Photo et infos source Klincksieck

Auteur en 2006 d’un remarquable « Éloge des seconds rôles » aux éditions Séguier, Carré ciné, Serge Regourd sort un nouveau livre « Les seconds rôles du cinéma français – Grandeur et décadence », paru aux éditions « Klincsieck », avec le génial Saturnin Fabre en couverture. Si l’on prend actuellement en exemple certains génériques de fin de séries françaises sur le service public, France 2 et France 4, ceux-ci sont souvent carrément invisibles soit pour laisser place à la présentation des épisodes suivants, soit pour un commentaire d’un intérêt relatif – l’ineffable Thomas Hugues pour la présentation du « Clan Pasquier » par exemple, mais bon il faut bien l’occuper… Ayant l’habitude de compléter des génériques sur IMDB pour que l’on puisse trouver des CV complets de comédiens, je n’ai pu ainsi rajouter les noms de Patrick Rocca, Sophie Barjac ou Yves Afonso dans « Sur le fil » – saison 3 – ou Geneviève Mnich et Fred Ulysse dans « Marion Mazzano ». L’intérêt un peu limité de cette anecdote est de démonter un mépris évident des comédiens non stars, de plus en plus malmenés. Ils n’ont très souvent qu’une « coquille vide » à défendre au cinéma et à la télévision. De plus en plus, si vous êtes également maniaques sur ce type de seconds rôles, on lit des noms inconnus aux génériques, alors qu’il y a peu on retrouvait pléthores de seconds rôles dans des comédies, à l’exemple du film de Michel Blanc « Grosse fatigue », ce qui est beaucoup moins courant pour les films actuels. Serge Regourd déplore ainsi le gaspillage de bien des talents. Son livre est une analyse remarquablement amoureuse et sociologique de cette évolution. Il déplore les dérives et les limites du système de « bankeybeulhisation ». En 272 pages, très référencées, il part donc des mythiques « excentriques du cinéma français » ouvrage culte, de référence, hélas épuisé d’Oliver Barrot et Raymond Chirat, avec Saturnin Fabre en couverture, et suit l’évolution de ce type de comédiens. L’auteur possède une grande connaissance du cinéma français, et nous dresse une liste exhaustive de personnalités fracassantes, avec de grands regrets sur le parcours de certains comédiens atypiques, il cite par exemple Jacques Canselier, Philippe Brizard, Arlette Gilbert, Jean Mermet, Jean-Paul Muel, Olivia Brunaux, etc…, qui n’ont jamais eu la carrière qu’ils auraient mérités. Les seconds rôles ont accompagné le cinéma français, même durant « La nouvelle vague », tel Serge Davri, Yves Afonso, Sacha Briquet ou Laszlo Szabo. Beaucoup d’interprètes peuvent heureusement compter sur le théâtre et la télévision. Le livre au-delà de son analyse sociologique est un panorama complet de nos meilleurs comédiens, il bénéficie d’une très riche iconographie, avec un grand nombre de photos très rares ou inédites provenant de la cinémathèque de Toulouse. On pourra ainsi retrouver des comédiens prolifiques comme Albert Michel, ou oubliés des dictionnaires comme Micha Bayard, Jean Luisi, Henri Cogan, etc… Jubilatoire et ludique, c’est un voyage dans l’histoire du cinéma français de Jean Abeillé à Zouzou, C’est aussi un constat lucide des évolutions économiques, et des travers actuels de ce cinéma, visant à une rentabilité immédiate. On retrouve ainsi des descriptions des oubliés des génériques. Un livre qui devrait légitimement rester à portée de main dans votre bibliothèque.

 

Marcel Dalio, Paul Meurisse et Robert Dalban dans « Le monocle rit jaune », source toutlecine.com

Profitant d’avoir trouvé son adresse sur un commentaire, j’ai donc contacté Serge Regourd pour le féliciter, il a répondu quelques questions, l’occasion de revenir sur un travail unique, amoureux et salutaire.

– D’où vous vient cet amour des seconds rôles, et cette idée de dresser une situation très juste sur le cinéma français, à travers ce prisme ?

Depuis l’enfance, ma passion du cinéma est indissociable de la part que les seconds rôles y occupent. Problème de génération : enfant, et adolescent, je lisais « Cinémonde »qui ne les ignorait pas. Il n’y avait pas, dans ces années là, d’apartheid entre les stars et les seconds rôles dont nombre d’entre-eux étaient très populaires. Mon propos fut, précisément, de prendre ces acteurs comme fil-conducteur pour mesurer les évolutions et les mutations du cinéma français.

