John Huston – bizarrement crédité dans ce film « Wise blood » / « Le malin » de 1980,  Jhon Huston au générique du début -, reste un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma. Ses dernières années restent riches en grands films  – « Fat city », « L’homme qui voulut être roi », « L’honneur des Prizzi », « Les gens du Dublin » -, qui côtoient des commandes assez improbables – « Phobia », « A nous la victoire » -. Il signe ici un film d’une audace inouïe qui comme le rappelait Tavernier et Coursodon dans « 50 ans du cinéma américain »,  est à rapprocher de la liberté des derniers Buñuel.  Ils saluent également « Une distribution aussi inspirée que celle de « The Maltese Falcon ». Hazel Moses – Brad Dourif halluciné, toute la misère du monde sur ses épaules -, rentre de l’armée dans sa maison familiale abandonnée. Lorsqu’il s’étonne auprès d’un chauffeur de taxi, de la nouvelle route, construite depuis son départ, qui le conduit chez lui, ce dernier lui répond « Ca a suffi pour que tout le monde s’en aille »… Traumatisé, enfant, par son grand-père – apparition dans le rôle John Huston -, prêcheur rigoriste, il se voit encore, dans des cauchemars, uriner sur lui de terreur, l’aïeul jouant sur sa capacité à subir sa propre culpabilité. Il fait un rejet violent de la religion, mais qu’il mette un chapeau singulier le voilà endosser rapidement l’image de prédicateur aux yeux des autres.  Il part vers une autre ville sans but précis, avec une petite pension touchée de l’armée… Brad Dourif trouve ici son meilleur rôle On est d’autant plus étonné rétrospectivement qu’il n’a pas eu une carrière plus probante que quelques séries Z ou la voix de Chucky poupée tueuse et consorts, même s’il a travaillé avec Milos Forman, David Lynch et Peter Jackson. Son regard étant à la fois empreint d’humanité et de folie furieuse, il compose un personnage blessé, humilié, mais à la fois dans l’énergie, l’autodestruction et la confusion la plus totale. Il suit dans la ville un prédicateur aveugle Asa Hawks – Harry-Dean Stanton acide – et sa fille, pas vraiment belle mais qui le fascine – Amy Wright -. Il va se prendre au jeu du prêche s’inventant une « Église de la Vérité sans Christ » – Sic -, église sans miracles.

Brad Dourif

Soucieux de ne pas exploiter les gens à des fins personnelles,Hazel entraîne dans son sillage Enoch Emmery, un jeune homme aux portes de la folie – Daniel Shore, trop méconnu,  il faut le voir fasciné par une momie ou interpeller un acteur déguisé en grand singe nommé  » Gong -. Il va aussi attiser la rancœur d’un faux prophète – Ned Beatty, à la rondeur faussement sympathique -. Ce dernier va instrumentaliser un homme malingre – William Hickey, futur parrain dans « L’honneur des Prizzi » – pour le dénigrer, ne supportant pas la concurrence. Recueilli par une logeuse en mal d’amour – Mary Nell Santacroce – et malmené par son nouvel entourage, Hazel va sombrer dans la folie… Il va jusqu’à se flageller comme dans son enfance où il mettait des cailloux dans ses chaussures… Huston en adaptant l’œuvre foisonnante de Flannery O’Connor, mis en valeur par la très belle image de Gerald Fischer est ici très inspiré. Il dresse le portrait poignant des frustrés, des laissés pour compte des États-Unis, d’une humanité blessée et auto-déstructrice transférant leur amour sur des leurres, une prostituée locale, une passagère d’un train maternelle pour Hazel, ou une momie réduite ionisée pour Enoch. La critique des gens ou des systèmes profitant de cette détresse est extrêmement juste et acerbe. Avec un humour ravageur, les rapports d’Hazel avec sa voiture constamment en panne, l’interpellation du véhicule par un policier déconcertant, John Huston dénonce tous les fanatismes, avec une modernité et une jeunesse stupéfiante, qui trouvent un écho brûlant avec notre actualité. Mieux qu’un grand film, c’est un chef d’œuvre.