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Natalie Perey, muse rollienne

Armel de Lorme nous propose son troisième hommage après ceux de Nicole Régnault et  Marie-France : Nathalie Perrey, que les amateurs de Jean Rollin connaissent bien, avec son érudition habituelle. Son indispensable ouvrage « http://www.aide-memoire.org/ » coucourt au prix du Syndicat du Livre de Cinéma. C’est aussi lui qui nous apprend sa mort dans une grande discrétion le 25 mars 2012. A lire son entretien chez Medusa.

NATALIE PERREY PAR ARMEL DE LORME.

Depuis bientôt quarante ans et presque autant de films, le parcours professionnel de Natalie Perrey se confond pour l’essentiel avec celui de Jean Rollin, dont elle est la complice de prédilection plus encore que l’égérie. Tantôt première assistante, tantôt script-girl, tantôt monteuse, tantôt costumière, et parfois les quatre à la fois (1), parfaite incarnation au final du concept d’éminence grise mais préférant de très loin l’expression – moins connotée – de « travailleuse de l’ombre », elle reste paradoxalement, devançant d’une courte tête Brigitte Lahaie, la comédienne que le « cinéaste bis » par excellence a le plus fréquemment utilisée face à la caméra. Les apparitions se suivent et ne se ressemblent pas, qui vont du plan quasi subliminal (Fascination, 1979) aux grands seconds (Les Deux Orphelines vampires, 1995) et troisièmes (La Nuit des Traquées, 1979) rôles, de la silhouette furtive (La Rose de fer, 1972) à la composition de tout premier plan (Lèvres de sang, dont elle est, bien plus que la « tête d’affiche » Annie Brilland, future Annie Belle, la véritable vedette, 1974). Lorsque pour les besoins du scénario, le port de la voilette ou de la cornette dissimule son visage, on peut toujours la reconnaître au seul son de sa voix, à la fois douce et légèrement voilée, évoquant par instants celle de Suzanne Flon. La pureté de ses traits, la grande sérénité qui émanent d’elle la vouent d’emblée aux personnages rassurants, tour à tour gardienne du temple (La Vampire nue, 1969) et religieuse dévouée (Les Deux Orphelines vampires). De temps à autre, en bonne actrice de composition qu’elle est, elle met les mêmes caractéristiques physiques et vocales au service de créatures nettement plus redoutables, interprétées avec la même économie de moyens. Le calme se fait alors trompeur, la voix, chant des Sirènes, le malaise peut s’installer : dès sa première apparition dans Lèvres de sang, on devine les zones d’ombre derrière l’apparente gentillesse qu’elle ne cesse pourtant de manifester tout au long du film. Enfin, jusqu’au moment où, après avoir fait interner (pour son bien) le grand fils adoré qu’elle a élevé toute seule (forcément), elle se met à exhumer les cadavres des cimetières, qu’elle fait ensuite brûler sur de grands bûchers. Sans se départir un instant de son doux sourire. De tels dons pour la composition peuvent sembler inattendus de la part d’une actrice dont l’activité s’est à ce jour quasiment limitée à la série B et qu’en définitive, la profession connaît et reconnaît davantage comme technicienne que comme comédienne. C’est oublier (mais peu le savent) qu’après s’être initialement destinée à la danse, elle a fait ses classes, il y a près d’un demi-siècle, chez Raymond Girard, et que seule la limite d’âge l’a empêchée – de même que son exact contemporain Guy Delorme – de suivre ses petits camarades de cours (Belmondo, Marielle, Rochefort, Michel Beaune, Pierre Vernier, Françoise Fabian et Annie Girardot) sur les bancs du Conservatoire. Faute d’avoir pu suivre la voie royale, elle n’a cessé, depuis, de travailler au coup de cœur, une rencontre en amenant une autre et l’amitié faisant le reste. C’est R.J. Chauffard, ex-créateur de Huis clos (dans le rôle du garçon d’étage) et anar authentique, qui lui a présenté Mocky, Rollin et Lapoujade – l’auteur et metteur en scène de ce Sourire vertical aujourd’hui invisible qui reste, de son propre aveu, son plus beau titre de gloire cinématographique (« J’ai adoré, j’adore toujours tourner