charmante, enceinte de 8 mois, la grossesse rayonnante, on ne se douterait pas qu’elle fut deux fois championne de France de ce noble art dans son adolescence. Elle a bien connu le parcours des deux jeunes héroïnes de son film. L’histoire, Joseph  vivote en affrontant les difficultés économiques d’un petit club de boxe qu’il dirige en région parisienne. Il entraîne avec sévérité sa fille Angie – Louise Szindel, étonnante de colère rentrée – et sa nièce Sandra – Stéphanie Sokolinski, un joli tempérament frondeur -, pour les prochains championnats de France. Elles sont complices, même si une petite rivalité sourde existe entre elle, les deux comédiennes font d’ailleurs preuve de beaucoup de justesse. Joseph ignore souvent sa femme Térésa – Maria de Medeiros, surprenante en blonde -, dont la sœur décédée était la mère de Sandra, elle tente de s’échapper de sa condition en se confiant parfois à une animatrice radio – la voix de Macha Béranger -. Le jour de la finale arrive, Angie semble être submergée par le trac… A l’évocation du film, on s’attend de voir une variation sur « Million dollar baby ». En fait le scénario est écrit avant la sortie du film, la réalisatrice ayant eu des difficultés à monter son film. Mais bien qu’ayant adoré le film de Clint Eastwood,  l’approche n’est pas du tout la même, personnellement je n’ai plus du tout pensé à son auguste prédécesseur en voyant l’univers de Magaly Richard-Serrano.

Louise Szpindel, Richard Anconina et Stéphanie Sokolinski.

Richard Anconina saluait la ferveur et la maîtrise de sa réalisatrice qui a réussi à imposer son univers, malgré les contraintes d’un budget restreint. Cinéphile, elle parle avec ferveur de « Fat city » de John Huston et de « Nous avons gagné ce soir », deux des plus beaux films sur ce sport. Elle concilie son amour du cinéma, à sa connaissance remarquable de la boxe, toute sa famille venant de ce milieu. Elle fait exister la cité, elle filme la banlieue sans clichés – ici Vitry-sur-seine -, malgré certains refus de tournage de quelques municipalités. Elle a réussi avec des lieux de tournage composites, à faire exister un cadre, évoquant un cadre social avec beaucoup de subtilité. Les combats de boxes, sont également superbement mis en scène, évoluant en fonction des états d’âmes du personnage d’Angie. Elle passe d’un réalisme âpre à un combat empreint d’onirisme. La distribution est probante de Richard Anconina, à l’aise dans la maturité, son personnage mettant beaucoup de pression sur les épaules des jeunes filles. Il défendait le film avec ardeur, même s’il me semblait un peu dans la distance avec le public, surtout quand un cinéphile lui ressortait la comparaison hasardeuse de l’ineffable Jean Tulard,  avec Marcel Mouloudji acteur – réponse du comédien mais je vais signer les autographes Adamo, alors -. Louise Szindel – remarquée par la réalisatrice dans un téléfilm « Des épaules solides » où elle incarnait également une sportive – a donné une très grande force à son personnage et Stéphanie Sokolinski, enthousiaste de faire découvrir ce film à sa famille bordelaise, faisait preuve d’un grand charme, elle était tout étonnée que je la reconnaisse après l’avoir vue en jolie maîtresse de François Cluzet dans « Ma place au soleil » d’Éric de Montalier à l’affiche en ce  moment également. Elles évoquaient l’entraînement et la chorégraphie apprise pour incarner ces boxeuses avec beaucoup de modestie. Maria de Medeiros donne une belle épaisseur à son personnage de femme meurtrie, Bruno Putzulu est très attachant en boxeur, remontant sur le ring après des années d’absence, et les comédiens non-professionnels sont tous remarquables. Saluons le trop rare Jean-Pierre Kalfon – qui revient enfin plus régulièrement à l’écran, il y a 5 films tournés en 2006 dans son CV – compose avec son habituel côté dandy, un saisissant arbitre de boxe, attendri par les difficultés du personnage de Joseph. Touché par l’univers de la boxe, il a selon la réalisatrice réalisé un documentaire à l’issue du film. C’est toujours une belle émotion que de découvrir les premiers plans d’un premier film et de découvrir la naissance d’une artiste. C’est le cas avec ce film ci, alternant lyrisme et une approche documentaire. Ce n’est pas si fréquent en ce moment dans le cinéma français.

