On pense en voyant ce film d’Edmond Bensimon, à « I Vitelloni »,  des marginaux qui se laissent vivre aux crochets du système, curieuse vision des choses vu le contexte économique ayant changé. Mais nos sympathiques marginaux trouvent ici grâce au yeux du metteur en scène, grâce à la folie contagieuse du personnage de Jean-Claude Meunier. La cinquantaine fatiguée, il est incarnée par un impérial Gérard Darmon.  Jean-Claude survie à sa petite condition, grâce à son admiration idolâtre de Charles Aznavour – il s’est engagé à la Légion, après avoir vu « Un taxi pour Tobrouk » -. Il bafoue son neveu orphelin, qu’il élève comme il peut. Il supporte les sarcasmes des pipelettes locales et noie son désarroi dans l’alcool. Mais le film débute par son sursaut de dignité, il décide d’aller en pèlerinage à pied de Roubaix à Paris, voir le célèbre chanteur en concert. Il embarque son neveu, qui se prend au jeu de le filmer, Jean-Claude voulant laisser une K7, au grand Charles. On suit donc leur trajet picaresque, on n’est pas loin de l’esprit des « Brancaleone », ils entraînent dans leur folie Arsène un chômeur antillais exilé, pour des histoires familiales, et Boris – Zinedine Soualem – un éboueur simplet, qui ne peut commencer une phrase sans dire « en tout cas ».

Zinedine Soualem, Gérard Darmon et Lucien Jean-Baptiste dans « Emmenez-moi »

La force du film est le jeu des 4 compères,  Lucien Jean-Baptiste, en antillais déraciné très touchant, le toujours formidable Zinedine Soualem, qui retrouve en son personnage de Boris, une sorte de petit cousin de son rôle de Djamel dans « Chacun cherche son chat » et Damien Jouillerot, tout en étant hors-champ la moitié du temps, pousse la performance de faire exister son personnage entre révolte et résignation, un comédien dont il convient de suivre son évolution avec grande attention. Tout en laissant exister ses partenaires, Gérard Darmon nous livre un de ses plus grands rôles, il impressionne constamment, tout en évitant les pièges des scènes d’ivresse, il fait preuve de grandeur, dans de nombreuses scènes jubilatoires, tout en étant impeccable dans les scènes chantées dans un registre différent du sien – son album chanté « Au bout de la nuit » -. Il y a beaucoup de scènes mémorables et drolatiques – les microns, le cimetière et « La Mama », on ne s’ennuie jamais. Le parti pris d’un home-movie, filmé à travers une caméra DV – il y avait déjà ce processus dans « Ma caméra et moi » de Christophe Loizillon, avec déjà Zinedine Soualem -, et des enchaînements des passages musicaux colorés comme un film de Jacques Demy est habile et efficace. L’utilisation finale de Charles Aznavour est ingénieuse, on finit par regretter de ne pas avoir à faire le chemin du retour avec cette petite équipe. Une bonne surprise, décalée et sympathique à l’énergie communicative.