Annonce de la mort du comédien discret Jacques Charby, mais à la vie particulièrement romanesque.

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Jacques Charby, comédien, par Mohammed Harbi

LE MONDE | 06.01.06 | 14h06  •  Mis à jour le 06.01.06 | 14h06

Le comédien Jacques Charby, qui fut un des principaux acteurs du « Réseau Jeanson » d’aide au FLN, est mort dimanche 1er janvier. Il était âgé de 76 ans.

En 1942, « le petit juif de 13 ans », selon l’expression affectueuse de son ami André Thorent, échappe à la déportation vers les camps de la mort après avoir vécu le suicide de sa mère, une résistante qui ne voulait pas se laisser arrêter. Avec son frère et son père, typographe anarcho-syndicaliste, compagnon d’Alfred Rosmer et Pierre Monatte, fondateur de la « Révolution prolétarienne », il passe clandestinement la ligne de démarcation pour se rendre à Toulouse. Il fait connaissance avec les métiers de la survie : éclusier, vendeur de lacets à la sauvette, etc.

La fréquentation irrégulière de l’école ne l’empêche pas d’être reçu au Conservatoire à 16 ans. Il entre dans la troupe du Grenier de Toulouse où il reste dix ans avec Daniel Sorano, Jacques Duby, Jean-Marie Rivière et André Thorent, interprétant tour à tour Shakespeare, Molière, Plaute, Giraudoux, Cocteau et Marivaux.

En 1954, Jacques Charby regagne Paris et crée le rôle principal de J’ai 17 ans et aussi Les Oiseaux de Lune de Marcel Aymé, au Théâtre de l’Atelier. Homme de droite, l’homme de lettres lui en saura gré en lui écrivant plus tard Algériennement Vôtre. Figure appréciée du cabaret parisien dans les années fastes, il est partout, au College Inn, aux Trois Baudets, Chez Gilles, à la Tête de l’Art, à la Galerie 55. Il écrit et joue avec succès une longue revue chez Agnès Capri et entame un brillant parcours à la télévision.

La guerre d’Algérie interrompt une carrière prometteuse. Jacques Charby estime qu’il revient aux citoyens de défendre les valeurs de liberté et d’égalité dont l’Etat se réclame tout en les déniant aux Algériens. Il s’engage dans le réseau Jeanson et y entraîne dans son sillage comédiens et artistes. Arrêté en 1960 et incarcéré à Fresnes, il simule la folie. Transféré dans un asile psychiatrique, il s’en évade.

Commence alors son exil, en Tunisie d’abord, en Algérie ensuite, d’où son père est originaire. Il s’investit dans la mise sur pied de Maisons d’enfants pour orphelins de guerre et en adopte deux. Il n’abandonne pas pour autant son métier, écrit et réalise un beau film, Une si jeune paix, primé au Festival de Moscou. Amnistié en 1966, il revient à Paris, interprète des rôles dans des pièces de Boris Vian comme Le Goûter des généraux ou d’Alain Decaux comme Les Rosenberg.

Trop tard pour une carrière dans le théâtre, « l’autodidacte forcené (qui) a tout lu et rattrapé le temps perdu de la Culture », selon André Thorent, s’est ouvert à d’autres horizons. Lauréat du prix Italia pour son adaptation télévisée, avec André Thorent, de Josse, de Marcel Aymé, Jacques Charby écrit pour la radio, pour France-Culture. Il est également l’auteur de plusieurs livres sur l’Algérie : L’Algérie en prison (1961), Les Enfants d’Algérie (1962), puis Les Porteurs d’espoir en 2004. Dernier acte dans la vie publique : une polémique l’opposa à Henri Alleg sur le rôle du PCF dans la guerre d’Algérie.

L’HUMANITÉ – Décès. Le comédien Jacques Charby est mort

Jacques Charby, le réalisateur du film Une si jeune paix (1964), membre du réseau Jeanson, est mort dimanche dernier à Paris. Comédien, auteur et militant anticolonialiste, il fut un membre actif dans le réseau Jeanson puis Curiel. Il est aussi l’auteur de l’Algérie en prison (Éditions Maspero), les Enfants d’Algérie (Éditions de Minuit), deux livres interdits dès leur parution. En 2003, il signe les Porteurs d’espoir (Éditions La Découverte) un recueil de témoignages autour des porteurs de valises des réseaux Jeanson et Curiel. Né le 13 juin 1929 à Paris, il a suivi sa formation de comédien au conservatoire de Toulouse. Cofondateur du Grenier de Toulouse, il a notamment joué dans Electre, Polyeucte, Malatesta et Caligula où il a tenu le rôle-titre.

EL WATAN

Jacques Charby, généreux et drôle par Nadijia Bouzeghrane

Dans l’appartement de la rue du Faubourg Saint-Antoine, les cartons s’amoncellent. Marie, la fille de Jacques Charby, et Katia, sa marraine, s’affairent à ranger documents, courrier et livres du militant