avec Jean, je suis ravie de récupérer au débotté le personnage de la Nuit des Horloges initialement prévu pour Bernadette Lafont (2), mais si je ne devais garder qu’un rôle parmi les quelques-uns qu’il m’ait été donné d’interpréter, ce serait celui de Mère Jeanne des Anges du Sourire… et pas un autre »). C’est par Rollin, pourtant, qu’elle fait la connaissance, plus tard, de Michel Patient (« il a fait débuter ma fille à l’écran ») (3) et de Pierre Unia… L’amitié toujours, qu’elle pratique avec autant d’intensité que d’autres font l’amour. Des moments privilégiés sans cesse renouvelés (« après le Lapoujade, il y a eu ce film avec Jean-Louis Jorge, Mélodrame, une parodie seventies de l’âge d’or hollywoodien, Maud Molyneux qui ne voulait que moi pour lui épiler les sourcils, la fête de fin de tournage dans l’atelier de mon compagnon d’alors, Jean-Noël Delamarre, et les « filles » du film, transgenre dans la plupart des cas et ravies d’être traitées en femmes à part entière… pour une fois – je te parle de ce qui était encore la France de Giscard… »). Prise en flagrant délit de passéisme, Natalie Perrey ? Voire… Dès que l’on creuse un peu, le film le plus important est toujours celui en cours (« Nous reprenons le Rollin fin novembre, le plan de travail est réduit de moitié, mais au moins, ça va se faire »), le projet le plus excitant encore à venir (« l’Afrique du Nord en décembre/janvier, une coproduction franco-marocaine sur la mort de Pasolini vécue du point de vue d’un de ses amants maghrébins qui a passé des années à attendre son retour, l’histoire est superbe »).  Si l’on se prend à regretter in fine que Doillon ne l’ait employée que le temps d’un court métrage (On ne se dit pas tout entre époux, 1970), que Mocky ne l’ait jamais utilisée autrement que comme script, que Lapoujade, après lui avoir confié son rôle de cinéma le plus important à ce jour, ait disparu avant d’avoir pu la refaire travailler, si on se plaît volontiers à imaginer le parti qu’auraient pu tirer de sa sensibilité, de son sens aigu de la nuance, de sa voix de fumeuse –plus troublante encore que celle de Jeanne Moreau – et de l’imperceptible poésie émanant de toute sa personne un Biette, un Guy Gilles, un Demy, il y a toujours un moment où l’on réalise qu’il n’est rien de plus vain que les regrets de cinéphiles. De regrets, Natalie Perrey n’en a pas : comme les sages du temps jadis, il a bien longtemps qu’elle a compris que seuls comptent l’instant présent et le futur proche. La fille de militaire de carrière qui transportait, à treize ans, des messages de la Résistance dans les anglaises de sa poupée… et dans les siennes (« c’était formidable, j’en paraissais dix, je pouvais faire passer tout et n’importe quoi au nez à la barbe des Allemands »), l’adolescente de province qui faisait la « quatrième au bridge » lors des visites hebdomadaires du général de Gaulle à ses parents, la passionaria des mythiques (et antigaullistes s’il en fût) États Généraux du Cinéma de 1968, la monteuse fidèle et acharnée qui travaillait de nuit à la mise en forme des premiers essais cinématographiques de F.J. Ossang (« Mon seul vrai bon élève durant l’année où j’ai enseigné le montage à l’IDHEC. Il faut absolument que quelqu’un se décide à ressortir des placards l’Affaire des Divisions Morituri et le Trésor des îles Chiennes, tu sais, c’est tellement rare, la véritable subversion au cinéma… ») ont fait place à une jeune vieille dame de 77 ans, aussi à l’aise dans ses cheveux gris que dans ses rides (« On s’en fout des marques de l’âge, moi, ma crème, ce sont mes familles de cœur et de travail, mes cinq enfants et mes neuf petits-enfants, les virées nocturnes dans Paris, à pied de préférence, les coups de rouge entre copains et les brunes sans filtre »). N’en déplaise aux bien-pensants de tout poil, c’est peut-être derrière ce credo a priori très politiquement incorrect (« aimer, boire, fumer… et, surtout, bosser tant qu’on est en état de pouvoir le faire ») que réside, in fine, le secret de son éternelle jeunesse… ADL

