Michel Cournot à Paris, le 21 janvier 1958

En réaction à l’intervention d’un internaute qui déplore ici l’absence d’hommage concernant la mort d’Anne-Nicole Smith – alors qu’il ne fait aucune mention à celle d’André Bézu, qui ne l’oublions pas joua son propre rôle dans le film « Grève (party ) » -, évoquons donc celle de Michel Cournot, le 8 février dernier des suites d’un cancer. Il fut un critique connu pour son admiration avec l’œuvre de Jean-Luc Godard, et ses écrits parfois féroce. Il écrivit pour « Le nouvel observateur  » de 1963 à 1996, « France Soir » de 1950 à 1960. Il fut l’auteur de quelques livres « Le premier spectateur » (Gallimard, 1957), « Enfants de la justice » (Gallimard, 1959), « Histoire de vivre » (Maeght, 1955). Lorsqu’il passa à la réalisation, avec « Les gauloises bleues »  tourné en 1968 avec Annie Girardot, Jean-Pierre Kalfon et Bruno Cremer. Il fut à son tour raillé, Citons la saison cinématographique 1969, par Hubert Arnault qui évoque son auto-dérision : « Michel Cournot n’est pas certes « le premier cinéaste français qui tue le public par le rire ». Ouvrir une brève analyse de son film par cette boutade qu’il lui plut de dédier à une médiocrité du cinéma français est bien fait pour donner la dimension d’un artiste écrivain-critique-cinéaste qui prend les autres moins au sérieux que lui-même. Son goût pour le canular-critique agressif, entêté, et contradictoire est bien connu sinon apprécié… » Pour évoquer ensuite « Parmi le fatras des choses faciles qui meublent l’écran (le simplicinéma du bric-à-brac règne puissamment dans le renouveau), on reconnaît les hommages-emprunts aux idoles encensées… » (…) « …Un coeur sensible à la douleur qui bat fort à la vie ». Mais le critique reste brillant, à la lecture de ses chroniques parues en 2003, aux éditions Melville « Au cinéma » – qu’ironie du sort je viens d’emprunter en bibliothèque -. Il rend des hommages probants à Jean-Luc Godard, et y dresse des portraits acerbes, comme ceux sur Michel Simon ou Véra Clouzot sur le tournage des « Espions », film d’Henri-Georges Clouzot, en 1957. L’excellent livre « La critique de cinéma français », évoquait qu’il continuait à défendre, sa carrière de critique terminée, des films qu’il aimait comme « Pullman Paradis » de Michèle Rosier. Il fut, assurément, l’une des plus grandes plumes de la critique française. Bibiographie : « La critique de cinéma en France »  sous la direction de Michel Ciment & Jacques Zimmer (Ramsay cinéma, 1997).

NOUVEL OBSERVATEUR du 10/02/2007

Le journaliste et écrivain Michel Cournot, qui fut critique de cinéma, littéraire puis dramatique et a réalisé en 1968 un film, « Les Gauloises bleues », est décédé jeudi à Paris à l’âge de 84 ans d’un cancer, annonce vendredi 9 février le quotidien Le Monde, auquel il a collaboré durant plus de 30 ans. Né le 1er mai 1922 à Paris, élève au lycée Louis-le-Grand puis étudiant en lettres, Michel Cournot s’est lancé dans le journalisme après la Libération, d’abord comme reporter à France Soir, à L’Express et de nouveau pour le quotidien de Pierre Lazareff. Il a collaré au Nouvel Observateur dès le lancement de l’hebdomadaire en 1964 comme critique cinématographique. Après avoir signé les dialogues de « 20.000 lieues sur la terre » (1960) de Marcel Pagliero et des « Amoureux de France » (1964) de François Reichenbach, il s’était essayé à la réalisation avec « Les Gauloises bleues », interprété par Annie Girardot et Bruno Crémer. Après ce film sans lendemain, raillé par un Michel Audiard avec lequel Cournot avait croisé le fer, ce « fou des livres et de la lecture », comme il se définissait lui-même, abandonne la rubrique cinéma du « Nouvel Obs » pour la critique littéraire de l’hebdomadaire. Marié à la comédienne Martine Pascal, Michel Cournot a suivi pour Le Monde, à partir de 1973, plus de trente ans de vie théâtrale. Il portait un regard exigeant, attesté par des critiques redoutées.