Selon les deux femmes, Jacques Charby avait la bibliothèque privée la plus étoffée sur l’Algérie. Il possédait également des documents inédits. Tout cela sera remis à une bibliothèque publique. Marie, 26 ans, comédienne comme son père, nous affirme qu’elle attendait notre rendez-vous avec beaucoup d’appréhension, craignant de ne pas pouvoir dire toute la richesse « des vies » de son père. « Je suis fière de papa, et de ce qu’il a fait, de toutes ses vies différentes, du militant, du comédien. C’est un papa clown, il a monté et joué un spectacle dans mon école primaire. Il aimait bien le débat, l’échange d’idées, cela pouvait durer des heures, voire des jours », nous dit Marie, d’une voix douce. Katia appuie le propos de sa filleule : « Il était connu pour ses coups de gueule, mais était admiré. Jacques était quelqu’un qui ne pouvait pas laisser indifférent. C’était un homme indigné, mais de très grande ouverture d’esprit. Ce n’était pas un homme de slogans. » « Jacques avait un tempérament de trotskiste, c’était un emmerdeur, il était toujours à la recherche de la vérité, il ne supportait pas ce qu’il considérait comme un arrangement de l’histoire. Il avait un grand respect pour Henri Alleg, mais il trouvait qu’il s’était fourvoyé en faisant profiter le Parti communiste plus qu’il n’en méritait peut-être ; Jacques était intransigeant et inflexible. » L’amie intime fait allusion au débat polémique que Jacques Charby a suscité ces tout derniers jours par presse interposée sur le rôle du Parti communiste pendant la guerre d’Algérie. Cela a commencé par une tribune de Jacques Charby dans Le Monde, le 5 novembre, à la faveur du livre d’Henri Alleg, puis il y a eu une réponse de Saddek Hadjérès dans Le Quotidien d’Oran et El Watan, à laquelle Jacques Charby a répondu dans El Watan, le 13 décembre dernier, réponse publiée par Le Quotidien d’Oran, jeudi dernier. Il y a eu aussi la réaction de Jacques Fat, secrétaire de la commission des relations internationales du Pcf, et Hélène Cuénat, ex-membre du Réseau Jeanson, membre du Pcf. Hélène Cuénat, qui avait connu Jacques Charby dans le réseau Jeanson, dont ils étaient membres l’un et l’autre, nous dit que « ce n’est pas un livre que Charby aurait dû écrire (Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent. Editions La Découverte, 2004), mais une pièce de théâtre avec tous les acteurs qu’il avait recrutés. C’était une force de conviction, un homme généreux, chaleureux et drôle. Sa mort me fait comme un ouragan alors que nous n’étions pas d’accord sur le plan politique ». Jacques Charby était un homme de combats, d’engagements pour des causes justes : l’indépendance de l’Algérie, la défense des comédiens, des sans-papiers… « L’expérience du syndicalisme de son père, du nazisme ont fait de Jacques Charby un homme à fleur de peau sur le plan politique. L’Algérie en est la suite. Cela a représenté un retour au pays, l’Algérie, lui dont les parents étaient des Arabes judaïsés, exilés en France pour des raisons économiques », souligne Katia. Le père de Jacques Charby était un ouvrier du livre, un juif de Tlemcen chassé de sa ville natale en 1920 par la misère. « Il avait ce qu’on a appelé le refus de parvenir. Jacques avait la même position. » Jacques Charby a exercé 17 métiers différents. Il a commencé sa carrière de comédien – qu’il a interrompue en 1958 pour rejoindre le réseau Jeanson en 1958 – au Grenier de Toulouse avec Daniel Sorano. Le théâtre a occupé une place importante dans sa vie. Le rôle dont il était le plus fier, c’est celui d’Arnolphe dans L’Ecole des femmes. Il a joué plus récemment Electre. Il était au sein de la CGT, pendant 30 ans, un représentant apprécié du SFA pour sa capacité de trouver des solutions. « C’était un homme généreux, il avait reçu, accueilli, hébergé un nombre incroyable de gens », dit Marie. Il était drôle. « Ah le beau garçon que voilà, Jacques Charby est passé par là », disait-il en passant devant un miroir, ce qui a toujours fait rire sa fille. Quelques jours avant sa mort, il écrivait une chanson : Quand j’étais vieux. Il a animé des émissions à France Culture. Il avait eu l’idée de faire une émission sur la Libération de Paris à partir des plaques commémoratives en hommage aux gens morts pendant la guerre. « Jacques était un intellectuel à la fois affirmé et timide, car il était autodidacte. Il avait une révérence pour le savoir universitaire. » En 1962 il écrit Les enfants d’Algérie aux éditions Maspero. Des récits et dessins d’enfants de l’orphelinat Yasmina. Un livre traduit en plusieurs langues dont il ne reste qu’un exemplaire, celui que tient précieusement en mains Marie. Jacques Charby revient en France avec Mustapha Belaïd, un enfant de dix ans qu’il adopte. Le récit de Mustapha, mort il y a deux ans – un grand déchirement pour le père adoptif – figure dans le livre. Mustapha joue son propre rôle dans Une si jeune paix dont le scénario a été écrit par Jacques Charby. Jacques Charby disait que Mustapha, qui ne s’était jamais remis de ses douloureux souvenirs (la mort de ses parents sous ses yeux, son bras brûlé par des soldats, son errance…), était « une victime tardive de la guerre ». Pour ses obsèques, Jacques Charby a interdit le moindre signe religieux. Il sera inhumé cet après-midi auprès de sa mère, morte victime du racisme. Elle s’était suicidée en 1941 pour échapper à la police française alors que son mari était en prison. Jacques (12 ans) et son frère Pierrot (10 ans) avaient alors traversé tout seuls la France pour rejoindre un ami de leur père en zone libre. Arrivés à destination, celui-ci venait d’être arrêté. L’errance des deux enfants a duré longtemps. Ils finissent par retrouver leur père libéré et s’installent tous les trois à Toulouse.