C’était le début 1994, je croise le chemin de Richard Bohringer, venu accompagner le cinéaste Charles Matton et le chef opérateur Jean-Jacques Flori, venus présenter l’avant-première de « La lumière des étoiles mortes » au cinéma L’Arlequin à Paris. La semaine suivante, était présenté « L’Italien des roses », grand premier rôle du flamboyant Richard, signé Matton également, l’occasion de retrouver sa grande flamme dès le début de sa carrière. L’homme est très plaisant, accessible, il est sorti un petit peu avant, peu très sensible au débat d’après film. Je me retrouve à discuter avec lui, ainsi qu’une autre personne. Il nous parle de la mort tragique du cinéaste Maroun Bagdadi, et de l’impossibilité pour lui de lui rendre hommage, dans l’indifférence des médias. Tout naturellement, il parle de son projet de film adapté de son beau roman « C’est beau une ville la nuit », et des divers refus des réseaux de production. Il cite l’institution de « L’avance sur recettes » qui le boude, « Je suis ennemi des intelligents ! », déclarait t’il. A voir sa ferveur, je me mettais à avoir des images du film dans ma tête, et quand on croise un homme comme ce grand comédien, il reste une trace indélébile devant sa passion. Près de 13 ans plus tard, c’est l’avant-première de ce film enfin, à l’UGC Cité-Ciné Bordeaux, organisé en sa présence, que je découvre enfin ce film. Et ça valait le coup d’attendre toutes ces années pour retrouver son énergie, fort de son expérience de réalisateur à la télévision, avec « Les coquelicots sont revenus » et « Poil de carotte ». Dès les premiers plans, la tendresse est au rendez-vous, avec le petit monde du  » bar de la dernière chance », où chacun refait le monde. Il était conscient de devoir ne pas rater cette scène. C’est le quartier général des amoureux de la nuit, et le point de ralliement des amis. La scène a son dynamisme, tout ce petit monde est embarqué dans la folie ambiante.  Avec le budget d’un téléfilm, et l’absence des régions au financement, Bohringer a réussi enfin à faire son adaptation en trouvant de belles fulgurances, co-écrites avec Gabor Rassov. Il nous montre sa chaleur sur les hommes, et sur ses compagnons de routes, au dénominateur commun d’avoir une âme blessée. Il sublime, la poésie des zincs, la rumeur des villes, il a tourné en France, au Canada et au Sénégal – Il a, on le sait, adopté la double nationalité franco-sénégalaise -. Conciliant 50% d’écritures, et 50% de spontanéité, il nous dresse le portrait de Richard, homme blessé, mais à l’enthousiasme intact. Autour de lui, gravitent ses compagnons de beuveries. Chanteur, il suit ses tournées musicales autour de la France, peu aidé par un manager excentrique – belle folie de Jacques Spiesser -, avec ses fidèles musiciens. Il se sert de ses souvenirs et de ses écrits, pour les récréer, en tirer des essences de vie. Il nous racontait avoir débuté d’ailleurs, en première partie de Vince Taylor, sous le nom, trouvé par ce fameux manager… de Richard Blues ! Le personnage hilarant du cycliste sous amphétamines – joué par Nicolas Tronc -, est aussi un personnage réel.

Richard Bohringer

Il y a beaucoup d’humour, du musicien amoureux trahi qui ne cesse de vouloir se supprimer, aux concerts parfois miteux dans quelques campagnes, tel la répétition organisées dans un local, royaume des poules. L’écriture tourmentée de Richard Bohringer trouve ici un écrin dans ce film. Sa manière de filmer les lumières des cités et de ses murmures lointains, son ode amoureux au Sénégal, aux paumés du petit matin chers à Jacques Brel, nous électrise tant son humanité éclate. Il parle de ses dérives, de sa jeunesse meurtrie broyée par le démon de la drogue, mais émaillée de rencontres spectaculaires, comme une prostituée, junkie un musicien noir, un policier désabusé mais humain – Daniel Duval d’une grande justesse – ou l’amour de sa grand-mère – Annie Cordy dont il a salué l’énergie et sa vitalité dans ses improbables tenues de scènes -. Sa fille est aussi présente – lumineuse Romane Bohringer -, présente à ses côtés quand l’alcool lui fait tutoyer les anges, et qui nous donne sa vision du métier d’actrice. Robinson Stévenin personnifie très bien le Paulo, avec sa machine à écrirede la marque « Underwood », une véritable antiquité qui ne serait pas indigne d’un Chester Himes. Les périodes, les livres, les films se télescopent pour cette machine à vivre, si bien personnalisée par ce comédien. Il y a aussi une belle idée d’utiliser quelques mal-aimés du cinéma français, souvent réputés ingérables, suivant quelques échos nous parvenant du petit monde du cinéma français. Le réalisateur dénote n’avoir eu aucun problèmes avec eux, il les utilise avec chaleur, citons Farid Chopel en berbère aveugle, Luc Thuillier en cafetier enthousiaste ou Rémi Martin en ami perdu de vue. François Négret incarne parfaitement Bohringer jeune, apportant avec lui ses propres blessures. Il est ici très touchant, curieux parcours pour ce comédien prometteur, qui se retrouvait, il y a peu, simple figurant dans une scène d’ascenseur dans « Caché » de Michael Haneke. On retrouve aussi Annie Girardot, dans une brève apparition – on la préfère ainsi qu’aux mains de sinistres charognards style « Paris Match » -, Sonia Rolland dans un rôle inattendu, ou une Gabrielle Lazure amusée. On retrouve ici l’univers de « La blonde » et de « Paulo » cher à Bohringer. Il trouve dans une économie de moyens, aidé au financement par l’ex-rugbyman Denis Charvet, présent également avec ses deux musiciens. Le réalisateur tient à défendre son film – il venait de faire le jour même une interview pour RTL -. Il fallait le voir parler des techniciens, avec lesquels ce n’était pas « Une lune de miel », et mimer celui qui désigne sa montre lors de la pause déjeuner. « Mais les poètes n’ont jamais faim ! » -. L’enthousiasme du comédien, inentamé dans ce voyage initiatique, renouait ce soir là avec son public. Si vous aimez cet acteur, nous ne pouvez qu’aimer son film…