Prix Fénéon et Deux-Magots

Homme de lettres, il avait obtenu en 1950 le Prix Fénéon pour « Martinique » et celui des Deux-Magots huit ans plus tard avec « Le premier spectateur », consacré au tournage des « Espions » d’Henri-Georges Clouzot. Le Prix Italia lui sera attribué en 1963 pour « Enfants de la justice », fruit de reportages consacrés aux jeunes délinquants. Il était à nouveau revenu à l’écriture en 1994 avec « Histoire de vivre », et « Au cinéma » (2003), témoin de sa passion pour le 7e art, qui était pour lui « une drogue, douce si l’on veut, mais combien pénétrante ». Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, a rendu hommage à « une personnalité très forte qui aura marqué la vie intellectuelle française de ces quarante dernières années », dans un communiqué.

LIBÉRATION du 10/02/2007

Cournot, calme bleu, par Mathilde La Bardonnie

Tôt le matin, Michel Cournot passait au journal le Monde, qui se trouvait rue des Italiens, c’était dans les années 70-80, on imprimait au plomb. En veste de coutil semblable à celle que portait Braque, démarche rapide, Cournot entrait furtif dans le bureau d’Yvonne Baby, lui apportant regard souriant sous ses cheveux sombres épais, quelques feuilles d’un papier tramé coquille d’oeuf, lourd et rugueux. Nulle rature, larges marges. Son article pour le quotidien du soir : «presque un parchemin et déjà page de livre», se rappelle l’ancienne responsable du service culture. Le jour où elle avait confié à Cournot la charge d’écrire sur le théâtre, il lui avait dit : «Je te préparerai des petits pains, tu n’auras plus qu’à les mettre au four.»

Des «petits pains» consacrés à l’art dit dramatique, Michel Cournot en aura concocté des centaines, des milliers, au fil des semaines, des décennies avec étés en Avignon. Encore en septembre dernier, il prenait le métro, comme toujours, pour aller voir une pièce. «Le théâtre, ces paroles que l’on s’envoie, se renvoie, c’est en même temps tout et rien, disait-il. C’est le petit fil blanc de l’électrocardiogramme.» Claudel ayant résumé : «Le théâtre, c’est ce qui arrive», Cournot en déduisait que «dans la vie rien ne se passe». Il n’en pensait pas un mot. Sa vie à lui a été bien remplie.

Or voilà. Commencée le 1er mai 1922 à Paris, la vie de Michel Cournot s’est arrêté jeudi ; après quatre mois de souffrance ; et avec, tout près, la douceur de sa compagne, l’actrice Martine Pascal. Jamais on ne voulait croire qu’imperceptiblement cet homme juvénile d’apparence, ce sismographe, était devenu octogénaire. S’amusant à répéter que le «grand reportage mène à tout à condition d’y rester», Cournot avait fini par accepter en 2003 que soient publiées en recueil ses chroniques du temps où, à France Observateur au début des années 60, il réinventa la critique cinématographique, au point d’enthousiasmer Louis Aragon, fou des mots de Cournot louant Godard, son «Pierrot le fou» : «II faisait dévier les habitudes de lecture ; pratiquait le collage en maître, moujik royal et fils du Sud-Ouest. Digression. Fiction. Diction. Des thèmes secondaires amorcent, développent, divaguent.» C’est Baby, encore elle, qui a su décrire l’apesanteur où, si souvent, s’est située l’écriture du poète Cournot, maître des illusions joueuses, avec ses phrases de phénoménologue pétri de Husserl, ses images de ravisseur de songes plongeant à la façon d’un Jean Genet vers des sources barbares, puis soudain revenant, consciencieux, à ses devoirs de lettré, près de Paul Valéry qui le parraina. «…mer, mort, amer, amour, cinéma tu sers à quoi, pourriture, Pierrot qui s’est peint en bleu, cinéma tout à tes couleurs tu vas le laisser se faire sauter la caisse, les femmes et les hommes ressentent un calme blanc, matinal, quand ils sont sur le point de mourir par eux-mêmes, l’écran ralentit. S’agrandit. Blanchit. Un bruit noir. Le soleil entre dans la toile. C’est la mort.»

