Skip to main content

QUATRE ÉTOILES

Je lambine, je lambine… Vu en avant-première il y a un mois environ à l’UGC-Cité ciné Bordeaux « Quatre étoiles », en présence de son réalisateur Christian Vincent, José Garcia et Isabelle Carré. Christian Vincent est un habile metteur en scène, toujours soucieux de retrouver un contexte social, son dernier film sur les familles recomposées « Les enfants » a même lancé une mode sur ce sujet. On l’associe souvent au Nord ou à l’intime, on ne peut que louer sa manière de faire un film contre le précédent. Une vieille dame à l’agonie – Renée Le Calm épatante – peste contre tout le monde à la lecture de son testament devant son notaire. C’est France dite Franssou – Isabelle Carré, rousse en hommage à Shirley MacLaine, absolument radieuse – qui va hériter de 50 000 euros. Elle décide de les dilapider sur la « Côte d’Azur », trouvant que la somme n’est pas suffisamment importante. Elle quitte donc son ami Marc, un peu lourdaud – Michel Vuillermoz, un comédien que l’on a toujours plaisir à retrouver, excellent en raconteur de blagues stupides -. Franssou tombe sur un aigrefin aux abois, nomme Stéphane La Chesnaye – hommage à « La règle du jeu » -. Il est prêt à tout pour acquitter une dette de jeu – saluons Luis Rego en messager circonspect -, sans faire trop de vague, la « Côte d’Azur » étant un peu trop petite comme terrain de chasse. Franssou, qui se révèle une charmante roublardise, s’amuse avec lui, c’est un escroc hâbleur, séduisant et convaincant, le genre avec lequel vous êtes « cuits » s’il pose la main sur vous – Costa-Gavras comparait José Garcia à Jack Lemmon dans le « Couperet » avec lequel il a travaillé, on peut en faire de même avec celui des comédies de Billy Wilder, son rythme dans la comédie est fascinant. Ils ont un rapport chien et chat, et elle rencontre sa prochaine victime à l’escroquerie un ex-pilote de courses. Christian Vincent en tournant au « Carlton » lieu qui réveille bien des souvenirs cinéphiliques – impossible de ne pas penser à « La main au collet » d’Hitchcock. On n’est pas loin de la « screwball comedy », l’ami Pierrot/Orloff cite d’ailleurs dans sa critique et avec justesse le formidable « Haute Pègre » de Lubitsch – référence assumée par Vincent -, notamment. Le scénario est vivant, intelligent, très bien écrit par Olivier Dazat – l’étude sur les tics de langages, par exemple -.

Tout ici est soigné, de l’image, la musique et le mécanisme d’horlogerie d’un Jean-Paul Rappeneau – cinéaste que j’aime beaucoup -. Aux côtés de ce couple épatant, on retrouve un François Cluzet en grande forme, en champion de courses automobile esseulé et maladroit, cherchant des mots… qu’il ne connaît pas. Christian Vincent avait eu déjà un projet non abouti avec Cluzet, il lui donne l’occasion de montrer son grand registre – son personnage passe par plusieurs étables -. Il y est parfaitement réjouissant, il faut le voir évaluer la place où ranger ses rolls dans le garage que lui fait  visiter José Garcia, c’est un grand moment de burlesque, pour passer avec habileté du ridicule au touchant, il est définitivement un de nos plus grands comédiens. Le tandem Carré-Garcia fonctionne parfaitement dans un ton vachard, pas aimable, et ils font naître une tension érotique. Le reste de la distribution est formidable – outre ceux cités précédemment -, notamment Jean-Paul Bonnaire et sa scène de tourteau – je vais lui rendre hommage très bientôt -, Guilaine Londez et Mar Sodupe en bonnes copines, ou Philippe Manesse échappé du café de la gare assez inquiétant. Hautement appréciable en ces périodes de comédies formatées signées – Francis Veber, Lisa Azuelos -, voire fumistes – la liste est trop fastidieuse -. La soirée d’après film était excellente, de l’évocation de la rencontre José Garcia-Isabelle Carré – deux petits rôles dans un ascenseur dans « Romuald et Juliette » et de leurs retrouvailles dans « La mort du chinois », de l’évolution du jeu d’Isabelle Carré, par Christian Vincent, avec lequel elle avait travaillé sur « Beau fixe » – il la voyait comme la plus sérieuse du groupe, un vrai petit soldat. C’était un régal de les complimenter personnellement ensuite, Isabelle Carré charmante et réservée qui dit recevoir vos compliments comme des vitamines, José Garcia parlant formidablement de son travail, et la cinéphilie de Christian Vincent. Un régal. Tant mieux car en ce moment on risque l’overdose de comédies.

Fragments d’un dictionnaire amoureux : Mony Dalmès

DR

Annonce de la mort du discret Gérard Brach, qui disait écrire des histoires compliquées avec des idées simples. C’est l’un des créateurs les plus singuliers du cinéma français, son univers Annonce de la mort de la comédienne Mony Dalmès à l’âge de 91 ans, dont on se souvient surtout dans des captations télévisées de pièces de théâtre à l’instar de « Huit femmes » de Robert Thomas, vu en 1972 dans la série « Au théâtre ce soir » et disponible dans le DVD éponyme du film de François Ozon, son rôle étant repris par Catherine Deneuve. Elle débute au conservatoire dans la classe de Denis d’Inès, avant de jouter des pièces variées « Le soulier de satin », « La reine morte », « Antigone » et on lui doit la musique de « Molly Brown » sur les planches également selon « L’ABC du cinéma ». Au cinéma, elle n’a fait que très peu de films, mais Claude Chabrol l’a utilisé en vieille dame excentrique dans « Rien ne va plus » (1997). Elle poursuit avec assiduité, flanquée d’un horripilant petit chien,  Michel Serrault qui va déployer des trésors d’inventivité pour arriver à l’éviter. On l’a retrouve en baronne dans le remake des « Yeux sans visage » signé Jésus Franco dans « Les prédateurs de la nuit ». Retrouvez des précisions sur ses doublages dans le forum de la Gazette du doublage.

