Louis Malle semble enfin sortir d’une sorte de purgatoire. Il fallait entendre Serge Toubiana et Maurice Pialat ironiser sur son talent dans un festival… Les récentes rétrospectives de la Cinémathèque et du festival d’Angers, ainsi que la ressortie en DVD d’une partie de ses films, donnent l’occasion enfin de le reconsidérer. Il y a eu un malentendu sur ce réalisateur venant d’une riche famille du Nord, la dynastie des Béghin-Say, magnats du sucre, mais il n’aura eu de cesses que de se révolter contre son milieu d’origine. « Le feu follet », disponible désormais en vidéo, chez Arte Vidéo, est une œuvre particulière dans sa filmographie, sorte de vertige pessimiste. C’est un film qui a ses adeptes, je me suis retrouvé dans le témoignage de Mathieu Amalric dans le bonus, pour l’avoir vu à plusieurs périodes de ma vie, et restant marqué par ce film de manière indélébile. C’est selon la formule d’Ozu, je crois, « Un film qui nous regarde », nous désosse, nous renvoie à nos propres angoisses, même si le regard évolue avec le temps. C’est l’adaptation on le sait du roman de Drieu La Rochelle – Louis Malle avait eu un projet abandonné sur les nuits parisiennes -, qui s’est suicidé de la manière que l’on connaît. Ce roman se passant dans les années 20, inspiré du suicide du romancier Jacques Rigaut. Habilement transposé dans les années 60. Louis Malle était d’ailleurs assez dépressif à ce moment – il faut le voir le voir assez affecté dans une interview de 1963, face à Françoise Sagan, définir le vieillissement comme le fait de devenir une chose assez dégoûtante ! -, et avait même pensé à interpréter le film lui-même. Il a trouvé en Maurice Ronet, en interprète idéal, impressionnante posture d’une grande lassitude de l’être, tel un astre blafard. La musique d’Érik Satie –  les Gymnopédies et Gnossiennes, est en parfaite adéquation avec cette flânerie dépressive, rarement on a vu sur un écran une incarnation aussi tangible du spleen -.

Jeanne Moreau à Maurice Ronet : « Tu as l’air d’un cadavre ! »

Le personnage principal, Alain Leroy, n’a pourtant rien, au départ pour susciter la compassion, c’est un dandy assez oisif, honorant ses conquêtes féminines sans flamme et a eu des sympathies avec l’O.A.S. depuis son service militaire en Algérie. Mais c’est un homme défait que l’on retrouve en cure de désintoxication dans une clinique huppée de Versailles, qu’on le découvre, avec sa maîtresse de passage – touchante Léna Skerla -. Il végète dans sa chambre, emménagée telle une prison dorée, il inscrit sur le miroir la date du 23 juillet, avant de sortir d’une mallette de jeux de cartes, une arme cachée… Sa décision est prise, se supprimer. Le directeur de l’hôpital – Jean-Paul Moulinot, sérieux paternaliste -, le déclare guéri. Il se révèle assez inadapté aux contraintes du monde extérieur, – il demande des cigarettes étrangères dans un bistrot de Versailles qui lui déclare ne pas en avoir la demande -. Il finit par sortir et part pour Paris, pris en stop, pris en charge par deux livreurs des Galeries Lafayette – dont Hervé Sand, mort prématurément, prestation curieusement oubliée dans le dictionnaire de Raymond Chirat, hâbleur et bon vivant, avec lequel il parle des besoins d’argents -. De retour à Paris, ses connaissances s’étonnent de sa mauvaise mine. A la rencontre de ses anciens amis, il retrouve son ami Dubourg – admirable Bernard Noël, trop tôt disparu lui aussi, décidément, campant un personnage très touchant – qui a trouvé son équilibre entre sa femme – Ursula Kubler à la personnalité singulière -, sa fille et sa passion de l’égyptologie. Dubourg tente de lui redonner le goût de la vie, mais Leroy, trop dans la lucidité, ou trop dans l’aveuglement, ne vois dans la vie de son ami qu’une trop grande compromission. Il erre ensuite entre ses amis snobs – Jeanne Moreau donnant une grande intensité à son cours rôle d’ancienne amoureuse, Alain Mottet en poète opiomane, ou un couple hautain – Alexandra Stewart et Jacques Sereys, faussement compatissant – invitant un écrivain mondain – Tony Taffin, dans la suffisance -. Il finit par s’insurger contre ses anciens amis de l’O.A.S. qu’il traite de Guignols – dont Romain Bouteille, déjà probant dans le rôle d’un personnage désinvolte -. Autour d’Alain Leroy, les personnages sont très justement écrits, des pensionnaires de l’hôpital – étonnant Hubert Deschamps en homosexuel maniéré, Yvonne Clech en femme blessée et maternelle -, les anciennes connaissances – Micha Bayard en employée d’hôtel, etc… – ou le jeune  – Bernard Tiphaine – qui prend la même direction dans la dérive alcoolique -. L’itinéraire de cet homme alcoolique, donnant son rôle le plus probant de Maurice Ronet, qui tournait en même temps « Le puits et le pendule » pour Alexandre Astruc et qui avait perdu 15 kilos pour le rôle. Défait, désabusé, il montre le dégoût de la vie, sa difficulté de résister à reboire, dans un monde où la tentation est permanente. Cette lutte contre l’alcoolisme est montrée de manière documentaire – la réaction après le premier verre -. Hors du temps, ce film reste une œuvre admirable et universelle, d’une formidable noirceur, mais c’est un portrait sans concessions, et un itinéraire remarquable d’un homme qui a perdu la raison de vivre. Un grand classique…