Michel Cournot est mort, mais chacun sait et saura qu’il reste aussi l’auteur des Gauloises bleues, son film unique, simple et loufoque comme un paysage rose qu’habitaient de grands acteurs, vu par très peu de gens car sorti un mois de mai 1968 où le Festival de Cannes ferma, produit par Claude Lelouch.

Avant tout cela, il y avait eu bien d’autres vies de Michel Cournot. Celle de l’artiste en jeune homme de famille nombreuse, celle de l’éphémère gratte-papier dans un ministère qui, à la Libération, rencontre par hasard le patron de France Soir, Pierre Lazareff. Ils deviennent immédiatement amis. Il a 23 ans : début des reportages, autant de voyages. Michel Cournot publiait en 1949 un livre, Martinique, poème. En 1957, le Premier spectateur, où il suit le tournage des Espions de Clouzot. Ensuite, un passage à l’Express au moment de la guerre d’Algérie ; plus tard, quelques années, il devint un éditeur inspiré au Mercure de France (son attention aux autres écrivains était inouïe). Toujours, tout du long, il pratiqua le journalisme, «activité particulière de l’écriture» à laquelle il croyait. Et par quoi tout recommence.

LE MONDE du 10/02/2007

Michel Cournot, critique et écrivain, par Brigitte Salino

Michel Cournot avait dit : « J’entre à l’hôpital, et après, je pourrai aller en maison de repos. » Ce fut son ultime élégance. Il faisait ainsi savoir que c’en était fini. Il est mort, jeudi 8 février à Paris, usé par le cancer, qui, depuis de longs mois, l’affaiblissait inexorablement. Il était âgé de 84 ans. Ce n’est pas seulement un grand journaliste et un critique incomparable qui part. C’est un écrivain et un ami du journal, où, en ce jour d’infinie tristesse, on n’arrive pas à imaginer qu’il faut continuer sans lui.

Michel Cournot était né à Paris, le 1er mai 1922, dans le 17e arrondissement, en face du Luna Park qui existait alors, et il avait grandi au flanc de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, entouré de huit frères et soeurs. Il n’aimait pas se souvenir de son enfance, marquée par un père polytechnicien très dur et par une mère lointaine, comme on pouvait l’être alors dans les familles bourgeoises. Mais il aimait se rappeler que cette mère aimée l’emmenait au théâtre.

Quand les Allemands entrent dans Paris, en juin 1940, Michel a 18 ans. En novembre, il participe à la manifestation spontanée d’étudiants qui défilent sur les Champs-Elysées pour soutenir de Gaulle. Arrêté, il passe plusieurs semaines en prison, où, chaque matin, on le met en joue. De cela, il parlait peu. Comme de sa vie, d’ailleurs. Sa pudeur lui faisait préférer écouter celle des autres. On sait que, après des études de lettres, il a été professeur de latin-grec à l’Ecole alsacienne, en 1943-1944. Puis il a travaillé au ministère de l’agriculture, comme « rédacteur d’ordonnances », et à la Compagnie générale transatlantique. Là, il était chargé d’imaginer des activités pour que les équipages ne dépriment pas sur les cargos au long cours.

A la Libération, Michel a 23 ans. Il ne sait pas ce qu’il va faire. Il ne veut pas d’un métier où il ait à écrire, parce qu’il aime trop la littérature. Le hasard décide pour lui. Un jour où il est « dans une mouise incroyable », comme il le disait, il rencontre dans la rue un ami d’enfance, qui connaît Pierre Lazareff, le patron de France Soir. Michel rencontre Lazareff, avec qui il s’entend merveilleusement. A partir de ce moment, il devient journaliste, d’abord à France Soir, puis au Nouvel Observateur et au Monde, où il est entré en 1963 pour ne jamais en partir.