1.        Elle est alors souvent créditée sous le nom de Nathalie Perrey.

2.        Commencé en août/septembre 2004, La Nuit des Horloges se veut le testament cinématographique (rien n’empêchant de fait l’ajout de codicilles tardifs) de Jean Rollin , l’affiche mêlant habilement comédiens fétiches du cinéaste (Natalie Perrey, Jean-Loup Philippe), « revenants » (le cinéaste expérimental Maurice Lemaître, absent des écrans depuis La Vampire nue en 1969) et nouvelles venues (Ovidie, marilynmansonienne)… ou presque (Sabine Lenoël, beauté diaphane déjà repérée dans La Fiancée de Dracula et actrice impérativement à suivre).

3.        Natalie Perrey est la mère de la comédienne de théâtre (et de caractère) Cyrille Gaudin, révélée à la toute fin des années 80 lors de reprises sur les planches de deux pièces de Jean Cocteau respectivement mises en scène par Jean Marais (Bacchus, Théâtre des Bouffes-Parisiens) et Nicolas Briançon (Les Chevaliers de la Table Ronde, en tournée). Ayant depuis poursuivi ses activités scéniques sous la direction de Claude Régy (Le Criminel, Chutes) et Jean-Paul Lucet (Le Pain dur, Le Roi Pêcheur), elle s’est est en outre illustrée dans une poignée de longs métrages (Jeans Tonic, Michel Patient, 1983 ; La Fracture du myocarde, Jacques Fansten, 1990), avant d’interpréter, sous le nom de Cyrille Isté, le rôle-titre de La Fiancée de Dracula (Jean Rollin, 1999).

Photo © Jean-François Caudière

FILMOGRAPHIE (COMÉDIENNE SEULEMENT) : 1969 : La Débauche ou les Amours buissonnières (Jean-François Davy). La Vampire nue (Jean Rollin). 1970 : On ne se dit pas tout entre époux (Jacques Doillon, CM). 1971 : Le Seuil du vide (Jean-François Davy). Le Sourire vertical (Robert Lapoujade). 1972 : La Rose de fer (Jean Rollin). 1974 : Lèvres de sang (Jean Rollin). 1976 : Le Fou de mai (Philippe Defrance). 1979 : Fascination (Jean Rollin). La Nuit des Traquées (Jean Rollin). Le Piège à cons (Jean-Pierre Mocky). 1980 : Les Échappées/Fugues mineures/Les Paumées du petit matin (Jean Rollin). 1981 : Agathe et Martha (Reine Pirau/Pierre Unia). 1983 : Baby Cat (Pierre Unia). Jeans Tonic (Michel Patient). 1989 : Perdues dans New York/Lost in New York (Jean Rollin). 1995 : Les Deux Orphelines vampires (Jean Rollin). 1999 : La Fiancée de Dracula (Jean Rollin). 2003  : Retrouvailles (Reza Serkanian, CM). 2004 : Quelque Chose de mal (Namir Abdel Messeeh, CM). 2006 : La Nuit des Horloges (Jean Rollin).

DIVERS :  1970: Le Frisson du vampire (Jean Rollin, assistante de production). 1971: Requiem pour un vampire/Vierges et Vampires (Jean Rollin, scripte). Le Seuil du vide (Jean-François Davy, script et costumes). 1973: Q (Le Gros Lot) (Jean-François Davy, supervision du script). 1974 : Bacchanales sexuelles/Tout le monde il en a deux (Michael Gentle/Jean Rollin, scénariste). 1975: Candice Candy (Renaud Pieri/pierre Unia, script). 1976: Jouissances (Frédérid Lansac/Claude Mulot, supervision du script). Le Roi des bricoleurs (Jean-Pierre Mocky, assistante réal., script, montage). 1979: Le Piège à cons (Jean-Pierre Mocky, script). 1980: Les Echappées/Fugues mineures/Les Paumées du petit matin (Jean Rollin, script). 1981 : Agathe et Martha (Reine Pirau/ Pierre Unia, supervision du script). 1983: Baby Cat (Pierre Unia, script). 1985 : L’Affaire des Divisions Morituri (François- Jacques Ossang, supervision du montage). 1989 : Le Trésor des îles Chiennes (François-Jacques Ossang, montage). 1991: Hammam (Florence Miailhe, montage). La Plage des enfants perdus (Jillali Ferhati, montage). 1992: Coyote (Richard Ciupka, montage). Jonathan (François-Xavier Lecauchois, montage). 1995: Schéhérazade (Florence Miailhe, CM d’animation, montage). 1998: Adieu forain/Bye-bye Souirty (Daoud Aoulad-Syad, montage). 1999: Banco (Patrick Bossard, CM). La Fiancée de Dracula (Jean Rollin, script et costumes). 2000: Au premier dimanche d’août (Florence Miailhe, CM d’animation, montage). Ma sexualité de A à X (Brigitte Lahaie, supervision du script). 2001: Le Miroir du fou (Narjiss Najjar, montage et supervision du script). Le Septième Ciel (Narjiss Najjar, CM, montage et supervision du script). 2003: Julie Meyer (Anne Huet, CM, supervision du script). 2006: La Nuit des Horloges (Jean Rollin, script, costumes + supervision du tournage).

