« Zone libre » est le premier long-métrage de cinéma du comédien Christophe Malavoy, après avoir réalisé deux téléfilms « La ville dont le prince est un enfant » d’après Henry de Montherlant  en 1997, et « Ceux qui aiment ne meurent jamais  » en 2004, adaptation de son récit, hommage à son grand-père mort dans les tranchées lors de la première guerre mondiale. Il a choisi d’adapter la pièce éponyme de Jean-Claude Grumberg, dont la finesse et la justesse nous touchent toujours. Mais loin d’être une simple captation, la mise en scène fait sentir le climat singulier de la guerre dans nous faire ressentir une reconstitution factice, en prenant soin de nous donner une empathie avec ses personnages malgré leurs défauts comme le personnage de Maury, qui n’agit pas par simple altruisme. Maury, c’est Jean-Paul Roussillon, qui après « Mischka » de Jean-François Stévenin et son excellente interprétation dans « Rois et reines », d’Arnaud Desplechin – il fallait le voir se débarrasser des fâcheux l’agressant dans son épicerie – retrouve un rôle à la mesure de son talent, qu’il avait déjà joué au théâtre en 1990 dans une mise en scène de Maurice Bénichou, et qui lui avait valu le « Molière » du meilleur second rôle. Il campe, un paysan bourru qui va recueillir une famille juive, en fuite lors de la seconde guerre mondiale, et qui ne semble pas trop s’entendre avec sa bru qui attend le retour de son mari – saluons Mathilde Seigner, qui se font avec le reste de la distribution, sans jouer le statut de vedette auquel elle pourrait prétendre -. Il y a Simon – forcément formidable Lionel Abelanski, dont j’avais déjà salué le grand talent ici, ayant du mal à maîtriser son inquiétude, mais se révélant courageux -, sa femme Léa –Olga Grumberg, propre fille de Jean-Claude Grumberg, tout en nuances -, la belle-sœur Mauricette, enceinte – Elisa Tovati, absolument charmante -, le neveu Henri dit Riri, un tantinet remuant, – Frédéric Papalia, faux airs d’Alain Cohen, dans « Le vieil homme et l’enfant » et la mère des deux femmes, Mme Schwartz, aïeule qui ne parle que yiddish. Dans le rôle de cette dernière, on retrouve l’étonnante Tsilla Chelton, dont le personnage tient à rester coquet malgré la diversité. Elle compose un personnage haut en couleur, tout en jouant une langue qu’elle ne connaissait pas.

Lionel Abelanski & Jean-Paul Roussillon

Le petit groupe a donc réussi à regagner un coin de la Charente dans la « Zone Libre », appellation ironique pour définir le sud de la France, non occupé par les Allemands, mais dirigée par le gouvernement de Vichy. Le petit groupe tente de subsister, réconforté par la présence de Maury. La promiscuité développe des tensions entre la petite famille, le manque de sommeil aidant. Mais ils tentent de garder le moral. Ils s’amusent parfois d’un rien comme le personnage de Lionel Abelanski, faisant un numéro irrésistible à la « Chaplin », ou comme dans la mémorable partie de domino entre Jean-Paul Roussillon et Tsilla Chelton, tout en gouaille, Mme Schwartz étant mauvaise joueuse. L’accusation de mise en scène « téléfilmique » de certains critiques me semble particulièrement injuste. S’il y a sans doute un manque de moyens, le film privilégie l’aspect intimiste de ce drame, comme dans cette cabane qui devient refuge alors qu’elle n’offre aucun confort. Le soin apporté aux détails que la petite famille a pour reprendre ses affaires nécessaires en cas de fuite, lors des visites de la milice ou gendarme, me semble très juste. Notons la présence d’un « Rondo Hatton », comédien de forte corpulence dont je n’ai pas retenu le nom en milicien français inquiétant. Les petits rôles sont aussi très justes, comme Philippe Fretun, incarnant Apfelbaum, tailleur qui survit en faisant de la couture. La nature parfois hostile et un hiver rigoureux sont rendu avec beaucoup de finesse. Il capte la lumière magnifique de la Charente, pour nous sensibiliser au fil des saisons avec cette campagne tranquille. Le texte de Jean-Claude Grumberg, avec son humour habituel, est admirable, il évite les poncifs de ce type d’œuvre, montrant aussi le chaos de cette époque, en nous faisant perdre de vue l’un des personnages, ce qui semble coller au réalisme le plus juste. Un film authentique, drôle et poignant et d’actualité avec les cérémonies rendant hommage aux « justes » français, qui convient de recommander vivement. Christophe Malavoy dont on connaît la justesse comme comédien, se révèle un véritable cinéaste.