Outre les innombrables feuilles de journaux, il reste deux livres qui témoignent d’un Cournot méconnu : celui qui fut reporter avant d’être critique de littérature, de cinéma et de théâtre. L’un, Le Premier Spectateur, est consacré au tournage des Espions, le film d’Henri-Georges Clouzot, que Michel a suivi de janvier à avril 1957. C’est une mine sur la fabrication d’un film, l’art et la névrose. L’autre, Enfants de la justice, a été publié en 1959 dans la collection « L’air du temps », chez Gallimard. Il est consacré aux tout jeunes délinquants. Hors reportages, il y a Martinique (Gallimard, 1949, dans la collection « Métamorphoses »), beau comme un long poème sur l’île tant aimée.

Il faudra attendre presque quarante ans pour que d’autres livres paraissent, où Michel est l’écrivain qu’il refusait de voir en lui : Histoire de vivre (Maeght, 1994), Au cinéma (coll. « Melville », éd. Léo Scheer, 2003).

Et puis il y a ce film, Les Gauloises bleues, qu’il avait tellement aimé réaliser, au tournant de 1968, et que l’on a tant aimé voir. « J’étais à mon affaire quand je l’ai fait, disait Michel. Je voulais tourner un deuxième film, dans lequel j’aurais voulu montrer, à travers une femme, comment on est aliéné, au jour le jour, par de toutes petites choses. Je le sentais, ce film, je l’entendais, c’est une question de voix. Mais je n’ai pas trouvé l’argent. »

Après Les Gauloises bleues, Michel n’a pas repris la chronique cinéma qu’il tenait au Nouvel Observateur, avec l’insolence d’une liberté qui a nourri des générations de lecteurs.

Dans ses chroniques du Monde, Michel a parcouru plus de quarante ans de théâtre. Il disait qu’on devrait attendre d’être vieux, d’avoir beaucoup vécu, avant de devenir critique dramatique, et il avait sans doute raison. Pour lui, le théâtre était avant tout la représentation d’un lecteur du temps. Quelque chose d’on ne peut plus intime, vital dans le va-et-vient entre le livre et la scène, l’écrit et le corps, l’imagination et l’incarnation. C’est ce qui rendait ses critiques inégalées : personne n’a su comme lui parler de l’art du théâtre.

Bien sûr, il faudrait dire son amour pour la scène de la Russie, où il avait vécu, et pour les comédiens dont il ne s’est jamais lassé de restituer le mystère. Il faudrait suivre les lignes de crête et de fuite de ses chroniques, qui resteront entre celles de Colette, pour la beauté du style, et celles de Paul Léautaud, pour les divagations magnifiques qu’il s’offrait. Michel pouvait consacrer un article entier à décrire sa chambre, la cicatrice d’un comédien ou les feuillages hurlant sous le mistral, à Avignon. La pièce à critiquer était oubliée, mais il y avait mieux : la vie, sans quoi le théâtre n’est rien.

Mais laissons sécher l’encre : Michel est encore là, tout près, dans le quotidien du journal, avec ses sublimes 80 ans, ses pantalons blancs, sa beauté de vieil arbre fragile et ses sourires jamais loin de l’ironie. S’il ne devait rester qu’un souvenir de lui, ce serait celui-ci, radieux.

Cela se passait en juin 2003, à Alloue, en Charente limousine, dans la maison de Maria Casarès devenue la Maison des comédiens. Michel était venu avec la comédienne Martine Pascal, l’amour de sa vie depuis plus de trente ans, qui donnait une lecture dans le vaste parc enserré comme un bout d’éternité aux méandres de la Charente. Après, dans la nuit chaude, il y eut un dîner sous les arbres immenses parcourus de lampions. C’était simple et gai comme peuvent l’être les rendez-vous imprévus où la vie se mêle au théâtre. Michel parlait de René Char, de Jean Vilar et de Gérard Philipe. Il riait de la bonne humeur de Martine. Puis il a disparu dans la nuit avec elle. A son bras, il y avait un petit pansement blanc.

Michel n’est plus là, et cela fait mal. Il y a quelques années, après la mort d’un de ses frères, il s’insurgeait contre « cette idiotie du travail de deuil dont on nous rebat les oreilles ». On l’entend encore dire, au cours de ces conversations au téléphone qui faisaient se lever le jour : « Les morts sont morts et ils nous manquent. » Nous en sommes là. N’est-ce pas, Michel ? Cher Michel.