« Bamako » ,présenté hors compétition au Festival de Cannes en mai 2006 en sélection officielle, est un film atypique. Le cinéaste Abderrahmane Sissako à l’idée de faire le procès populaire de la « Banque mondiale » et du « Fond monétaire international », dans une cours de son propre petit village malien. C’est une poignée de représentants de la société civile africaine, qui a engagé cette procédure. Ce huis-clos en plein air, est une belle idée, prendre un axe local pour toucher à l’universel. Un haut-parleur diffuse les actes du procès aux villageois, et le désintérêt de certains d’entre eux compose est montré comme une critique de la passivité de certains de ses concitoyens, qui se soumettent à l’ordre établi. Le ton est accusateur pour nos sociétés, mais il est aussi fortement autocritique. C’est la belle Aïssa Maïga, qui ponctue le film, en danseuse de bal. Son couple avec son mari traversant une crise, le procès l’indiffère un peu. Dans le village, la vie continue, certains souffrent, s’aiment, s’occupent des enfants et des animaux. La vie propre continue malgré le procès. Les intervenants se succèdent sans manichéismes, des véritables avocats jouent leurs propres rôles, comme Roland Rappaport avocat de la défense flirtant avec le ridicule – il faut le voir essayer d’improbables lunettes noires, proposées par un vendeur à la sauvette. Ces personnalités, comme l’avocate sénégalaise Aïssata Tall Fal, jouent le jeu avec une grande ferveur, forts de leurs éloquences acquises avec l’expérience. Les personnages qui témoignent sont touchants, d’une grande dignité, comme ce griot qui se met à chanter dans sa langue, alors qu’on lui refuse tout témoignage – moment d’une très grande force -, ou une femme très courageuse qui témoigne de son vécu.

Le résultat est poignant, nous montrant toute la souffrance de l’Afrique acculée par une dette astronomique. Les secteurs de la santé et de l’éducation sont donc sacrifiés. A l’heure d’une médiatisation assez ambiguë avec des vedettes internationale de Brad Pitt à Madonna, le metteur en scène nous montre le grand dénuement d’une Afrique qui survit dans une grande indifférence. Tout le protocole d’un procès est respecté à la lettre. Un avocat blanc peut détenir la vérité quand il défend le continent africain, alors que sont montrés ici certains noirs dans la compromission, à l’instar de ce portier qui se laisse aisément soudoyer par un journaliste. Il nous montre l’importance de la culture africaine, sa grande sagesse, sa capacité à se révolter, et à subsister malgré la misère. Les scènes de plaidoiries sont les plus fortes, alternant avec des scènes oniriques ou du quotidien. Seule la scène du western africain, proposé à la télévision, est ici un peu déplacée, mais on peut s’amuser à l’incongruité de voir Dany Glover – co-producteur du film -, ou Elia Suleiman, original cinéaste du film « intervention divine« . L’humour est constant, la critique assurée. Le décalage est grand entre une Afrique ancestrale et contemplative, et cet hypothétique procès où finalement les puissants sont pour une foi dépossédés d’une arrogance cynique. L’image d’une Afrique debout, se révèle très forte malgré une situation alarmante, et dépeinte sans didactisme et sans moralise. Cette rêverie réaliste se révèle passionnante, et plus mordante qu’un film uniquement  documentaire. C’est assurément l’un des films les plus libres, originaux et les plus forts de cette rentrée maussade. Abderrahmane Sissako montre, avec une grande acuité, que l’on peut concilier l’engagement militant avec l’exigence artistique, le tout avec intelligence.