Article sur le tournage de « Zone libre » : LE FIGARO

Fuyant l’Occupation, une famille juive est accueillie en Charente par des paysans. Une confrontation qui «donne lieu à des situations cocasses, décalées», explique Christophe Malavoy. (Photo Moune Jamet.)

CINEMA – Pour sa première réalisation, il a choisi une pièce de Jean-Claude Grumberg qui avait été créée au Théâtre de la Colline
Christophe Malavoy tourne en «Zone libre» Par Marie-Noëlle Tranchant 28/04/2005

Dans un coin de campagne du Sud-Ouest, du côté d’Angoulême, une famille juive se retrouve après s’être séparée pour franchir la ligne de démarcation. Il y a Simon (Lionel Abelanski) et sa femme Lea (Olga Grumberg), sa belle-mère, Mme Schwartz (Tsilla Chelton), sa belle-soeur enceinte (Elisa Tovati), un neveu de onze ans. Ils vont être accueillis par un vieux paysan (Jean-Paul Roussillon) et sa bru (Mathilde Seigner) et trouver refuge auprès d’eux jusqu’à la Libération.

Pour sa première mise en scène de cinéma, Christophe Malavoy porte à l’écran la pièce de Jean-Claude Grumberg Zone libre. Un sujet qui lui a été proposé à la suite de sa collaboration avec Arte pour La ville dont le prince est un enfant. Le voilà au temps de la Seconde Guerre mondiale, après avoir évoqué la première dans son roman Parmi tant d’autres.

«Ce n’était pas voulu, dit l’acteur-réalisateur. Mais les guerres ont un intérêt dramatique parce que ce sont des moments où les gens se révèlent. Une grande partie de ma famille a fait de la Résistance très tôt, certains ont été arrêtés et déportés, à Mauthausen, à Ravensbrück. Même si on n’en parlait pas, notre éducation a été façonnée par leurs personnalités. Ce film est une façon pour moi de leur rendre hommage.»

Malavoy, qui tient aux rôles secondaires (pour lesquels il a engagé des acteurs de la région), a étoffé la pièce de quelques personnages inédits, et le travail d’écriture s’est fait en toute complicité avec Grumberg, qui signe les dialogues, très proches de la pièce. «C’est un de nos meilleurs auteurs, dans la lignée de Pagnol, de Spaak, de Jeanson, dit Christophe Malavoy. La confrontation entre les arrivants citadins et le monde rural donne lieu à des situations cocasses, décalées, et en même temps ancrées dans la vie quotidienne. C’est une comédie au coeur du drame. Grumberg a un regard ironique et acerbe, et il est d’une drôlerie incroyable quand il peint cette famille juive, avec ses excès et ses défauts.» Imaginez la rencontre de Tsilla Chelton, qui ne parle que yiddish, avec Mathilde Seigner, paysanne de Charente. «Elle a cette franchise et cette beauté des filles de la campagne, toujours à l’ouvrage, immédiatement dévouées.»

Zone libre est presque un huis clos, si ce n’est qu’on y voit passer les saisons, qu’on y vit au rythme de la terre : Malavoy attend maintenant le mois de juin pour terminer son tournage avec les feuillages d’été qui accompagnent la Libération. «Tout le film baigne dans la nature, dit Christophe Malavoy, et c’est un bonheur pour moi de filmer son aspect immuable, malgré les événements, les tragédies. Je trouve qu’elle nous enseigne beaucoup de choses, à travers le cycle des saisons, les animaux, les valeurs simples de la terre.» Des choses qui lui sont familières : il a passé son enfance dans la région, du côté de Confolens.

«Je n’éprouve pas la nostalgie du passé, dit-il, mais un plaisir certain à me situer de nouveau dans ce monde rural. C’est plein de sensations que j’ai tenté de reproduire. Un film doit faire naître des sensations très physiques, comme si les images passaient sous l’épiderme.»

Mais, surtout, Zone libre, selon lui, parle «sans message et sans discours» de «ces gens obscurs qui ont simplement agi avec coeur en accueillant les autres. On a fait des films sur des résistants, ou des collaborateurs, mais on a peu vu à l’écran de personnages comme Maury, qui se comporte simplement selon le bon sens paysan, avec cette beauté d’âme austère, sans pathos. Il fait son travail d’homme, voilà tout. Pas besoin d’appartenir à un parti ou à une confession. Ils ont été nombreux à agir ainsi, et c’est une chose à ne pas oublier, parce qu’elle garde toute son actualité.»