Armel de Lorme, initiateur et auteur principal de l’@ide-mémoire – Encyclopédie des Comédiens (www.aide-memoire.org), a tenu à nous apporter lesprécisions suivantes: 

Curieusement, c’est deux jours à peine avant la disparition de Mony Dalmès que Ginette Garcin a repris sur la scène des Bouffes-Parisiens « le Clan des Veuves », énorme succès boulevardier qu’elle a signée (sous le nom de Ginette Garcin-Beauvais) et créée à l’aube des années 90 entourée à l’époque de Jackie Sardou et de Mony Dalmès. Rappelons aussi que le bref passage de cette dernière au Français a coïncidé à peu près avec ses débuts de vedette de l’écran. Un temps distribuée dans les jeunes premières de convention, de « l’Inévitable Monsieur Dubois » à « La Figure de proue » en passant par « L’Homme de Londres » – où elle s’avère du reste quelque peu falote et pâlote (a l’image du film d’ailleurs), elle est beaucoup plus réjouissante dans les bourgeoises, petites ou grandes, racées, charmeuses et arrogantes qu’elle se voit proposer par intermittence aux approches de la cinquantaine. Maquerelle bon teint des « Bonnes Causes » tirant à petites bouffées sur un fume-cigarettes pour le moins téléscopique, baronne Vetsera chaperonnant entre deux révérences à la Hofburg ses grandes filles, Catherine Deneuve et Lyne Chardonnet (« Mayerling », Terence Young, 1967), elle tire encore son épingle du jeu, entre la fin des années 80 et celle des années 90, chez des metteurs en scène aussi disparates qu’Eric Le Hung et Jess Franco, Claude Chabrol et Med Hondo. Pour l’anecdote, on notera que l’un des rôles les plus hauts en couleur qu’elle ait interprété dans le cadre de « Au théâtre ce soir », celui de la mère un rien monstrueuse des « Huit femmes » de Robert Thomas, a été repris avec non moins de bonheur quelques 25 années plus tard par Catherine Deneuve – sa fille aînée dans « Mayerling » – sous la direction de François Ozon.   

Filmographie : 1936  Les demi-vierges (Pierre Caron) – 1942  L’inévitable Monsieur Dubois (Pierre Billon) – 1943  L’homme de Londres (Henri Decoin) – 1945  Dernier métro (Maurice de Canonge) – Secrets de jeunesse (Jacques Charon, CM) – 1947  La visiteuse (Albert Guyot) – La figure de proue (Christian Stengel) – 1950  L’enfant des neiges (Albert Guyot, CM) – 1962  Les bonnes causes (Christian-Jacque) – Love is a ball (Le grand-duc et l’héritière) ( David Swift) -1967  Mayerling (Terence Young) – 1987  Les prédateurs de la nuit (Jésus Franco) – 1988  À deux minutes près (Éric Le Hung) – 1996  Rien ne va plus (Claude Chabrol) – 1996/97  Watani, un monde sans mal (Med Hondo). Télévision (notamment) : 1964  Les joyeuses commères de Windsor (Roger [Lazare] Iglèsis) – 1965  La misère et la gloire (Henri Spade) – La main leste (René Lucot) – Seule à Paris (Robert Guez) – 1967  Allô police : Visites intéressées (Robert Guez) – Les aventures de Michel Vaillant (Charles Bretoneiche & Nicole Riche) – Jean de la Tour Miracle (Jean-Paul Carrère) – 1968  Lélio ou la vie de George Sand (Henri Spade) – Puce (Jacques Audoir) – 1969  Au théâtre ce soir : Le congrès de Clermont-Ferrand (Pierre Sabbagh) – 1970  Un crime de bon ton (Henri Spade) – Die Marquise von B. (Franz Peter Wirth) – 1972  Au théâtre ce soir : Huit et demi (Pierre Sabbagh) – Au théâtre ce soir : Je viendrai comme un voleur (Pierre Sabbagh) – Les enquêtes du commissaire Maigret : Maigret en meublé (Claude Boissol) – 1973  Au théâtre ce soir : Une fois par semaine (Georges Folgoas) – Les Mohicans de Paris (Gilles Grangier) – Au théâtre ce soir : Le bonheur des autres (Georges Folgoas) – 1974  À dossiers ouverts :  La malédiction de l’ogre (Claude Boissol) – Malaventure : Monsieur seul (Joseph Drimal) – 1976  Nick Verlaine ou comment voler la Tour Eiffel : Dans l’eau de la piscine (Claude Boissol) – 1977  Ne le dites pas avec des roses (Gilles Grangier) – 1978  Il y a encore des noisetiers (Jean-Paul Sassy) – Au théâtre ce soir : Le nouveau testament (Pierre Sabbagh) – Au théâtre ce soir : Le bon débarras (Pierre Sabbagh) – Joséphine ou la comédie des ambitions (Robert Mazoyer) – 1980  Mon père avait raison (Paul-Robin Benhaïoun, captation) –

LES AIGUILLES ROUGES

   Avant-première du film « Les aiguilles rouges » à l’UGC Cité-Ciné, en présence de son metteur en scène, Jean-François Davy, Jules Sitruk, Damien Jouillerot, Jonathan Demurger et Pierre Derenne. Le film vient de sortir ce mercredi. Il était intéressant de rencontrer son réalisateur après débat, enthousiaste,  qui a beaucoup de projets après son retour à la réalisation – son dernier film « traditionnel » est « Ca va faire mal » une comédie de 1982. Il  a un parcours atypique dans le cinéma français, répondant à des commandes plutôt que de rester sans projets. On luit doit un drame, son premier film « L’attentat » (1966)  sur un jeune homme fasciné sur les attentats de l’O.A.S. inédit, mais que l’on peut voir en DVD pour un prix dérisoire chez Cdiscount, une des rares réussites dans le fantastique français « Le seuil du vide » (1971), une comédie nonsensique écrite avec Jean-Claude Carrière « Chaussette-suprise » (1978) – avec déjà Rufus, Bernadette Lafont et Bernard Haller -et bien sûr des films érotiques, il vient de terminé un coffret DVD le 21/06/2006 riche en bonus, avec au programme des films : « Exhibition 1 et 2 », « Exhibition »,  « Plainte contre X »,  « Prostitution » + « Change pas de main » de Paul Vecchiali, « Exhibition » étant à la base un documentaire sur le tournage de ce dernier. Producteur avisé – les films de Jean-Daniel Pollet notamment, il était également responsable de l’admirable collection vidéo « Les films de ma vie ». Ce film-ci, tourné en 2005, aurait pût être son premier film, c’est un projet de longue date. Il retrace sa propre histoire – Le jeune comédien Jonathan Demurger – assez falot d’ailleurs – joue son rôle. Il se replonge dans les années 60, racontant un petit groupe de scouts égarés dans une montagne des Alpes – les images sont admirables – après avoir suivi un ordre imbécile du chef des scouts. « Les aiguilles rouges », sont celles qui servent à crever les ampoules de nos jeunes marcheurs.