LA TETE DE MAMAN

Il y avait eu une avant-première à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux du premier long-métrage de Carine Tardieu, « La tête de maman », le 9 février dernier, en sa présence et celle de sa jeune interprète Chloé Coulloub. Le souvenir du film sorti ce 28 mars, est resté vivace, ce qui n’est pas si fréquent. Lulu, 15 ans, vit dans une région tranquille de la France, avec son père Antoine, un ingénieur souvent absent – Pascal Elbé – et sa mère, Juliette, une hypocondriaque patentée – Karine Viard dans une étonnante composition de l’éditrice survoltée dans « Les ambitieux » de Catherine Corsini, traînant une éternelle langueur. Cette dernière est plus à l’écoute de ses embarras gastriques que sa fille. Sa fille, éternelle révoltée, est bagarreuse et n’hésite pas à partager des coups de poing, avec son copain de classe Simon et ne ménage pas beaucoup sa grand-mère – Suzy Falk, formidable comédienne belge -. Elle s’invente une mère de substitution, qu’elle fantasme en la présence de Jane Birkin – excellentes interventions de Jane, jouant avec délectation l’imagination de la réalisatrice. Un jour Lulu, tombe sur un film super-8, où adolescente, elle avait un grand sourire, elle était amoureuse d’un certain Jacques Charlot. Lulu tente de retrouver ce dernier vingt ans après, histoire de comprendre pourquoi le sourire de sa mère s’est volatilisé. L’histoire de ce film, provient d’un coup de cœur du producteur Christophe Rossignon – qui fait son habituelle apparition dans les films qu’il produit, ici en patron de café dépenaillé – pour les deux premiers courts-métrages de la réalisatrice – « Les baisers des autres » (2002) , « L’aîné de mes soucis » (2004) -. En effet, il l’avait rencontrée dans un festival, et avait accepté de visualiser ses films sur un lecteur DVD, tout en déclarant ne plus vouloir du tout produire de premiers films. Mais emballé par le résultat, il lui commande son premier long, alors qu’elle n’avait pas de projets particuliers. Elle écrit donc ce film, avec Michel Leclerc rencontré lors de l’écriture d’une série sur France 2 : « L’âge sensible » éphémère série abandonnée rapidement par la chaîne, alors que Martin Winckler la défendait avec enthousiasme. Le tandem Michel Leclerc – qui avait réalisé « J’invente rien », un film décalé très drôle avec Elsa Zylberstein et déjà Kad Merad, apportant un humour proverbial, et Carine Tardieu, plus dans la gravité et la rêverie, donne un étonnant cocktail doux amer.

Chloé Coulloub & Karine Viard

Ce premier film est une très bonne surprise, Chloé Coulloub vu vite après dans le téléfilm d’Alain Tasma, « La surprise » où elle jouait la fille peu compréhensive de Mireille Perrier, a un tempérament étonnant. La jeune comédienne a d’ailleurs un sacré aplomb, qui lui a permis de décrocher presque immédiatement le rôle lors des castings. Elle a dû juste prendre un peu de poids pour ne pas donner trop d’assurances dans sa composition. Elle déclare d’ailleurs avoir abandonné l’école à 16 ans, et sans faire la fausse modeste, se déclare assurée de réussir dans ce métier. Pourquoi pas finalement, car c’est une nature qui devrait visiblement exister au cinéma. Ce film est un hommage de Carine Tardieu, à sa mère, dont le destin a été – sans vouloir déflorer l’histoire du film – le même que celui du personnage de Juliette. Le film est poétique, onirique et décalé, du personnage de Pascal Elbé poétisant un travail que l’on imagine austère, au personnage joué par Kad Merad – celui de Jacques, qui déçoit de prime abord la jeune Lulu « … Qu’est-ce qu’il a pris dans la gueule en 20 ans ! », dit-elle en commentaire. On s’attache rapidement aux personnages, pour savoir ce qui se passe dans « la tête de Maman ». La mise en scène est d’une inventivité constante, aussi bien dans la forme que dans la narration. Dans un cadre suranné, elle arrive aisément à faire naître l’émotion. Tous les comédiens sont d’ailleurs excellent, Chloé Coulloub, donc en ado effrontée, Karine Viard en mère éthérée, Kad Merad qui en vétérinaire dans un zoo, continue à nous prouver son grand talent et Pascal Elbé – dans un personnage en retrait, ce dont il semblait un peu souffrir selon sa réalisatrice, par ses interventions souvent ponctuelles. A noter quelques personnages secondaires juste, comme une Lisa Lamétrie envahissante rendant visité à Juliette, ou Jérôme Kircher, compagnon de route de Juliette adolescente. Carine Tardieu a une grande conviction comme réalisatrice, c’était un régal de l’écouter, dans ses choix de mise en scène, ou dans ses évocations d’instants imprévus, comme le léopard, tétanisant Karine Viard, d’où une scène où elle regarde dans le vague avec Kad Merad, la réalisatrice ayant oublié au couple de sourire. L’univers de cette cinéaste est donc à suivre assurément.

