Déjà présenté en 2005 à Cannes, dans le cadre de la « Quinzaine des réalisateurs », ce film est une nouvelle adaptation de l’œuvre de Charles Bukowski. Il fait suite aux mémorables « contes de la folie ordinaire » de Marco Ferreri, « Barfly » avec Mickey Rourke, « Lune froide » de Patrick Bouchitey, trois films cultes, et un film de Dominique Deruddere qu’il me reste à découvrir « L’amour est un chien de l’enfer ». Henry Chinaski, le double de l’écrivain, renaît sous les traits de Matt Dillon. C’est une nouvelle belle performance après »Collision » où il jouait un policier réactionnaire, il est vrai qu’il a toujours voulu casser son image depuis « Drugstore cow-boy » en 1989. Si le souvenir de la lecture de Charles Bukowski – au siècle dernier – me reste assez marquant, on toujours un peu de mal à voir son univers retransmis, mais les trois premiers films cités me semblait assez fidèle à l’esprit. Ici la narration est plus traditionnelle, pour ce réalisateur norvégien Ben Hamer, dont les trois films précédents « Un jour sans soleil » (1989) « Eggs » (1995), « Kitchen stories » (2003) dont les films semblent avoir une bonne réputation. Le film est ici porté par l’interprétation de Matt Dillon, qui reprend le flegme titubant du Bukowski bête de médias – personne ne peut avoir oublié son célèbre passage dans l’émission « Apostrophes », images reprises souvent par des compilateurs médiatiques fatigants -. Capable de rage, certain de son talent – il déclare lui suffire lire quelques pages d’autres auteurs pour savoir ce qu’il vaut -, nonchalant il joue avec humour et sans numéro à épate son personnage éthylique et se révélant finalement touchant en évitant les écueils de la caricature. Il y a la formidable Lily Taylor, qui épate à chacune de ses apparitions, on est loin ici de son personnage de mère dans « Six feet under ». Son personnage déjanté, possessive et sensuelle, est très attachant, on aimerait pouvoir voir cette comédienne plus souvent.

Matt Dillon et Lily Taylor

Si la mise en scène est assez classique, elle s’attache à retrouver des lieux peu filmés d’une Amérique contemporaine pour retrouver l’équivalence de l’ambiance de l’œuvre de l’écrivain. C’est finalement une Amérique intemporelle, des laissés pour comptes, qui vivotent sans trop souffrir de la crise, vivant de petits boulots, parfois pour un seul jour. Les tâches sont diverses du travail à la chaîne au nettoyage d’une colossale statue de chef indien. Chinaski a une fraternité avec les pauvres. Il ne supporte pas l’arrogance d’un petit cadre s’installant sans politesse sur un siége, ou il ne tente sa chance devant un écrivain qu’on lui présente, si le courant ne passe pas. Son besoin d’écriture est viscéral, décrire cette petite humanité troublée, dont même l’alcool ne matte pas ses démons. Le personnage a une décontraction devant l’existence, se recouchant même dans un immeuble en feu, après avoir vu des pompiers s’occuper des étages d’à côté. Le parti pris ici est celui de l’humour, s’amuser des vomissements d’après cuite. L’interprétation des seconds rôles est remarquable, il faut voir l’excellent Didier Flamand, en français excentrique, jouer de l’harmonium, boire avec sa petite cour de filles perdues, et mettre sa drôle de casquette pour faire un tour en yacht, Fisher Stevens, au regard perdu, s’abrutir dans la passion des courses, ou Marina Tomei en fille perdue prête à tout instant de perdre l’équilibre et on retrouve même Adrienne Shelly, actrice fétiche de Hal Hartley dont on ne voit plus les œuvres d’ailleurs. Au final c’est un film, certes un peu sage, mais qui rend justice à sa source d’inspiration, avec causticité et empathie et qui donne une nouvelle facette du talent de Matt Dillon, qui devrait gagner en sincérité avec la maturité.