Jean-François Davy

Le film par sa sincérité arrive à nous tenir en haleine sans ambages, recréant parfaitement des petites rivalités entre le groupe, une tension et une cruauté assez sourde. La guerre d’Algérie, est très présente en toile de fond, par les personnages des grands frères – celui du personnage de Damien Jouillerot -. Jean-François Davy a soudé le petite équipe par des répétitions, les jeunes comédiens sont très justes, mention spéciale à Damien Jouillerot – très à l’aise dans un nouveau registre celui de la colère – et Jules Sitruk – le rôle a été réécrit sur mesure pour coller à sa personnalité, subtil en lecteur assidu, un peu en retrait dans le groupe et craignant de devoir quitter son pays natal l’Algérie. L’évocation de la montage est habile, c’est lieu hostile et propre aux légendes – évocation des « dahus » -, on ressent bien l’hostilité de ces lieux si on part à l’aventure. Il y a quelques maladresses, inhérentes au fait que c’était un ancien projet, Jean-François Davy l’a produit lui même, et il devait s’imposer après presque 25 ans d’absence, un projet très personnel de longue date a parfois du mal à trouver son rythme lors de sa réalisation.  Le réalisateur a d’ailleurs retrouvé à Bordeaux, celle a qui il écrivait – les belles lettres finales sont de cette femme -, ce qui était un beau moment d’émotion. Le défilé d’acteurs confirmés – Richard Berry, Patrick Bouchitey…, seul Rufus a un rôle important en montagnard aguerri -, est plus une contribution à aider ce projets, mais il apporte peu finalement même si on a droit à la belle gouaille de Bernadette Lafont en infirmière revêche et un beau moment d’émotion de la part de Bernard Haller en grand-père de Jouillerot. Ce film d’initiation mérite que l’on s’y arrête, même s’il souffre de passer après plusieurs films sur ce sujet comme « Malabar princesse ». Jean-François Davy passionnant à écouter  – je me suis régalé à entendre son évocation du comédien Claude Melki – déborde désormais de projet, une comédie comme réalisateur – un quadragénaire voit sa compagne le quitter pour sa fille ! – et producteur « L’affaire Outeau » avec au commande Yves Boisset. Souhaitons lui bon vent !

ARTICLE : LIBÉRATION (mercredi 10 mai 2006)

Mes dates clés par Jean-François DAVY

« 1957. A 12 ans, en vue d’écrire un article de Jeunes années magazine, je me passionne pour la photographie. Techniques, chimie, tirages, je connais tout. Cela me conduit vers le cinéma, où je vois tout, sans aucun sens critique: péplums, films d’aventure, d’amour, westerns. Je rencontre Christine pour une grande amitié amoureuse épistolaire. Un baiser sur la joue dit la pureté de nos sensations érotiques. Sentiment de vivre les plus grands moments de bonheur de ma vie.

1959. En voyant les Quatre Cents Coups, premier flirt au cinéma, premier baiser sur la bouche. Je décide d’être réalisateur de films.

1960. Avec ma patrouille de scouts, nous nous perdons plusieurs jours dans le Brévent, au-dessus de Chamonix. Angoisse, danger, cela a failli très mal tourner. C’est le sujet des Aiguilles rouges, et l’occasion d’acquérir un sens des responsabilités: savoir ne pas dire oui systématiquement. En revenant, avec mes copains scouts, je tourne mon premier film en 8 mm, un polar inspiré par Maigret et Tintin, Vernay et l’affaire Vanderghen.

1966. Premier long métrage, l’Attentat. J’en épouse la comédienne principale, Dominique Erlanger.

1972. Le film de vampires que je devais tourner tombe à l’eau. Avec la même équipe d’acteurs et de techniciens, je tourne quinze jours plus tard Bananes mécaniques, une comédie paillarde, croisant deux genres à la mode: l’érotisme et les films des Charlots. Un million d’entrées. Score qu’égaleront les deux suites que je réalise: Prenez la queue comme tout le monde et Q.

1975. Exhibition, tourné en parallèle au film de Paul Vecchiali, Change pas de main, est présenté à Cannes. Il sera successivement classé Art et Essai, classé X, déclassé Art et Essai, déclassé X, reclassé Art et Essai. 3,5 millions d’entrées. En 1984, Exhibition est le premier porno programmé sur Canal +, diffusion autorisée par Mitterrand lors d’une partie de golf avec Rousselet.

1981. Jack Lang, ministre de la Culture, se livre à une chasse aux sorcières dans le milieu du cinéma porno français.

1982. Ça va faire mal, avec Ceccaldi, Menez, Guybet: un échec qui me met sur la paille.

1983. Je fabrique et j’édite ma première cassette vidéo, pour une collection de films X sous le label Prestige. J’initie en France la vente au public par correspondance, court-circuitant les vidéoclubs. Ça a marché tout de suite, et très fort: début de l’aventure de ma société Fil à Film, qui me propulse à la tête de 300 salariés.

1989. Année culminante de mon activité d’éditeur vidéo avec le lancement de la collection Les Films de ma vie et les oeuvres de Truffaut, Tati, Chaplin, Bergman, Godard, Rohmer. J’ai le sentiment que je ne pourrai plus faire mieux: il faut changer de métier.