J’ATTENDS QUELQU’UN

Avant-première à Bordeaux du film de Jérôme Bonnell, le 16 mars dernier à l’UGC-Ciné cité en présence de son réalisateur et de la comédienne Florence Loiret-Caille, en clôture d’un festival de courts-métrages. Louis – Jean-Pierre Darroussin, toujours aussi formidable -, est patron d’un café dans une petite ville de la banlieue parisienne. Il a un fils dont il ne s’occupe guère, et rend régulièrement visite à une prostituée occasionnelle un peu perdue, Sabine, il semble d’ailleurs être très attaché à elle. Il a instauré un rite en la retrouvant souvent dans un hôtel. Il va voir régulièrement sa mère – Mireille Franchino, très juste –, hospitalisée car elle semble perdre la mémoire, avec sa sœur Agnès– Emmanuelle Devos, épatante et solaire -, avec laquelle il a une grande complicité. Agnès, qui est institutrice, vit en couple avec Jean-Philippe – Éric Caravaca, défendant superbement son rôle -, professeur assez timoré. Le couple est assez solide, même s’il souffre de ne pas avoir d’enfants. Arrive le jeune Stéphane – Sylvain Dieudaide, sans doutes LE regard le plus triste du cinéma français -, qui fut d’ailleurs élève d’Agnès et qui revient dans la région après une longue absence. Il se lie d’amitié avec Tony – Yannick Choirat, très juste également -, chômeur sympathique et qui vit avec Farida – Sabrina Ouazani, un tempérament -. Ce petit monde triste se construit pourtant de petits moments de bonheur. Le film confirme le talent de Jérôme Bonnell – fils de René Bonnell pour la petite histoire – après le très probant « Les yeux clairs », je n’ai hélas pas vu son premier film « Le chignon d’Olga » -. C’est un cinéma qui privilégie ses personnages, prend le temps de le suivre. Il y a chez lui un grand sens de l’observation, une manière très personnelle de capter les émotions.

Florence Loiret-Caille & Jean-Pierre Darroussin

Le cinéaste est très habile pour faire alterner des moments cocasses et pour faire naître des émotions à travers plusieurs portraits de personnes partageant la même mélancolie. Tous les personnages existent, comme la mystérieuse femme aux chiens blancs, passante énigmatique – il m’aura fallu lire le générique pour percuter et enfin reconnaître l’excellente Nathalie Boutefeu, pourtant l’une des meilleures comédiennes de sa génération. C’est une idée ludique, pour celle qui fut présente dans « Le chignon d’Olga » et qui fut attachante dans « Les yeux clairs ». On s’attache à tous les personnages, comme celui de Marc Citti, comédien scandaleusement sous-estimé irrésistible en papetier amateur de bananes – il faut le voir manger sa banane avec un couteau, évoquant l’un des meilleurs épisodes de la série « Seinfeld », celui de la barre chocolatée mangée avec des couverts. Le quotidien est ici rendu avec une étonnante sensibilité, la caméra accompagne les acteurs qui rivalisent de justesse. Il traque l’insolite, les petits riens, à l’exemple d’un chien confié par une zonarde dans un parc. Il s’attendrit sur la lourdeur que démontrent parfois les êtres, à l’image de Louis ayant des gestes déplacés avec son employée. Il y a un lien et une unité dans les caractères, ce qui manquait au pourtant estimable « Ma place au soleil », film choral d’Éric de Montalier. Jérôme Bonnell ressemble à ses films, déterminé, avisé. Il évoquait l’écriture du film, débutant sur les personnages de Louis et de Sabine, avant de faire appel à d’autres personnages coexistant avec ce couple de départ.  Florence Loiret-Caille, une nature révélée dans « Une aventure » notamment, est ici bouleversante dans ce personnage à la fois fort et fragile. La comédienne présente donc au débat était d’une grande timidité, préférant visiblement parler du grand talent d’un Jean-Pierre Darroussin plutôt que de parler de son métier. Jérôme Bonnell est assurément un cinéaste à suivre de très près. Un excellent cinéma qui oscille entre le charme et la gravité.

ENTRE ADULTES

 Avant première du film « Entre adultes », le lundi 12 février, à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux, en présence de son réalisateur Stéphane Brizé, de Simon Lelouche – fils de Claude – son distributeur et de la comédienne Jeanne Ferron. Surprise son troisième long-métrage, après « Le bleu des villes » et « Je ne suis pas là pour être aimé », est en fait son second… Le cinéaste vivotait avec divers travaux publicitaires, il accepte donc en 2004, une commande en région Centre-Val-de-Loire,  filmer des comédiens de théâtre pour qu’ils découvrent et se familiarisent avec la caméra en 4 jours seulement. Il écrit donc 12 rôles, pour 6 couples, et décide de prendre l’idée de la construction de la  « Ronde » d’Arthur Schitzler, qui a donné un chef d’œuvre absolu au cinéma avec le film de Max Ophuls. La technique de tournage avec deux DV est ultra-rapide, les comédiens qui ont appris à se connaître en amont, n’ont qu’une heure parfois pour apprendre et mémoriser le texte, ce qui donne une impression très forte de vécu. Stéphane Brizé avait évoquait la liberté que cette méthode pouvait lui apporter dans son tournage suivant, en évitant de trop répéter les situations – outre d’avoir découvert Cyril Couton dans ce film qui devait ensuite tenir le rôle du fils de Patrick Chesnais -. Le regard confondant de naturel, et sans tabous, sur le couple est assez désabusé, le mâle étant assez veule. Ce parti-pris offre un naturel, des petites médiocrités dans un couple, des dissimulations, sur les petits mensonges et arrangements qui permettent d’avancer dans les faux-semblants. Il n’y a pas de jugements sur ses personnages désabusés, parfois couard, mais vivants. Ces couples adultères ou légitimes, vivent émoussements des rapports amoureux mais sont assez dignes à l’encontre de la misère sexuelle d’un petit chéfaillon d’un magasin qui fait un chantage affectif avec une prostituée occasionnelle et abuse de sa situation devant une demandeuse d’emploi. 

