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Meurs, monstre, meurs

 

 

 

 

 

 

Le FIFIB 2018 s’est terminé ce dimanche, avec encore une fois une programmation très riche.

Le grand reproche que l’on peut faire à ce festival c’est que malheureusement le cinéphile lambda et curieux n’a hélas pas le don d’ubiquité.

« Meurs Monstre meurs », second long-métrage solo d’Alejandro Fadel, a reçu le prix – mérité – du long-métrage international.  Dans une région inhospitalière de la Cordillère des Anges, on découvre une femme décapitée, l’ensemble est vu en plan large, autour d’une ferme comme écrasée par une montagne menaçante.

On finit par retrouver sa tête dans une porcherie. Un policier local, Cruz, assez frustre, enquête – Víctor Lopez impressionnant, sorte de Michel Constantin argentin avec une voix d’outre-tombe trafiquée.

Il est l’amant de la femme de l’un des principaux suspects, David, aux portes de la folie et qui semble être fasciné par un « monstre ». Le supérieur de Cruz, un capitaine sentencieux et revenu de tout, le couvre dans ses démarches. De mystérieux motards hantent les lieux, et une sorte de frénésie finit par contaminer tout le monde.

On saluera la richesse du cinéma argentin depuis quelques années – à l’instar de « Rojo » également en compétition cette année -.

Le débat fut assez iconoclaste, la productrice étant particulièrement rétive à faire la traduction, on perdait un peu en compréhension, même si si le réalisateur parle un peu  français.

Un spectateur bilingue soulignait d’ailleurs qu’il faisait par exemple un jeu de mots intraduisible en français entre la parole et la bave. Une sorte d’humour à froid assez désarmant et une vraie volonté pour le réalisateur d’écouter les réactions des spectateurs, il était d’ailleurs assis sur les marches pour assister à la première scène choc du film.

Difficile d’évoquer ses explications sous peine de révéler toute la complexité du film, même si au final on se demande si elles éclairent vraiment le film.

Il joue sur les sensations, un climat délétère qui semble contaminer tous les personnages du film, tous très justes de l’amateur au professionnel.

En filmant les lieux de son enfance, il ne se résout pas uniquement à tracer un portrait politique de l’Argentine, il se veut une réflexion sur le mal et au final un reflet exacerbé de notre société actuelle. Il joue sur les peurs primales, dynamitant les codes du cinéma de genre, du film d’horreur au western, pour démontrer le monstre qui peut se retrouver dans chacun de nous.

On restera allusif sur le « monstre » – un tantinet français aussi à la lecture du générique et, comme  qui dirait, sexué ! –

Il privilégie des effets-spéciaux analogiques, contre un numérique actuel glaçant, développe une angoisse sourde et métaphysique. La peur est vraiment au rendez-vous, ses personnages sont consistants, comme reliés au mal qui ne demande qu’à surgir.

Un vrai univers ce qui n’est plus si fréquent, comme si Bruno Dumont rencontrait David Cronenberg, le film est prenant et désorientant de bout en bout.

L’homme qui a surpris tout le monde

Nouvelle édition du « Festival du film indépendant », à Bordeaux, 7ème édition déjà. L’occasion de retrouver des univers exigeants, et un regard lucide sur notre monde. Commençons par le film russe « L’homme qui a surpris tout le monde », accompagné d’une petite présentation filmée du duo de cinéastes Natasha Merkulova et Aleksey Chupov, qui font même l’effort de parler un peu en français. Un garde forestier vivant en Sibérie, père de famille, a une femme aimante enceinte de son deuxième enfant, et un beau-père bougon. La petite famille vit dans une ferme rustique. Un maire local défend mollement ses administrés, baratinant pour sa réélection, les problèmes de courant sont nombreux et les hivers sont rigoureux. Le héros du film, bien intégré, manque de perdre la vie face à deux braconniers, qu’il tue en légitime défense. Il apprend ensuite qu’il ne lui reste que deux mois à vivre, son cancer étant en stade terminal. Soucieux de régler l’avenir de sa famille après sa mort, il finit par adopter une attitude qui surprendra aussi bien ses proches que les villageois. Comme dit Léo Soesanto, accompagné de l’une des distributrices du film, la difficulté est de ne pas « divulgacher » le film comme disent les québécois. Avec un début naturaliste, et un côté « caméra à l’épaule », le film finit par trouver son rythme quand le personnage principal adopte un comportement totalement inattendu. Son interprète Evgeniy Tsyganov, est marquant dans une interprétation très sobre, en homme mutique, qui répond toujours à ce qu’on attend de lui mais finit par explorer des aspects cachés de sa personnalité, tant il doit faire face à une société patriarcale rude et impitoyable. La critique de la Russie est acerbe, si le système médical semble prendre en charge une « fin de vie » sans frais médicaux à avancer, la société reste violente, impitoyable et intolérante, les villageois après une période de sidération, montrent le vrai visage d’une société résignée et réfugiée dans le repli sur soi, le cocon familial n’étant plus forcément un refuge. Le film montre bien l’isolement et l’opprobre qui peuvent atteindre ceux qui sont réfractaires ou critiques. Dans le rôle de l’épouse, Natalya Kudryashova, prix d’interprétation au festival de Venise, est lumineuse en femme enceinte trop aimante. Le film dérange par son acuité, tout en flirtant avec le fantastique, à l’instar de jars sous la neige ou les incantations d’une rebouteuse folklorique. La lumière soviétique, si caractéristique, donne une étrangeté à ce conte réaliste, et finalement salutaire et critique, sur la difficulté de s’affranchir de carcans et d’œillères imbéciles. Un film qui a bien entendu une résonnance toute particulière en ce moment, et tombe à point nommé.