1994. Au cours d’une randonnée en montagne, j’acquiers la conviction que je dois réaliser un film à partir de mon aventure adolescente. J’écris le scénario des Aiguilles rouges. Toutes les portes se ferment quand je veux le financer, l’Avance sur recettes, les télévisions, le CNC. Mais je rencontre Sophie, dont je tombe instantanément amoureux et que j’épouse peu après.

1998. Naissance d’Antoine et réalisation d’un rêve: acheter un appartement à Paris donnant sur la Seine.

2003. Je décide de financer les Aiguilles rouges tout seul, en prenant tous les risques et grâce au développement du DVD. Si je ne fais pas ça à 60 ans, je ne le ferais jamais.

2005. Tournage des Aiguilles rouges: mon vrai premier film? Réconciliation avec mes ambitions d’enfant.

A venir. Mon livre de souvenirs s’appellera le Cul entre deux chaises, titre qui résume mon existence, entre le film d’auteur et le cul commercial. J’éprouve un plaisir assez jubilatoire à ce que mes films soient reconnus par le regard cinéphile d’aujourd’hui. « 

SILENT HILL

 Accueil assez froid de la part de beaucoup pour ce « Silent Hill », ce qui peut surprendre. En effet en ces périodes de canulars insipides – tendance « Blair Witch », il faut bien le dire l’un des films les plus pitoyables de l’histoire du cinéma -, films ricanant – tendance « Scream », remakes ou innombrables séquelles en tous genres ou des films confrontant des créatures d’autres films – tendance « Freddy contre Sœur Emmanuelle » ou je ne sais plus quoi -, on retrouve enfin ici un plaisir de spectateur. Mais « Silent Hill » vaut le détour, même si vous ne connaissez pas le jeu video Konami, comme mézigue, où si vous avez été échaudé par des adaptations comme « Super Mario Bros » – qui vaut son pesant de cacahuètes avec Bob Hoskins et Dennis Hopper – et autres « jojolivitcheries tomberedienne-residentevilisées ». Christophe Gans, dont « Le pacte des loups » me semble être à réévaluer – son tort était de vouloir trop en mettre -, part donc inévitablement faire un blockbuster pour les Etats-Unis, après avoir fait l’effort louable de vouloir rester en France. L’homme a donc du talent, et il parle en plus magnifiquement du cinéma. L’histoire proche de celle d’Orphée est pourtant conventionnelle, mais Gans ne s’embarrasse pas dans de vaines scènes explicatives et rentre directement dans le cœur du sujet. La jeune Sharon rêve d’une ville fantôme, Silent Hill. Sa mère, Rose – Radha Mitchell, dont le jeu nerveux convient au rôle – décide pour exorciser son mal étrange, de l’accompagner sur place au grand dam de son mari – minéral Sean Bean -. Mais la ville minière, semble avoir sa propre dimension, elle a été détruite il y a trente ans par un gigantesque incendie, et elle continue d’ailleurs à brûler. Inévitablement Rose perd sa fille, part à sa recherche flanquée par une fliquette qui fait preuve d’empathie et d’énergie – étonnante Laurie Holden -. Un univers peuplé par des ténèbres s’ouvre aux deux femmes…

Radha Mitchell

Les effets spéciaux et un décors infernal post-Tchernobyl atteignent ici une perfection étonnante. On sent une grande recherche, à la manière de la variation de pigmentation de la robe de la belle Radha, ou les décors rouillés et délabrés dont on sent tout une histoire. On retrouve quelques sensations cauchemardesques propres à une sorte de peur primale, mêlées à des images poétiques comme le pluie de cendres, ou angoissantes – une sirène dont le bruit nous est pourtant familier -. Les créatures sont montrées, et on même dans leurs monstruosités une sorte de noblesse, ayant un passé humain. Et l’on songe que cela faisait un moment que l’on avait pas vu spectacle si probant. Christophe Gans a enfin digéré ses références, même si aura beau jeu de retrouver des influences de Clive Baker à Francis Bacon, mais il a enfin trouvé son ton dans cette mise en scène macabre, avec une invention visuelle constante. Le crescendo morbide du film est haletant, même si l’histoire de la petite communauté menée par une Alice Kridge assez caricaturale est assez convenue, Roger Avery voulant sans doute retrouver des émotions cinéphiliques à la « Wicker man », magistral film de Robin Hardy – film cité dans ses « Lois de l’attraction ». Et puis on a toujours plaisir à retrouver Deborah Kara Unger. Sa vision de l’horreur – et même du couple Sean Bean et arpentent les mêmes décors sans se rencontrer, l’image est aisée à comprendre -, se révèle on ne peut plus judicieuse. Il faut saluer le talent quand on le constate, donnez-nous 5 à 6 films fantastiques ou d’horreur de cet acabit par an, et on court se réconcilier avec un genre bien malmené ces derniers temps.

UN AMI PARFAIT

 Qu’est-il arrivé à Francis Girod, lui qui avait du mordant à ses débuts… Il continue pourtant à faire des films, alors que nombre de cinéastes de sa génération sont cloisonnés à la télévision. Ces derniers films, « Délit mineur » (1993), « Passage à l’acte » (1995), « Terminale » (1997), « Mauvais genre » (2001) – malgré l’excellente prestation de Robinson Stévenin pour ce dernier -, laissent un souvenir assez vague, un poil qualité France, solides comédiens et histoires pas très inventives. Le producteur Humbert Balsan – « Mon cow-boy » comme disait Yolande Moreau à la cérémonie des Césars -, s’est suicidé durant le tournage, on imagine aisément le malaise qu’il devait y avoir durant le tournage. Francis Girod – qui apparaît d’ailleurs non crédité en cinéaste -, adapte à nouveau un polar, utilise les fantasmes d’une Suisse riche en compromission, dans une vague historiette dans le monde du journalisme et de l’agro-alimentaire. L’idée bateau de l’amnésie, thème usé jusqu’à la corde dans bien des films de séries B et autres polars de la « Série Noire », est une manière assez artificielle de manipuler le spectateur, avec ses fausses pistes habituelles, et une réflexion sur la grande complexité de notre ami le cerveau – qui n’en fait qu’à ça tête -. Le réalisateur tente de disséquer une amitié ambiguë entre un Antoine de Caunes, assez subtil dans le rôle principal et Jean-Pierre Lorit, excellent dans l’ambivalence, que l’on n’avait plus vu curieusement sur grand écran depuis « Une affaire de goût » en 2000. Julien Rossi, un journaliste, se réveille du coma après une agression la nuit de la Saint-Sylvestre. Son médecin – l’ineffable Aurélien Recoing – lui explique qu’il a une amnésie totale de ses 60 derniers jours. Les bouleversements dans sa vie durant ses périodes sont évidemment nombreux tant dans sa vie affective – il a une nouvelle compagne jouée par Martina Gedecq, qui porte très bien la fourrure -, que professionnelle – il a démissionné de son journal -. Son ami de toujours Lucas Jäger – Jean-Pierre Lorit, donc -, semble lui dissimuler beaucoup d’éléments…