Les comédiens du film

Les comédiens sont tous particulièrement remarquable, et il était impressionnant de voir la vraie nature de la comédienne Jeanne Ferron, qui a une très forte nature comique, qui tourne beaucoup en province dans des spectacles comiques, bien que devant jouer dans l’avenir Shakespeare, « Macbeth » , seule en scène ! Elle est dans la lignée de Zouc si on tente un peu de la définir, ce qu’on ne pouvait présumer à la vision du film, elle joue une femme trompée qui fait un entretien d’embauche et doit subir une humiliation de la part de son futur employer qui manque de la harceler. Facétieuse, et rieuse elle était irrésistible. Ce film n’avait pas pour but d’être diffusé en salle, mais en 2005, Stéphane Brizé avait montré ce film à son ami Simon Lelouche – une nature visiblement passionnée -, qui lui a montré rapidement son envie de le sortir en salle. Il a convaincu son père Claude, également enthousiaste, de le sortir en salles – à noter l’affiche un peu racoleuse -, il est vrai qu’il y a une similitude dans le traitement, de la spontanéité que pouvait avoir avec des films comme « Smic, Smac, Smoc », ce qui constitue à mes yeux le meilleur du cinéma de Lelouch, loin de ses fresques pachydermiques – C’était un bonheur de retrouver sur le câble « Toute une vie », ratage et naufrage quasi-total si on excepte la présence de l’excellent Charles Denner. Loin d’être anecdotique et une simple expérience de « laboratoire », le film confirme le grand talent de Stéphane Brizé, quelque soit le support, son regard acerbe sur ses contemporains. Le film donne de l’espoir, quand on sait l’époque que traverse le cinéma français, Pascale Ferran démontrant parfaitement l’écart grandissant des budget entre les petits films d’auteurs fauchés et les grosses productions, les films entre ses deux financements disparaissant peu à peu, car il démontre que l’on peut faire une œuvre à peu de frais. Le générique de fin est d’ailleurs disproportionné avec la liste de la petite équipe du tournage, que de ceux ayant travaillé le format VHS pour la sortie du film. Une bouffée d’air frais dans notre cinéma français national qui flirte dangereusement avec la sclérose ses derniers temps.

JE CROIS QUE JE L’AIME

Avant-première, jeudi 8 février à l’UGC-Cité Ciné, du film de Pierre Jolivet « Je crois que je l’aime » en sa présence et celle de Vincent Lindon. On peut remarquer de plus en plus de comédies « auteuristes », comme par exemple Catherine Corsini, qui vient d’en alterner deux, faute de pouvoir sans doute alterner les genres. Pierre Jolivet avait signé un film plus personnel avec « Zim & co » qui n’a hélas pas eu le succès escompté. Il s’entoure donc ici de fidèle, comme avec François Berléand – c’est leur neuvième signe ensemble -, Albert Dray et donc Vincent Lindon. Le scénario co-écrit avec Simon Michaël est habile. Un riche et suspicieux industriel, tombe amoureux d’Elsa, une céramiste au caractère bien trempé, qui réalise une fresque dans le hall de son entreprise. Lucas est très blasé depuis sa dernière rupture sentimentale. Il lutte contre son ancienne femme partie aux États-Unis, pour récupérer la garde de son fils. L’entourage de Lucas – un œil sur les actions de la société – ne souhaite pas retrouver ce type de situation, car ils ont beaucoup à perdre en cas de déprime. Sa société peut péricliter très vite si le propriétaire des lieux se laisse envahir par la morosité qui le neutralise complètement. Lucas décide alors de faire suivre la jeune femme par son responsable de la sécurité, Roland Christin joué par François Berléand. Il est excellent comme à l’accoutumée, je pense ne plus trop être objectif, mais les rires du public qu’il déclenche couvrent même certaines répliques du film. Christin, tendance pervers-pépère, a un système d’écoute très perfectionné, Simon Michaël ayant appartenu aux Renseignements généraux, a dû se servir de son expérience, pour l’écriture de ce personnage. Le moindre détail est ainsi décortiqué, par cet espion qui se vante d’avoir fait ses armes sous François Mitterrand – allusion des Irlandais de Vincennes, un cadre de l’ancien président est sous son bureau -. Pierre Jolivet signe ici une charmante comédie, montrant très justement la rencontre de deux êtres et la peur de tomber amoureux très dans l’air du temps. Il égratigne les arcanes du pouvoir, et la tendance au repli sur soi bien dans l’air du temps. Sandrine Bonnaire rayonne particulièrement, il est vrai que mis à part « Mademoiselle » de Philippe Lioret, on  ne l’a que très peu vue dans le registre de la comédie. Il y a une évidence que son talent et son tempérament sont idéals pour s’épanouir dans ce type de films. Lindon au jeu inquiet arrive à nous rendre son personnage, peu sympathique, finalement attachant.