LE GRAND APPARTEMENT

Que 2007 soit pour vous une source de multiples réussites professionnelles et privées ! C’est le moment où jamais de souhaiter que  cette nouvelle année comble et apporte tout ce qu’un cœur vaillant peut souhaiter –  si on survit bien sûr aux prochaines élections présidentielles… -. Foin de platitudes et d’usages usés pour saluer l’excellent Pascal Thomas venu présenter le 19 décembre dernier son avant-dernier film en avant-première – il vient de terminer « L’heure zéro », nouvelle adaptation de l’œuvre d’Agathe Christie, après « Mon petit doigt m’a dit », avec Danielle Darrieux et François Morel -. Venu avec des amis, dont la comédienne Evelyne Bouix, il nous a communiqué sa bonne humeur habituelle – c’est la troisième fois que je le vois -. « Le grand appartement » était un projet qu’il avait dû abandonner suite à la désaffection de dernière minute de TF1, qui n’avait pas apprécié les changements dans le scénario initial. Il a enchaîné avec « Mon petit doigt… », avant de le reprendre, en ayant l’idée de féminiser le rôle principal – il devait être tenu par Vincent Lindon, puis Jean Dujardin -. Le ton du film est assez désinvolte, de même la forme moins maîtrisée que d’habitude – on peut s’amuser à compter le nombre de passage des perches de la prise de son -, mais l’enthousiasme du réalisateur est toujours présent, grâce à son inimitable style libertin-libertaire. Un couple bohème, Francesca et Martin Cigalone – se trouvèrent fort dépourvus, quand la bise fut venue ? -, bénéficie de la fameuse loi de 1948, loi sociable, due à la crise du logement suite à la seconde guerre mondiale, « obligeant les autorités à prendre des mesures contre la flambée des loyers en les fixant par décret .. . » (source « Le site immobilier »). Le couple bénéficie donc d’un immense appartement à un prix dérisoire. Mais la propriétaire vacharde – Noémie Lvovsky qui retrouve un personnage outré comme dans « L’école pour tous », flanquée de son gérant – Maurice Risch, irrésistible dans son retour du « grogneau » dans « Mercredi, folle journée ! », veulent récupérer ce lieu loué depuis des décennies à la grand-mère de Francesca qui en prime n’y habite plus – La toujours alerte Gisèle Casadesus -.

Mathieu Amalric, Laetitia Casta à Pierre Arditi

Dans ce vaste appartement – où a véritablement vécu le cinéaste et qui a été divisé en trois en réalité -, vit toute une communauté d’amis de la famille, dont Adrien cinéaste « rozien » volage. Ce dernier est joué par Pierre Arditi, un peu en roue libre mais ce n’est pas désagréable, son réalisateur a insisté sur sa rencontre avec ce comédien enthousiaste.  8 clefs différentes valsent dans ce lui hors du temps dans un climat proche du Renoir du « Crime de M. Lange ». Francesca – Laetita Casta dont le charme au naturel fait des merveilles – est l’âme du lieu, elle doit batailler avec tous les problèmes entre l’inaction revendiquée de son mari Mathieu – Mathieu Amalric, ludion cinéphile qui se laisse vivre -, et les facéties familiales de la grand-mère sénile. Si les coutures sont parfois un peu lâches, le brio des dialogues fait mouche dans ce côté « Joyeux bordel » cher à Pierre Bourdieu. Le cocasse est toujours présent de l’érotisme rêvé chez les commerçantes du quartier, une nostalgie d’une innocence perdue face aux rudesses de ce monde – idée de la « bancarisation » pas si bête, évoquée par Francesca face à  l’excellent Jean-François Balmer en banquier perplexe -. Les professionnels et non professionnels sont toujours comme dans l’œuvre de Pascal Thomas, mis sur le pied d’égalité. Il a toujours le chic pour confirmer de nouveaux talents comme Paul Minthe en acteur cabotin inemployé, Stéphanie Pasterkamp en brunette piquante et Valérie Decobert en sœur neurasthénique, des incongruités d’emplois – Pierre Lescure en bistrot auvergnat mutique, et quelques amis de passages – Cheik Doukouré en ami de la famille, Bernard Verley en avocat visqueux, François Morel en automobiliste outragé. Cet éloge à la liberté, aux groupes composites et solidaires, cette utopie rêvée de réinventer son monde a un charme fou. Même si ce film ne participe pas aux grandes réussites de son metteur en scène, on a toujours un grand plaisir à le retrouver dans ce vaudeville dynamité.