Jean-Pierre Lorit & Antoine de Caunes

Les poncifs attachés au genre sont, hélas très présents, et certains personnages sont décrits à grands coups de serpe. L’intrigue est assez cousue de film blanc, et Antoine de Caunes cicatrise bien vite. On finit par se détacher assez vite, d’autant plus que la mise en scène privilégie le gros plan et les temps morts. Il y avait pourtant un ton, un réjouissant cynisme, à la manière du personnage de Marie-France Pisier en veuve « inconsolable » d’un chercheur qui s’est suicidé – touchante apparition de Claude Miller -, et un côté pas très aimables de certains protagonistes intéressants. Dans la distribution si l’on retrouve une Carole Bouquet impeccable, et la trop rare Christine Murillo en psy désabusée, mais l’excellent Hannz Zischler n’a strictement rien à faire -. Reste que Girod habile faiseur arrive tout de même à installer une atmosphère, Laurent Petitgirard se livre à un habile exercice de style, mais ça date énormément, à moins d’être nostalgique du film du dimanche soir à la TV dans les années 80. On aimerait retrouver Francis Girod dans un projet plus personnel.

UNE SALE HISTOIRE

 D’avoir entendu un excellent entretien sur Michael Lonsdale, lundi 24 avril dernier sur « France culture », m’a redonné l’envie de retrouver « Une sale histoire » moyen-métrage de 50mn tourné en 1978 par Jean Eustache. Le film végétait sur une cassette VHS fatiguée enregistrée lors d’un passage sur Arte il y a une dizaine d’années. Si les films de Jean Eustache passent en cinémathèque, on peut déplorer qu’ils n’existent pas en DVD, qui serait un support idéal pour ce poète maudit, qui n’a jamais respecté la durée normale d’un film passant des 3h40 de la « Maman à la putain » à la durée de courts-métrages. D’avoir vu, outre les deux titres cités « Le père Noël a les yeux bleus », court tourné en parallèle du Masculin-Féminin de Godard, en utilisant la pellicule du film, presque en contrebandier et « Mes petites amoureuses », restent comme une marque au fer rouge, de ce dandy lucide et désespéré. Michael Lonsdale parlait avec chaleur du tournage d’une « Sale histoire », il témoignait d’ailleurs il y a peu sur Eustache dans « Le Monde » du 1 avril 2006 : « Quand il m’a demandé de faire ça, j’ai été totalement emballé. Cette histoire du voyeur est à moitié inventée, je pense, par son ami et scénariste Jean-Noël Picq. Parce que c’est quand même complètement invraisemblable qu’il y ait en bas d’une porte, dans les toilettes, un trou qui permette de voir le sexe des dames sans qu’on soit les cheveux dans la pisse ou je ne sais pas quoi ». Le résultant est étonnant, en fait c’est une histoire de Jean-Noël Picq, psychologue réputé – il jouait l’ami de Jean-Pierre Léaud qui s’achetait une veste trop large dans « La maman… ». En fait c’est une de ses histoires, qu’il semble avoir peaufiné au film, un récit sur une perversité échappée de l’univers de Sade ou de Georges Bataille, d’un homme qui s’installe dans un café, et qui profite régulièrement de la cabine téléphonique au sous-sol. Un jour il entend « et pourtant il est jeune celui là », ce qui lui fait comprendre le rituel voyeuristes de quelques paumés qui par un trou judicieusement placé dans les toilettes des femmes, ont une vision directe sur le sexe féminin… Selon le narrateur le café semble même avoir été construit autour du trou !

Michael Lonsdale

Le narrateur raconte en fait à son ami cinéaste – Jean Eustache -, avec délectation une sorte de d’addiction, née à ce moment là, très crue à cette pratique, n’omettant aucun détail choquant – il faut se tenir les cheveux pour qu’ils ne trempent pas dans la pisse, il fait récit de constipations -. Il y a une auditoire sidéré de femmes, qui finissent par sortir d’une sorte de torpeur – joué par Annette Wademant, Françoise Lebrun, Virginie Thévenet… -, pour finir par réagir à cette histoire, dont Picq confit qu’elle ne les intéresse que quand il s’adresse à un homme. Le récit est évocateur d’images sordides et on finit par s’intéresser à une sorte de musicalité du texte, franche et perverse. Le récit est filmé comme un documentaire, image mobile en Cinéma 16. Mais là où Jean Eustache est très fort, consiste a ce que cette partie documentaire est précédée par la brillante reprise par un comédien reprenant le même texte mais en l’interprétant, l’image est plus soignée, il y a un prologue avec Jean Douchet qui joue le cinéaste qui explique vouloir utiliser le récit pour un début de film. L’image est plus soignée, et on assiste a une grande performance de Lonsdale, et la manière dont il s’approprie le texte, ce que l’on constate mais en voyant ensuite la partie « véridique », inventée en partie selon certaines sources. Il fait naître une tension, un jeu provocateur, reprenant les hésitations de quelqu’un qui répond ensuite aux questions, avec un rythme plus lent que celui de Picq, et mettant formidablement le texte en valeur. C’est dont le principe de « L’effet Koulechov » nous rappelle la « Saison cinématographique 78 » – d’ailleurs pas très enthousiaste, le récit est dit deux fois, Eustache reprendra cette idée en retournant enn 1979 une seconde version de son documentaire « La rosière de Pessac » (1968). Ce film nous montre à nouveau l’inventivité et le grand talent d’Eustache cinéaste – il se suicida en 1981, et le grand talent d’acteur et de conteur de Michael Lonsdale, excellent dans l’ambivalence. Une intégrale du réalisateur en DVD, à l’instar de l’œuvre de Jean Vigo, reste un grand rêve, ne désespérons pas…