Sandrine Bonnaire & Vincent Lindon

Kad Mérad – qui forme un couple très probant quoi qu’inattendu avec la belle Hélène de Saint-Père -, en ami confident est toujours aussi réjouissant. On retrouve aussi quelques seconds rôles, comme le fidèle Albert Dray, chauffeur – alors qu’il ne lui reste que 3 points – particulièrement dévoué et observateur, Mar Sodupe et Guilaine Londez sont excellentes en employées dévouées de Lucas et succombant à son charme. Le vétéran Venantino Venantini dans le rôle de « Della Ponte », en créateur amoureux de son art de la céramique, nous offre aussi un joli moment de sensibilité, loin de ses rôles habituels. Liane Foly est assez inattendue en garce à l’accent du Canada, Pierre Diot en conseiller et Brian Bigg en sumotori apportent également un décalage proverbial. Le débat était intéressant, retrouver Pierre Jolivet et son humour perpétuel, était passionnant et passionné, parlant de son amour pour écrire pour ses fidèles interprètes. Il fallait l’entendre évoquer sa rencontre avec un assureur – sa confrérie ayant été égratigné dans « Ma petite entreprise » -, venant après le cambriolage de son logis, lui reprocher dans ce film, qu’un des personnages casse la fenêtre de gauche, alors que tous les professionnels savent bien que c’est bien celle de droite qu’il faut fracasser pour tout types de forfaits. Vincent Lindon, toujours un peu sur la défensive, semblait cependant plus détendu que lors de l’avant-première du « Fils du guerrier » par exemple -, mais il continue à parfaire son petit côté écorché vif, tout en étant très enthousiasme. Il est plus détendu, quand je l’ai félicité ensuite directement, sur ces choix et sa manière de défendre des rôles sortant du tout venant du cinéma français – « Chaos », « La moustache » -. La rencontre entre Sandrine Bonnaire et Vincent Lindon – des retrouvailles après le film de Claude Sautet, « Quelques jours avec moi » -, elle solaire et indépendante, lui plus fébrile, fonctionne parfaitement. Le premier titre « Irrésistible » du film, non retenu finalement, correspond assez bien à la vision de cette charmante comédie. Saluons le talent de Pierre Jolivet, qui semble toujours faire un film en se démarquant du précédent.

LA MÔME

Avant-première lundi 5 février, à l’UGC-Cité Ciné Bordeaux, du film d’Olivier Dahan, « La môme » en présence de Marion Cotillard et Pascal Greggory. Les plus avisés étaient ceux qui avaient réservé tôt, les deux plus grandes salles du lieu, étant archi-comble, et plusieurs spectateurs se sont vus refuser l’entrée. Il est vrai que l’attente était forte, et les 7 minutes du film diffusées dans l’émission « + Clair »  étaient du meilleur présage. On ressort du film le ventre noué par l’émotion, l’accueil du public fut d’une chaleur exceptionnel avec une longue standing ovation ce qui était le minimum vu la reconnaissance du public. Jetons un voile pudique sur « Édith et Marcel », réalisé en 1982, avec Évelyne Bouix dans le rôle d’Édith Piaf – mais il est vrai que la mort de Patrick Dewaere avait obligé son réalisateur Claude Lelouch de rajouter d’autres histoires satellites -, mais nos amis masochistes se régaleront car il est rediffusé sur France 2 ce mardi… 13 ! – ce qui devrait convenir à son superstitieux réalisateur -. Il y eut un autre film, en 1973, « Piaf » réalisé par Guy Casaril, avec Brigitte Ariel, mais le film semble être rarement diffusé. Si vous entendez à Bordeaux, un couillon qui s’englue dans des digressions interminables quand il prend la parole, ne cherchez plus c’est moi… J’ai sorti mon petit compliment, étant d’autant plus reconnaissant qu’elle avait traversé de manière lumineuse un tragique nanar, avec le monolithique Russel Crowe, et le comédien français qui visiblement tente n’importe quoi pour avoir sa page dans le site « Nanarland », c’est Didier Bourdon, dans « Une grande année » de Ridley Scott en petite forme. J’ai donc débité l’observation suivante. J’avais vu, il y a peu, un drôle de petit film, « Étoiles sans lumière », amusant petit film avec Edith Piaf, son protégé Yves Montand – période « Les portes de la nuit » donc pas vraiment inspiré -, Serge Reggiani et Jules Berry. Loin d’être déshonorant on retrouvait une Edith Piaf, avec une aura incroyable, un côté espiègle, loin des dernières images que l’on pouvait avoir de la chanteuse réaliste, tout de noir vêtu. Je l’ai retrouvé incroyablement dans ce film d’Olivier Dahan, et Marion Cotillard, je ne l’ai pas vue. Sa performance est proprement sidérante. Attitudes, gestes, regards : on est à plusieurs reprises saisi par l’intensité de son jeu. Elle transcende le maquillage, de par sa manière de se tenir, d’arriver à nous figurer les 1m47 de la célèbre interprète. A aucun moment, par un détail du grimage, ou de son jeu, on songe à chercher une trace de son travail. C’est une évidence absolue, Marion Cotillard fait plus qu’incarner Piaf, elle EST Piaf. Qu’elle figure sa prime jeunesse, ou son corps meurtri de vieillarde, alors qu’elle n’avait que 47 ans, elle a trouvé le charisme de son personnage, ses petits côtés cyclothymiques, passant avec fulgurance dans la gamme des émotions de son personnage.

