Troisième film de Christophe Honoré, auteur complet avec « Dans Paris », écrit et tourné à toute berzingue a été présenté et salué à la quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes, en mai dernier. C’est incontestablement un auteur doué, trouvant ces marques malgré quelques afféteries dans ces deux premiers films. 17 fois Cécile Cassard a donné l’un de ses meilleurs rôles à Béatrice Dalle, et avait révélé un grand talent de composition chez Romain Duris – on se souvient de son interprétation de la chanson de « Lola » de Jacques Demy -, et « Ma mère », cherchait à trouver une équivalence dans l’œuvre majeure de Georges Bataille, avec un certain trouble. Pour la petite histoire, on se demande d’ailleurs ce vaut l’adaptation de « l’histoire de l’œil »  par le Belge Patrick Longchamps en 1975, intitulé « Simona », mais il faut préciser que Marcelle, l’adolescente est jouée par la pulpeuse Laura Antonelli ! Christophe Honoré trouve ici son rythme, son style est littéraire, mais c’est brillant et jamais écrasant. Guillaume – Romain Duris -, vit une sorte d’abattement moral suite à un chagrin d’amour avec sa compagne, Joanna, mère d’un petit garçon – singulière Joana Preiss, vue déjà dans « Ma mère » et qui a une très forte présence -. Il s’installe chez son père Mirko – Guy Marchand – et prend possession de la chambre de son jeune frère Jonathan, un infatigable jouisseur, énergique et un peu cradingue – Louis Garrel -, qui dort lui sur le canapé. La petite famille ne communique pas beaucoup, surtout depuis un drame familial que tous évitent d’évoquer -. Pour aider son frère, il va vivre avec intensité, pour faire vivre un peu par procuration son frère qui reste cloîtré dans sa chambre. Il décide de faire une course, jusqu’au « Bon marché » pour découvrir les décorations de Noël, Honoré retrouvant ainsi l’esprit de Jean-Luc Godard de « Bande à part », quand Anna Karina, Sami Frey et Claude Brasseur traversent le Louvres à toute vitesse. La grande idée du film, c’est l’inversion des emplois, on attendait évidemment Louis Garrel dans le rôle du dépressif comme son personnage dans « Ma mère » et Romain Duris dans le rôle du frère porteur d’énergie.

Guy Marchand & Louis Garrel

Louis Garrel est étonnant, l’on songe bien évidemment à Jean-Pierre Léaud – qui est un grand comédien, rappelons le sans cesse, et qui est d’ailleurs son parrain, Romain Duris dans l’introversion est ici, très touchant. On a plaisir à retrouver Guy Marchand, dans la tonalité qu’il avait dans les années 70-80, chez Maurice Pialat ou Claude Miller. Il est irrésistible en papa « bouillon de… » poule, aux portes de la précarité. Drôle et touchant, refusant devoir son neurologue, suite à des soucis de santé, c’est l’abattement de son fils qui le force à réagir. Il faut le voir transporter un énorme arbre de Noël, retrouver les mécanismes de la dispute avec son ancienne femme – Marie-France Pisier, sa partenaire dans « Cousin-Cousine » (Jean-Charles Tacchella, 1975). Cette dernière dans un bref rôle, est marquante dans la dureté et la sécheresse de cœur de son personnage. Si le film parfois arrive à trouver son rythme, le regard caméra de Louis Garrel fait un peu procédé, l’ensemble est cohérent, intense et très vivant. L’écueil des citations, est évité, le réalisateur digérant le travail de ses grands aînés, avec humour et irrévérence. S’il cite « La maman et la putain » – un de mes films de chevet – quand trois personnages couchent dans le même lit, la chanson au téléphone entre Romain Duris et Joana Preis évoquant irrésistiblement l’univers de Jacques Demy, ou la séance de lecture dans « Domicile conjugal » entre Claude Jade et Léaud, c’est pour mieux trouver un moteur car le film est bien ancré dans notre société contemporaine, avec une désillusion et le deuil d’une perte de l’innocence bien dans l’air du temps. . . Les « passantes » qui gravitent autour de Jonathan trouvent aussi une consistance, citons Alice Butaud, dans le rôle d’Alice, subtile dans un rôle de jeune femme blessée et un peu revancharde. La vision d’un Paris hivernal, débarrassé de ces clichés me semble formidablement juste.