Commentaires ancien blog

Gashade /

 D’avoir entendu un excellent entretien sur Michael Lonsdale, lundi 24 avril dernier sur « France culture », m’a redonné l’envie de retrouver « Une sale histoire » moyen-métrage de 50mn tourné en 1978 par Jean Eustache. Le film végétait sur une cassette VHS fatiguée enregistrée lors d’un passage sur Arte il y a une dizaine d’années. Si les films de Jean Eustache passent en cinémathèque, on peut déplorer qu’ils n’existent pas en DVD, qui serait un support idéal pour ce poète maudit, qui n’a jamais respecté la durée normale d’un film passant des 3h40 de la « Maman à la putain » à la durée de courts-métrages. D’avoir vu, outre les deux titres cités « Le père Noël a les yeux bleus », court tourné en parallèle du Masculin-Féminin de Godard, en utilisant la pellicule du film, presque en contrebandier et « Mes petites amoureuses », restent comme une marque au fer rouge, de ce dandy lucide et désespéré. Michael Lonsdale parlait avec chaleur du tournage d’une « Sale histoire », il témoignait d’ailleurs il y a peu sur Eustache dans « Le Monde » du 1 avril 2006 : « Quand il m’a demandé de faire ça, j’ai été totalement emballé. Cette histoire du voyeur est à moitié inventée, je pense, par son ami et scénariste Jean-Noël Picq. Parce que c’est quand même complètement invraisemblable qu’il y ait en bas d’une porte, dans les toilettes, un trou qui permette de voir le sexe des dames sans qu’on soit les cheveux dans la pisse ou je ne sais pas quoi ». Le résultant est étonnant, en fait c’est une histoire de Jean-Noël Picq, psychologue réputé – il jouait l’ami de Jean-Pierre Léaud qui s’achetait une veste trop large dans « La maman… ». En fait c’est une de ses histoires, qu’il semble avoir peaufiné au film, un récit sur une perversité échappée de l’univers de Sade ou de Georges Bataille, d’un homme qui s’installe dans un café, et qui profite régulièrement de la cabine téléphonique au sous-sol. Un jour il entend « et pourtant il est jeune celui là », ce qui lui fait comprendre le rituel voyeuristes de quelques paumés qui par un trou judicieusement placé dans les toilettes des femmes, ont une vision directe sur le sexe féminin… Selon le narrateur le café semble même avoir été construit autour du trou !

Michael Lonsdale

Le narrateur raconte en fait à son ami cinéaste – Jean Eustache -, avec délectation une sorte de d’addiction, née à ce moment là, très crue à cette pratique, n’omettant aucun détail choquant – il faut se tenir les cheveux pour qu’ils ne trempent pas dans la pisse, il fait récit de constipations -. Il y a une auditoire sidéré de femmes, qui finissent par sortir d’une sorte de torpeur – joué par Annette Wademant, Françoise Lebrun, Virginie Thévenet… -, pour finir par réagir à cette histoire, dont Picq confit qu’elle ne les intéresse que quand il s’adresse à un homme. Le récit est évocateur d’images sordides et on finit par s’intéresser à une sorte de musicalité du texte, franche et perverse. Le récit est filmé comme un documentaire, image mobile en Cinéma 16. Mais là où Jean Eustache est très fort, consiste a ce que cette partie documentaire est précédée par la brillante reprise par un comédien reprenant le même texte mais en l’interprétant, l’image est plus soignée, il y a un prologue avec Jean Douchet qui joue le cinéaste qui explique vouloir utiliser le récit pour un début de film. L’image est plus soignée, et on assiste a une grande performance de Lonsdale, et la manière dont il s’approprie le texte, ce que l’on constate mais en voyant ensuite la partie « véridique », inventée en partie selon certaines sources. Il fait naître une tension, un jeu provocateur, reprenant les hésitations de quelqu’un qui répond ensuite aux questions, avec un rythme plus lent que celui de Picq, et mettant formidablement le texte en valeur. C’est dont le principe de « L’effet Koulechov » nous rappelle la « Saison cinématographique 78 » – d’ailleurs pas très enthousiaste, le récit est dit deux fois, Eustache reprendra cette idée en retournant enn 1979 une seconde version de son documentaire « La rosière de Pessac » (1968). Ce film nous montre à nouveau l’inventivité et le grand talent d’Eustache cinéaste – il se suicida en 1981, et le grand talent d’acteur et de conteur de Michael Lonsdale, excellent dans l’ambivalence. Une intégrale du réalisateur en DVD, à l’instar de l’œuvre de Jean Vigo, reste un grand rêve, ne désespérons pas…

 

Commentaires ancien blog

 

Gashade / Site web (6.5.06 07:46)
Et parmi les femmes superbes (ah, Thévenet…) écoutant Lonsdale, qui trouve-t’on égarée là avec son délicieux accent américain, hein?…
Laurie Zimmer, apparition météoritique et lumineuse de Assaut (ou Assault On Precinct 13) de Carpenter, passer de Carpenter à Eustache (ou je sais plus dans quel sens), ça vaut son pesant d’eskimos, pas vrai?
Charlotte Szlovak lui rendit justice dans un film émouvant passé sur Arte, Qui Se Souvient De Laura Fanning (son vrai nom, qu’elle garde au générique du Eustache)?
Elle a abandonné le cinéma et s’occupe désormais d’enfants inadaptés.


le coin du cinéphage / Site web (6.5.06 09:48)
Merci pour ton érudition habituelle, j’avais vu cet excellent doc, mais je n’avais pas fait le rapprochement, c’est une idée d’hommage pour ton site…


Gashade / Site web (6.5.06 10:22)
Mais sa fiche est depuis longtemps dans mon manuscrit!
Je te l’envoie…