– Il y a peu d’ouvrages sur ce thème, du mythique « les excentriques du cinéma français », de Chirat et Barrot, «Les grands seconds rôles », « Stars deuxième » désormais épuisés, alors qu’il y a beaucoup de livres anglo-saxons sur ce sujet. Yvan Foucart et Armel de Lorme, ne sont pas passés par un réseau de distribution traditionnel pour évoquer ce type d’acteurs et être publiés. D’où vient ce désintérêt ?

L’air du temps est, dans tous les domaines , celui des « vainqueurs », des « people ». Les médias, généralistes, mais aussi, hélas, spécialisés, n’accordent aucune place aux acteurs dits de seconds rôles. Seuls existent les stars, les jeunes susceptibles de le devenir, et quelques « bons clients » des plateaux télé qui sont dans les réseaux indépendamment de leur carriére artistique. Les journalistes, notamment les jeunes générations, n’ont aucune culture cinéphilique en ce domaine. De surcroît, l’escamotage contemporain des génériques à la télé ne facilite pas l’identification de ces acteurs.

–  Comment avez-vous eu accès à l’iconographie remarquable de votre livre, en partenariat avec la cinémathèque de Toulouse et quelle fut votre méthode de travail ?

Le travail d’iconographie fut énorme : des jours et des jours consacrés à chercher des photos correspondant au texte déjà écrit. J’ai procédé par titre de films, en cherchant dans la ressource photo de ces films les acteurs concernés. J’ai bénéficié de l’aide précieuse du responsable photo de la Cinémathèque de Toulouse. Sans cette formidable collection, je n’aurais pas pu parvenir à ce que je souhaitais. Chaque fois que je trouvais l’acteur que j’avais en tête, c’était comme une victoire. Mais certains, hélas, sont restés introuvables, en particulier pour les périodes récentes . A l’inverse, j’ai dû sacrifier une cinquantaine de photos par manque de place même si l’éditeur a été généreux, en acceptant d’aller sensiblement au-delà du nombre initialement prévu.

– Vous citez des réalisateurs amoureux des seconds rôles de Jean Marboeuf à Cédric Klapisch, comment expliquer l’actuelle frilosité des nouveaux cinéastes pour employer certains comédiens pourtant remarquables ?

Comme je l’explique dans le bouquin, beaucoup de jeunes réalisateurs ne connaissent pas du tout les acteurs et n’ont pas de curiosité dans ce domaine. Ils sont, par ailleurs, dépendants des diffuseurs (Télé) qui financent et n’ont d’intérêt que pour les acteurs « bankables ». Des réalisateurs comme Marboeuf, mais aussi, par exemple, Boisset ou Costa Gavras, ne tournent plus, ou quasiment plus pour le cinéma

– Les enjeux financier, et l’idée d’une rentabilité immédiate, sont elle les causes d’une sous-utilisation de ces comédiens et pensez-vous que cette situation est irrémédiable ?

Rien, sauf la mort, n’est irrémédiable mais le métier d’acteur a été bouleversé par la « financiarisation » et l’industrialisation de l’audiovisuel. De nouvelles moeurs se sont imposées :être « bankable » ou rien en quelque sorte. On doit alors regretter que l’argent public soit aussi dévoyé quand il s’agit des co-productions des télévisions publiques, ou de l’avance sur recettes du C.N.C. Dans ces cas, la primeur des critères culturels devrait permettre de choisir les acteurs sur d’autres bases que le calcul financier et le marketing.

–  Comme vous le signifiez dans votre formule Adieu les prolos, vives les bobos, vous décriez un cinéma français, coupé des réalités, depuis quand dure cette situation ?

Deux moments essentiels : la Nouvelle Vague qui début années 60 rompt avec le cinéma populaire fondé sur la multiplicité des personnages issus « des gens sans importance » au profit de leur imaginaire à l’inverse issu de la bonne bourgeoisie, et la rupture postérieure aux années 90 d’un jeune cinéma francais-type Desplechin- qui met en scène de jeunes « bobos » citadins, de préférence parisiens, dans des intrigues intimistes, des épopées minuscules évacuant les classes populaires et la logique du nombre.

–  Votre livre est un procès-verbal sur l’ingratitude du cinéma français pour bien des comédiens français, faut-il une prise de conscience des metteurs en scène, ou déplorer une absence de curiosité ?

Il s’agit bien d’une absence de curiosité dans un environnement dominé par les logiques marchandes et la superficialité d’une approche « people ».