Marion Cotillard

Même les plus jeunes spectateurs méconnaissant le parcours de la « Môme » étaient sensibles par l’incroyable performance de la comédienne. Interrogée sur son travail, Marion Cotillard a brillamment répondu, loin de répéter les postures et le phrasé, elle a préféré s’immerger dans la vie de Piaf, pour mieux restituer son personnage au moment du tournage. Elle racontait avoir eu du mal à se détacher du personnage, elle citait le témoignage de l’excellent Thierry Frémont, qui témoignait à la télévision, sur les mimiques qui lui revenait de son personnage de Francis Heaulmes, elle s’apprêtait alors de partir sur le tournage à Prague et confiait qu’elle avait ainsi appréhendé cette difficulté. Avec beaucoup de subtilité, elle témoignait des scènes tournées dans l’Olympia, avec quelques familiers de la chanteuse, venu la retrouver. Elle nous racontait sa petite défiance au départ, alors que son metteur en scène ne voyait qu’elle dans ce rôle. Elle probante jusque dans les scènes de play-back – « casse-gueules » par excellence -, elle nous fait retrouver l’univers et la force de son personnage. C’est du grand art, on ne voit personne d’autre désormais pour rééditer cet exploit. Olivier Dahan qui avait déjà montré qu’il avait un univers, mais peut être un manque d’ « affect » dans ses films, le plus intéressant me semblant être « La vie promise » avec Isabelle Huppert. Il était difficile d’évoquer l’incroyable vie, le metteur en scène a supprimé 100 pages de son scénario. Il évite les morceaux de bravoures, à la Lelouch, pour aller dans l’émotion, le récit d’une femme qui brûle sa vie, certes, mais vit pour son art.  On la découvre de son enfance meurtrie à son agonie, il y a deux nombreuses scènes touchées par la grâce comme celle où sur une plage elle répond à une journaliste, ou ses rencontres avec ses grandes chansons, comme sa manière de revenir à la vie par celles de Charles Dumont ou Michel Emmer. Le réalisateur fait des allers-retours entre les différents moments de la vie d’Edith Piaf, évoquant son parcours comme des rêves dans un sommeil agité, pour mieux entrer dans la psychologie de son héroïne. Prenons l’exemple de l’annonce de Marcel Cerdan, qui nous avait valu un formidable moment d’un grotesque achevé chez Lelouch, Edith Piaf prépare le petit déjeuner pour son amant, étonnée de voir les mines pathétiques de son entourage, elle occulte son absence pour être percutée par la terrible vérité de la découverte de sa mort  dans le crash de son avion. S’il respecte les grandes lignes de sa vie, c’est aussi pour privilégier certains aspects méconnus, – il pioche dans son répertoire avec quelques-uns unes de ses chansons moins célèbres.

Marion Cotillard & Pascal Greggory

Il évoque ainsi dans un article de journal Paul Meurisse, ou Yves Montand dans une conversation, sans tomber dans l’écueil d’une sorte de musée Grévin mobile, ne nous donnant qu’une apparition de Marlene Dietrich campée avec conviction par Caroline Sihol. Au-delà de l’incroyable performance de Marion Cotillard, il y a une formidable distribution, de Sylvie Testud en Mômone garçonne, amie jalouse d’Édith, Emmanuelle Seigner dans le rôle d’une prostituée maternelle – seul personnage inventé selon Pascal Greggory -, Marc Barbé dans le rôle de Raymond Asso – pour la petite histoire, il était le frère du comédien Pierre Asso -, parolier Pygmalion, Jean-Paul Rouve en père bourru et contorsionniste, Marie-Armelle Deguy dans le rôle de Marguerite Monnot, la fidèle pianiste, Jean-Pierre Martins – qui a fait un régime draconien – nous fait oublier la prestation de Marcel Cerdan junior, chez Lelouch, André Penvern en jovial Jacques Canetti ou Jean-Paul Muel en débonnaire Bruno Coquatrix, sans oublier Catherine Allégret et Clotilde Coureau en figures maternelles revêches. Même Gérard Depardieu en Louis Leplée, l’homme qui donna sa chance – et son nom – à la « Môme », a l’air d’y croire, et est – pour une fois – au meilleur de sa forme. Nous avions la chance aussi d’avoir le témoignage de Pascal Greggory, prodigieux dans son rôle de Louis Barrier. Il joue le manager qui supporte tous les caprices de la star, mais que l’on devine amoureux transi. Dans son silence respectueux, comme dans son côté respectueux son talent éclate avec justesse. Il avouait être content d’avoir à jouer pour une fois un personnage positif. Il avait déjà eu Olivier Dahan comme réalisateur pour « La vie promise » et au courant du projet a demandé à y figurer. Il a parlé également de son travail de comédien, de sa manière de se servir de ses émotions et son vécu, et paraphrasant Samuel Beckett, il disait que tout le monde en fait né acteur, mais seuls quelques-uns uns le restent.  Les « biopics » ne donnent que très rarement de bons films, le résultat est formidable. Sans le jeu de Marion Cotillard ce film était une pure réussite, grâce à elle c’est un joyau. Un film inoubliable, à voir absolument.