Dr Orlof / Site web (6.5.06 13:47)
Merci de rendre hommage à cet immense cinéaste que fut Eustache.
« La maman et la putain » reste, selon moi, un des plus grands films français de tous les temps, à l’égal de « Pierrot le fou », « l’atalante », « la règle du jeu » et « Céline et Julie vont en bateau »…

(6.5.06 07:46)
Et parmi les femmes superbes (ah, Thévenet…) écoutant Lonsdale, qui trouve-t’on égarée là avec son délicieux accent américain, hein?…
Laurie Zimmer, apparition météoritique et lumineuse de Assaut (ou Assault On Precinct 13) de Carpenter, passer de Carpenter à Eustache (ou je sais plus dans quel sens), ça vaut son pesant d’eskimos, pas vrai?
Charlotte Szlovak lui rendit justice dans un film émouvant passé sur Arte, Qui Se Souvient De Laura Fanning (son vrai nom, qu’elle garde au générique du Eustache)?
Elle a abandonné le cinéma et s’occupe désormais d’enfants inadaptés.

le coin du cinéphage / Site web (6.5.06 09:48)
Merci pour ton érudition habituelle, j’avais vu cet excellent doc, mais je n’avais pas fait le rapprochement, c’est une idée d’hommage pour ton site…

Gashade /

 D’avoir entendu un excellent entretien sur Michael Lonsdale, lundi 24 avril dernier sur « France culture », m’a redonné l’envie de retrouver « Une sale histoire » moyen-métrage de 50mn tourné en 1978 par Jean Eustache. Le film végétait sur une cassette VHS fatiguée enregistrée lors d’un passage sur Arte il y a une dizaine d’années. Si les films de Jean Eustache passent en cinémathèque, on peut déplorer qu’ils n’existent pas en DVD, qui serait un support idéal pour ce poète maudit, qui n’a jamais respecté la durée normale d’un film passant des 3h40 de la « Maman à la putain » à la durée de courts-métrages. D’avoir vu, outre les deux titres cités « Le père Noël a les yeux bleus », court tourné en parallèle du Masculin-Féminin de Godard, en utilisant la pellicule du film, presque en contrebandier et « Mes petites amoureuses », restent comme une marque au fer rouge, de ce dandy lucide et désespéré. Michael Lonsdale parlait avec chaleur du tournage d’une « Sale histoire », il témoignait d’ailleurs il y a peu sur Eustache dans « Le Monde » du 1 avril 2006 : « Quand il m’a demandé de faire ça, j’ai été totalement emballé. Cette histoire du voyeur est à moitié inventée, je pense, par son ami et scénariste Jean-Noël Picq. Parce que c’est quand même complètement invraisemblable qu’il y ait en bas d’une porte, dans les toilettes, un trou qui permette de voir le sexe des dames sans qu’on soit les cheveux dans la pisse ou je ne sais pas quoi ». Le résultant est étonnant, en fait c’est une histoire de Jean-Noël Picq, psychologue réputé – il jouait l’ami de Jean-Pierre Léaud qui s’achetait une veste trop large dans « La maman… ». En fait c’est une de ses histoires, qu’il semble avoir peaufiné au film, un récit sur une perversité échappée de l’univers de Sade ou de Georges Bataille, d’un homme qui s’installe dans un café, et qui profite régulièrement de la cabine téléphonique au sous-sol. Un jour il entend « et pourtant il est jeune celui là », ce qui lui fait comprendre le rituel voyeuristes de quelques paumés qui par un trou judicieusement placé dans les toilettes des femmes, ont une vision directe sur le sexe féminin… Selon le narrateur le café semble même avoir été construit autour du trou !

Michael Lonsdale

Le narrateur raconte en fait à son ami cinéaste – Jean Eustache -, avec délectation une sorte de d’addiction, née à ce moment là, très crue à cette pratique, n’omettant aucun détail choquant – il faut se tenir les cheveux pour qu’ils ne trempent pas dans la pisse, il fait récit de constipations -. Il y a une auditoire sidéré de femmes, qui finissent par sortir d’une sorte de torpeur – joué par Annette Wademant, Françoise Lebrun, Virginie Thévenet… -, pour finir par réagir à cette histoire, dont Picq confit qu’elle ne les intéresse que quand il s’adresse à un homme. Le récit est évocateur d’images sordides et on finit par s’intéresser à une sorte de musicalité du texte, franche et perverse. Le récit est filmé comme un documentaire, image mobile en Cinéma 16. Mais là où Jean Eustache est très fort, consiste a ce que cette partie documentaire est précédée par la brillante reprise par un comédien reprenant le même texte mais en l’interprétant, l’image est plus soignée, il y a un prologue avec Jean Douchet qui joue le cinéaste qui explique vouloir utiliser le récit pour un début de film. L’image est plus soignée, et on assiste a une grande performance de Lonsdale, et la manière dont il s’approprie le texte, ce que l’on constate mais en voyant ensuite la partie « véridique », inventée en partie selon certaines sources. Il fait naître une tension, un jeu provocateur, reprenant les hésitations de quelqu’un qui répond ensuite aux questions, avec un rythme plus lent que celui de Picq, et mettant formidablement le texte en valeur. C’est dont le principe de « L’effet Koulechov » nous rappelle la « Saison cinématographique 78 » – d’ailleurs pas très enthousiaste, le récit est dit deux fois, Eustache reprendra cette idée en retournant enn 1979 une seconde version de son documentaire « La rosière de Pessac » (1968). Ce film nous montre à nouveau l’inventivité et le grand talent d’Eustache cinéaste – il se suicida en 1981, et le grand talent d’acteur et de conteur de Michael Lonsdale, excellent dans l’ambivalence. Une intégrale du réalisateur en DVD, à l’instar de l’œuvre de Jean Vigo, reste un grand rêve, ne désespérons pas…

 

Commentaires ancien blog

 

Gashade / Site web (6.5.06 07:46)
Et parmi les femmes superbes (ah, Thévenet…) écoutant Lonsdale, qui trouve-t’on égarée là avec son délicieux accent américain, hein?…
Laurie Zimmer, apparition météoritique et lumineuse de Assaut (ou Assault On Precinct 13) de Carpenter, passer de Carpenter à Eustache (ou je sais plus dans quel sens), ça vaut son pesant d’eskimos, pas vrai?
Charlotte Szlovak lui rendit justice dans un film émouvant passé sur Arte, Qui Se Souvient De Laura Fanning (son vrai nom, qu’elle garde au générique du Eustache)?
Elle a abandonné le cinéma et s’occupe désormais d’enfants inadaptés.


le coin du cinéphage / Site web (6.5.06 09:48)
Merci pour ton érudition habituelle, j’avais vu cet excellent doc, mais je n’avais pas fait le rapprochement, c’est une idée d’hommage pour ton site…


Gashade / Site web (6.5.06 10:22)
Mais sa fiche est depuis longtemps dans mon manuscrit!
Je te l’envoie…


Dr Orlof / Site web (6.5.06 13:47)
Merci de rendre hommage à cet immense cinéaste que fut Eustache.
« La maman et la putain » reste, selon moi, un des plus grands films français de tous les temps, à l’égal de « Pierrot le fou », « l’atalante », « la règle du jeu » et « Céline et Julie vont en bateau »…

(6.5.06 10:22)
Mais sa fiche est depuis longtemps dans mon manuscrit!
Je te l’envoie…


Dr Orlof / Site web (6.5.06 13:47)
Merci de rendre hommage à cet immense cinéaste que fut Eustache.
« La maman et la putain » reste, selon moi, un des plus grands films français de tous les temps, à l’égal de « Pierrot le fou », « l’atalante », « la règle du jeu » et « Céline et Julie vont en bateau »…

OSS 117, LE CAIRE NID D’ESPIONS

 On assiste donc à la naissance d’un genre inédit, une parodie – ou détournement ce à quoi Jean Dujardin semble tenir -, d’une parodie – involontaire certes mais parodie quand même – ! Car il faut avoir vu les OSS 117, venu de l’imagination du romancier Jean Bruce,  Hubert Bonisseur de La Bath, ce James Bond du pauvre, dans des films comme « OSS 117 se déchaîne », « Banco à Bangkok pour OSS 117 », « Furia à Bahia pour OSS 117 », « Atout cœur à Tokyo pour OSS 117 », et « Pas de roses pour OSS 117 », signés par André Hunebelle ou Michel Boisrond, qui passaient généralement très souvent les après-midi de jours fériés, et qui sont désormais disponibles dans un coffret DVD kitschissime. Ces films très agréables à regarder, avec la patine du temps surtout. Ils confinent un peu avec le ridicule des figures imposées des romans d’espionnages, et qui sont ici formidablement dynamitée ici, Michel Hazanavicius, en détournant les codes. Les originaux au cinéma valaient déjà leur pesant de cacahuètes, il fallait voir dans « Banco à Bangkok pour OSS 117 », les images tournées sur les lieux mêmes, suivies par d’autres tournées dans l’arrière pays niçois ! Michel Hazanavicius, auteur de « Mes amis », qui laisse le souvenir d’une brillante distribution,  joue avec les clichés avec maîtrise, entre les transparences d’usages et un bel hommage au Technicolor. Il serait vain d’éventer et de dévoiler toutes les idées du film, promises, à l’image du running gag, sur le Président René Coty, le second président de la IVe République, excusez du peu de 1953 à 1958, promis à passer dans la postérité selon OSS 117 ! Il faut saluer l’écriture de Jean-François Halain, connu pour être l’auteur de la meilleure période des « Guignols » sur Canal+, – g(l)accionisées, depuis hélas -, et de « Grosland ». Il trouve dans cette évocation de l’Égypte des années 50, outre le comique des situations, une matière pour se livrer à une charge contre la France sclérosée des années 50. Donc après Ivan Desny,  Kerwin Marthews, l’ineffable Frederick  Stafford, John Gavin et Luc Mérenda, c’est Jean Dujardin qui s’y colle. C’est un cliché, mais il a la même stature que le Jean-Paul Belmondo de « L’homme de Rio » et du « Magnifique », et il nous livre ici une formidable performance.

Il faut voir ses mimiques, sa tonalité proche des doublages de l’époque – proche de la voix de Jean-Pierre Duclos doubleur de Frederick Stafford et Sean Connery -. Il arrive de manière condescendante et colonialiste dans une Egypte qu’il ignore superbement, tel un éléphant dans un magasin de porcelaines, à l’image du muezzin malmené par un OSS 177 plein d’un ethnocentrisme grotesque. Le film finit par prendre une certaine résonance en ces temps de racisme larvés et de démagogues en tous genres. Mais il finit par faire illusion en chantant « Bambino » en Arabe, dans une scène d’anthologie. Surprise, les femmes ont le beau rôle, saluons d’ailleurs Bérénice Béjo, dont la visible exigence finit enfin par payer avec ce succès. Si elle a droit à une belle scène de bagarre avec Aure Atika, cliché habituel des films des années 60, elle donne une dignité et un grand charme à son personnage de femme égyptienne. La distribution de trognes, nous renvoyant à l’utilisation des Daniel Emilfork et autres Dominique Zardi, est ici très inventives, citons Richard Sammel s’amusant visiblement de composer un personnage d’officier nazi à la Horst Franck, un nouveau venu François Damiens, il faut le voir faire preuve de trivialité au milieu de discours sentencieux – il est célèbre à la télévision belge, et désormais il est faut à parier qu’il devienne indispensable à tout bon casting -, le trop rare Claude Brosset en flegmatique commanditaire d’OSS 117, Laurent Bateau en souffre douleur de service, plus les impeccables Saïd Amadis, Constantin Alexandrov, Arsène Mosca, décalage garanti entre accent pied noir et costume d’officier nazi, peuplant une humanité torve, ou des étrangers malmenés par la suffisance de l’espion français. La recette fonctionne, cartonne donc dans ce mois d’avril forcément metrier – l’échec injuste du film de Gilles et Corinne Benizio -, et cerise sur le gâteau, la critique est même dithyrambique, la surprise d’une critique enthousiaste des « Cahiers du cinéma » nous sidérant même. La qualité est ici au rendez-vous, en souhaitant que d’autres comédies – 1 film sur 2 dans le cinéma français ? -, en prennent de la graine.