TRUANDS

Avant-première le 10 janvier dernier, de « Truands », à l’UCG Cité-Ciné Bordeaux, en présence de son réalisateur, Frédéric Schoendoerffer. Après avoir démythifié le milieu de la police : « Scènes de crimes  » et de l’espionnage « Agents secrets », il s’attaque ici au monde des truands. Tel un entomologiste, avec son scénariste Yann Brion, il dissèque les mécanismes du grand banditisme. Il présente d’ailleurs son film – avec une formule répétée à l’envi durant la promotion du film -, comme un « Microcosmos chez les voyous » – on retrouve d’ailleurs Bruno Coulais à la musique -. La violence réelle n’est pas complaisante ou graphique à l’instar du sinistre Mel Gibson et son nauséeux « Apocalypto ». Il a tiré les leçons d’un Martin Scorsese, on s’attendrait presque à voir déboulé Joe Pesci sur l’écran. Schoendoeffer, a d’ailleurs dû édulcorer certains faits réels, il en était question dans l’excellente émission de Frédéric Taddeï sur France 3, « Ce soir ou jamais », en présence de spécialiste. Le parti pris n’est pas de faire une stylisation d’un Jean-Pierre Melville, qui prenait son inspiration dans le cinéma américain – il avait une adoration pour le coup de l’escalier de Robert Wise. Olivier Marchal avait dû faire quelques concessions pour son « 36, quai des orfèvres », pour éviter l’interdiction au moins de 16 ans. Le romantisme du « voyou » au grand cœur, est abandonné pour une vérité frontale. Nous sommes loin du folklore et des poncifs habituels sur les milieux de la pègre en région parisienne. Le doigt est mis ici, comme le dit son auteur, sur l’esprit gaulois, frondeur et indépendant, expliquant l’échec du système mafieux en France. La femme est traitée comme un objet, la brutalité est le langage basique de cette poignée d’hors-la-loi. Il y a des codes, des lois, le réalisateur démontant les trafics et braquages divers. Une poignée d’hommes règne sur des hommes de mains corvéables à merci, et vivent dans un luxe ostentatoire, dominant un petit territoire. Le réalisateur révèle qu’il a voulu éviter toute sympathie avec ses personnages, évoquant la petite famille de la saga des « Parrains » de Coppola, avec laquelle on finit mine de rien par s’y attacher. Le réalisme ici apporte une distance, des détonations des armes, à la manière de ces bandits à vivre dans une autarcie.

Benoît Magimel & Philippe Caubère

La distribution est assez étonnante, notamment Philippe Caubère en caïd fat, parfois grotesque, se fiant à son instinct avec un peu trop de sûreté. On aurait pu craindre que son parcours théâtral brillant pouvait peser sur son interprétation – il n’a plus fait de cinéma depuis 1989, depuis l’adaptation de l’œuvre de Marcel Pagnol par Yves Robert. Mélange de rage, de folie furieuse, Caubère sidère et est très crédible dans ce rôle de Claude Corti, quinquagénaire cruel. Pour la petite histoire Schoendoerffer l’a choisi pour l’avoir vu dans…. Thalassa, le magazine de la mer de France 3 ! Il ne connaissait pas le parcours théâtral du comédien – ni les captations remarquables de Bernard Dartigues -, en l’entandant parler, il a trouvé ainsi son personnage… Benoît Magimel échappé Mevillien, dans un rôle assez trouble excelle. Le polar est un genre patent dans l’histoire du cinéma français, en crise désormais, la télévision donnant dans l’aseptisation général en crééant ses héros irréalistes de la police. Olivier Marchal trouve également un poids dans cette histoire, en homme défait mais encore confiant sur l’amour, Béatrice Dalle, en compagne de Claude Corti, amène une humanité remarquable, figurant la raison dans ce cahos général. Tout comme dans « Virgil » on retrouve également Tomer Sisley, également probant dans le registre du polar, en truand tenté par l’islamisme. La gallerie des truands est aussi remarquable jusqu’à la moindre silhouette, du cascadeur Alain Figlarz, Dominque Bettenfeld, Moussa Maaski, sans oublier Ludovic Schoendoerffer, propre frère du réalisateur dans un jeu assez expressionniste. Frédéric Schoendoerffer, qui cite ici son père – un extrait de la « 317ème section », avec reconnaissance, comme Oliver Marchal,  en partant de la réalité, sans renouveller le genre, font perdurer au moins une certaine tradition, c’est emminamment louable, et c’est suffisamment rare pour le signaler. Le dosage divertissement et côté documentaire fonctionne au final dans ce film âpre dont la noirceur peut désorienter les habitués de petits thrillers roublards, qui sont la constante en ce moment.

LE GRAND APPARTEMENT

Que 2007 soit pour vous une source de multiples réussites professionnelles et privées ! C’est le moment où jamais de souhaiter que  cette nouvelle année comble et apporte tout ce qu’un cœur vaillant peut souhaiter –  si on survit bien sûr aux prochaines élections présidentielles… -. Foin de platitudes et d’usages usés pour saluer l’excellent Pascal Thomas venu présenter le 19 décembre dernier son avant-dernier film en avant-première – il vient de terminer « L’heure zéro », nouvelle adaptation de l’œuvre d’Agathe Christie, après « Mon petit doigt m’a dit », avec Danielle Darrieux et François Morel -. Venu avec des amis, dont la comédienne Evelyne Bouix, il nous a communiqué sa bonne humeur habituelle – c’est la troisième fois que je le vois -. « Le grand appartement » était un projet qu’il avait dû abandonner suite à la désaffection de dernière minute de TF1, qui n’avait pas apprécié les changements dans le scénario initial. Il a enchaîné avec « Mon petit doigt… », avant de le reprendre, en ayant l’idée de féminiser le rôle principal – il devait être tenu par Vincent Lindon, puis Jean Dujardin -. Le ton du film est assez désinvolte, de même la forme moins maîtrisée que d’habitude – on peut s’amuser à compter le nombre de passage des perches de la prise de son -, mais l’enthousiasme du réalisateur est toujours présent, grâce à son inimitable style libertin-libertaire. Un couple bohème, Francesca et Martin Cigalone – se trouvèrent fort dépourvus, quand la bise fut venue ? -, bénéficie de la fameuse loi de 1948, loi sociable, due à la crise du logement suite à la seconde guerre mondiale, « obligeant les autorités à prendre des mesures contre la flambée des loyers en les fixant par décret .. . » (source « Le site immobilier »). Le couple bénéficie donc d’un immense appartement à un prix dérisoire. Mais la propriétaire vacharde – Noémie Lvovsky qui retrouve un personnage outré comme dans « L’école pour tous », flanquée de son gérant – Maurice Risch, irrésistible dans son retour du « grogneau » dans « Mercredi, folle journée ! », veulent récupérer ce lieu loué depuis des décennies à la grand-mère de Francesca qui en prime n’y habite plus – La toujours alerte Gisèle Casadesus -.

Mathieu Amalric, Laetitia Casta à Pierre Arditi

Dans ce vaste appartement – où a véritablement vécu le cinéaste et qui a été divisé en trois en réalité -, vit toute une communauté d’amis de la famille, dont Adrien cinéaste « rozien » volage. Ce dernier est joué par Pierre Arditi, un peu en roue libre mais ce n’est pas désagréable, son réalisateur a insisté sur sa rencontre avec ce comédien enthousiaste.  8 clefs différentes valsent dans ce lui hors du temps dans un climat proche du Renoir du « Crime de M. Lange ». Francesca – Laetita Casta dont le charme au naturel fait des merveilles – est l’âme du lieu, elle doit batailler avec tous les problèmes entre l’inaction revendiquée de son mari Mathieu – Mathieu Amalric, ludion cinéphile qui se laisse vivre -, et les facéties familiales de la grand-mère sénile. Si les coutures sont parfois un peu lâches, le brio des dialogues fait mouche dans ce côté « Joyeux bordel » cher à Pierre Bourdieu. Le cocasse est toujours présent de l’érotisme rêvé chez les commerçantes du quartier, une nostalgie d’une innocence perdue face aux rudesses de ce monde – idée de la « bancarisation » pas si bête, évoquée par Francesca face à  l’excellent Jean-François Balmer en banquier perplexe -. Les professionnels et non professionnels sont toujours comme dans l’œuvre de Pascal Thomas, mis sur le pied d’égalité. Il a toujours le chic pour confirmer de nouveaux talents comme Paul Minthe en acteur cabotin inemployé, Stéphanie Pasterkamp en brunette piquante et Valérie Decobert en sœur neurasthénique, des incongruités d’emplois – Pierre Lescure en bistrot auvergnat mutique, et quelques amis de passages – Cheik Doukouré en ami de la famille, Bernard Verley en avocat visqueux, François Morel en automobiliste outragé. Cet éloge à la liberté, aux groupes composites et solidaires, cette utopie rêvée de réinventer son monde a un charme fou. Même si ce film ne participe pas aux grandes réussites de son metteur en scène, on a toujours un grand plaisir à le retrouver dans ce vaudeville dynamité.